Introspection sur le bonheur : the eye of the beholder

Publié le 10 août 2012 par Copeau @Contrepoints

La petite réflexion que je vous livre aujourd’hui tranche avec mes sujets de pré­di­lec­tion. Mais l’introspection, par­fois, a du bon…

Par Frédéric Wauters, depuis Bruxelles, Belgique

Entendons-nous bien, si je parle d’introspection, ce n’est pas dans l’intention de vous livrer mes états d’âme. Ni de prendre parti dans ce nou­veau “com­bat du bien contre le mal” qu’est la libé­ra­tion de Michèle Mar­tin et sa claus­tra­tion auto-imposée dans un couvent de Soeurs Cla­risses. Quoique…

Déjà, Malonne, pour celles et ceux qui ont la mémoire courte, et ils sont nom­breux, c’est le vil­lage où Saint Mutien-Marie Wiaux — c’est comme ça qu’on l’appelle depuis sa cano­ni­sa­tion par Jean-Paul II — passa le plus clair de sa vie  de reli­gieux. Je sais, ça n’a stric­te­ment rien à voir avec le sujet. En appa­rence, du moins. Car, pour com­men­cer, Mutien-Marie a consa­cré sa vie à la prière et à la contem­pla­tion, deux acti­vi­tés que Michèle Mar­tin déclare aujourd’hui vou­loir embras­ser. Et pour pour­suivre, par­ler de Mutien-Marie, c’est une excel­lente occa­sion d’arrêter de contem­pler les choses par le petit bout de la lor­gnette et de reprendre un peu de pers­pec­tive. Et ça, ce n’est pas plus mal, d’autant que la région est fer­tile en sym­boles, dont cer­tains sont sérieux et d’autres beau­coup moins. La preuve? Pas très loin de Malonne, on trouve égale­ment Flo­reffe et son célèbre bou­cher.

#les­gens

Mais de quoi diable ai-je l’intention de vous entre­te­nir ? Du déchaî­ne­ment des pas­sions humaines, et tout par­ti­cu­liè­re­ment du pes­si­misme et de la misan­thro­pie. De ces gens (hash­tag #les­gens pour les plus twit­teux d’entre vous) qui rem­plissent leur sta­tut Face­book ou leurs conver­sa­tions des der­niers sujets aux­quels les média les incitent à pen­ser. Les média ou pire encore, d’ailleurs. Il y a aussi la race des obli­geants “amis” qui rem­plissent leur mur de pho­tos d’animaux mal­trai­tés, de petits enfants afri­cains famé­liques ou de gamines can­cé­reuses et incitent leur entou­rage à par­ta­ger ces hor­reurs en insi­nuant sour­noi­se­ment que celui qui ne par­tage pas n’a pas vrai­ment de coeur, de com­pas­sion ou que sais-je encore.

Avec, tou­jours, comme une lan­ci­nante ren­gaine, des phrases du genre “que ce monde est laid”, “que les gens sont méchants”, “com­ment peut-on vivre dans un monde pareil” et autres “mais mon dieu, dans quel monde gran­di­ront nos enfants!”. Par­fois, j’ai l’impression de revoir Sal­va­tore, le bossu du Nom de la Rose, hur­lant “Peni­ten­zia­gite” dans une cha­pelle déco­rée de gar­gouilles gri­ma­çantes.

“Non sono here­tico. Ma, les hommes must do peni­ten­zia!“

Voilà voilà. Repentons-nous, le monde est laid, et c’est la faute des hommes. La terre se réchauffe, la glace va fondre, les ours polaires vont mou­rir, les baleines aussi, Bashar Assad tue des petits enfants et le grand capi­tal vous spo­lie… Oh, on se calme, merde!

La réa­lité n’existe pas

Il y a bien long­temps déjà, un illu­miné, fils de prince qui plus est, décide de s’asseoir sous un arbre et de médi­ter jusqu’à l’Eveil (entre paren­thèses, j’ai un jour atteint l’éveil en pleine médi­ta­tion, mais c’est juste parce que je m’étais endormi. C’est vache­ment dur de médi­ter, mine de rien. Fin de la paren­thèse) Mais qu’est-ce que l’Eveil, et pour­quoi un “E” majuscule?

Pour les boud­dhistes, atteindre l’Eveil, c’est, en gros, arri­ver à per­ce­voir le monde tel qu’il est réel­le­ment, dans son entiè­reté, dépouillé des Voiles de l’Illusion. Mais encore?

Depuis l’Antiquité (si on reste en Europe) et bien avant encore (si on se tourne vers l’Inde), les hommes s’interrogent sur leur rap­port à la réa­lité. Qu’est-ce que la réa­lité? L’homme peut-il la per­ce­voir dans son entiè­reté? À cette der­nière ques­tion, phi­lo­sophes, psy­cho­logues et moines boud­dhistes ont apporté une réponse convain­cante: non. La “réa­lité”, en tant que telle, n’existe pas pour les humains. Nous nous construi­sons cha­cun notre propre repré­sen­ta­tion de la réa­lité. Notre confron­ta­tion avec le quo­ti­dien nous per­met, si nous sommes suf­fi­sam­ment sains d’esprits, d’adapter cette repré­sen­ta­tion en fonc­tion des nou­velles infor­ma­tions que nous gla­nons. Si nous ne sommes pas suf­fi­sam­ment ouverts à cette rétro­ac­tion constante, nous nous construi­sons une repré­sen­ta­tion de la réa­lité de plus en plus dis­tante de la réa­lité elle-même. Entre le schi­zo­phrène en plein crise para­noïaque qui se croit vic­time d’un com­plot du gou­ver­ne­ment, le pauvre diable qui souffre de troubles obses­sion­nels com­pul­sifs qui le poussent à retour­ner plus de vingt fois dans son appar­te­ment véri­fier qu’il a bien fermé le robi­net de la cui­sine et l’amoureux qui per­çoit l’attitude plus réser­vée de sa dul­ci­née comme de la froi­deur alors qu’elle a sim­ple­ment passé une mau­vaise jour­née, il n’y a fina­le­ment qu’une nuance: celle de la dis­tor­sion du rap­port entre la réa­lité et la repré­sen­ta­tion men­tale que nous en avons.

Et donc…

Si tu veux chan­ger le monde…

“Si tu veux chan­ger le monde, com­mence par toi-même”, aurait dit ce brave Gandhi, jamais avare de paroles sages mais un peu mys­té­rieuses. Cette phrase, beau­coup la com­prennent comme une inci­ta­tion à s’intéresser d’abord à soi, à s’appliquer à deve­nir meilleur. Ce qui, par défi­ni­tion, chan­gera le monde puisqu’il contien­dra au moins un être changé. Mais est-ce vrai­ment ce que ce brave Mohan­das a voulu expri­mer? Pour­tant, lui-même ne s’est pas tenu à cette maxime: obte­nir l’indépendance de l’Inde, ça reste quand même un petit peu “chan­ger le monde”, non? Enfin, il me semble. À mon sens, Gandhi par­lait donc avant tout d’un autre chan­ge­ment. Celui de notre vision du monde. De notre repré­sen­ta­tion de la réa­lité. Un pro­verbe anglais l’exprime à mer­veille: “Beauty is in the eye of the behol­der”. La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde. Je pense que c’est mon pro­verbe pré­féré, parce qu’il contient la clé de notre bonheur.

Nous déci­dons de ce que nous voyons. Ou plus exac­te­ment, nous choi­sis­sons ce que nous vou­lons voir. L’animal mal­traité par des humains sans coeur, ou le petit geste de soli­da­rité au coin de notre rue. La méchante Michèle Mar­tin qui sort de pri­son ou une autre histoire.

Ce matin, je vous en pro­pose une, tout gen­tille, toute mignonne, toute pleine d’espoir pour le futur de l’humanité. L’histoire de la petite fille qui ne pou­vait pas uti­li­ser ses bras, et à qui une nou­velle tech­no­lo­gie inven­tée par les hommes per­met de mener une vie presque nor­male. En la regar­dant, je suis sûr que vous serez aussi ému(e) que moi.

La pro­chaine fois que vous ver­rez le monde moche, hos­tile et sans signi­fi­ca­tion, rappelez-vous qu’il ne tient qu’à vous de chan­ger votre regard. Cela ne signi­fie pas qu’il faut nier la réa­lité ou renon­cer à vous battre pour vos idéaux. Mais que votre bon­heur ne dépend pas de l’issue de ces com­bats. Il dépend avant tout de vous et de ce que vous déci­dez de voir.