Umar Timol : "L'homme qui voulait rire" (suite).

Par Ananda

Kalia ou briani ? C.. ou P.. ( je parle de boissons gazeuses ) ? Il est des débats dont les Mauriciens ont le secret. Le mien relève de la métaphysique pure. Je ne sais pas tout à fait ce que cela veut dire mais cela me donne un air d’intello et ce n’est pas pour me déplaire.

A ma gauche, le plumeau, mince et élégant, aux extrémités de son corps de belles plumes qui indiquent son intelligence et sa sophistication.

A ma droite, la fourchette, ustensile dont on sous-estime l’importance, essentiel pourtant car elle nous permet de nous nourrir et parfois de bouffer.

Il ne s’agit pourtant pas de débattre des mérites respectifs de ces deux objets. Nous laissons à d’autres esprits, plus doués, plus fins que le mien, le soin de résoudre cette énigme.

Mon problème est beaucoup plus simple ou si on veut paraître intello, plus prosaïque. Il s’agit de déterminer lequel des deux est le plus adapté à un exercice très précis, chatouiller mes pieds.

La nuit porte conseils. Elle gravera dans mes rêves le nom de l’élu(e).

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Haro sur les objets !

Je m’explique. La journée avait bien commencé. Exercices de chatouillage avec une fourchette pendant une bonne heure qui ont servi à démontrer l’efficacité de la fourchette ( I had a dream, I dreamt of a fork ! ) et aussi de cette méthode car je suis parvenu à apprivoiser mon rire. Pas totalement évidemment mais ce n’est qu’une question de temps. Ensuite j’ai pensé à des choses sérieuses, j’ai ainsi réfléchi à la question du mâle dans le monde.

On peut trouver que c’est un problème sans conséquences mais on a tort. Mais il ne s’agit pas de discourir à ce propos car il n’est pas dans mes intentions de vous déprimer.

J’ai évité, avec beaucoup de tact, la télévision. Je l’ai reléguée dans une chambre d’ami. Il était quatre heures de l’après-midi et franchement j’exultais. Dans ce combat titanesque qui oppose l’homme au rire, un vainqueur se profile à l’horizon, en l’occurrence et en toute modestie, moi.

Mais un malheur survint à cinq heures précises. Un objet, apparemment anodin, suscita le fou rire. Le coupable est une bague en plastique que j’avais offerte à ma première copine. La bague, mesquine comme tout, s’était cachée dans une armoire que j’ai eu le malheur d’ouvrir. Ainsi je me retrouvais soudainement propulsé dans le temps, dans les années quatre-vingt. J’étais alors un adolescent boutonneux et timide qui n’avait qu’un seul objectif en tête, draguer les filles. Mais ma timidité excessive compliquait ma tâche. A l’époque on ne disposait pas de réseaux sociaux ou de sms pour aborder les filles de façon discrète, il fallait foncer, soit on lui parle, soit on se casse la gueule. Bienheureux sont les jeunes du vingt unième siècle qui ont la possibilité de draguer impunément, les nouvelles technologies sont un vaste champ démocratique, il permet à tout un chacun, le plus laid, le plus ridicule et même le plus stupide de tenter sa chance. Qu’on arrête de nous dire que les réseaux sociaux sont à l’origine de tous les problèmes, ils ont au contraire permis à de nombreux marginaux et à de nombreux cons de réussir.

Elle s’appelait Reshmi. Elle avait seize ans. Elle était élève au QEC mais elle ne se donnait pas des airs, n’était pas vraiment arrogante et elle n’était pas déterminée à être lauréate. Mais qui se soucie à cet âge de la personnalité, on s’en moque complètement ; elle était très mignonne et elle avait de la classe. Classe qui était insérée dans chacun de ses atomes. On se voyait tous les lundis chez Monsieur Faro, le célèbre professeur de français, qui donnait des cours particuliers dans son garage. Le recrutement était plus que sélectif, on y retrouvait toutes les grosses têtes des collèges de l’élite, les Royals, les St Esprit, Maurice Cure et les autres. Un élève du John Kennedy College, à la tête de clown, s’était immiscé parmi nous. Je me demande toujours à quoi tenait le succès de Monsieur Faro. Sa pédagogie était inexistante, il parlait surtout de politique et des actualités internationales mais je crois qu’il était un grand charmeur. Il charmait les parents qui, puisqu’ils étaient charmés, exigeaient que leurs chérubins se rendent chez lui pour apprendre le français.

Reshmi me faisait les yeux doux. Du moins c’est ce que je voulais croire. Elle me regardait de façon obstinée pendant une trentaine de secondes puis brutalement détournait les yeux et fixait le mur. Puis elle me regardait à nouveau. Mais qu’est-ce que cela pouvait bien dire ? Je n’arrêtais pas de démêler les fils de ce mystère. Qu’est-ce que ce regard pouvait bien dire. M’aimait-elle aussi ? Voulait-elle me dévorer ? La deuxième option n’était pas pour me déplaire.

Je préfère vous épargner la trame de cette amourette mais on dira, pour faire court, qu’un jour je trouvais le moyen, alors que Monsieur Faro discourait sur une pénultième magouille politique de nos dirigeants, de lui offrir cette bague en plastique ( rose et pas tout à fait laide ), qu’elle me retourna le jour de notre rupture.

Cette maudite bague qui avait trouvé le moyen de resurgir après toutes ces années. Et le rire enfla irrésistiblement, je me revis dans la classe de Monsieur Faro, j’avais trouvé moyen de m’asseoir à coté d’elle, je me dandinais comme un singe en quête d’une banane, je tremblais comme une feuille de bananier et je ne sais trop comment mais je parvins à glisser la bague et une lettre ( dans laquelle je lui avouais mon amour ravageur ) dans son sac.

Ce rire ne cessa d’enfler.

HOUHAHOUHAHOUHAHOUHA.

HOHOHOUHOHOHOU.

Et le comble c’est que je découvris un peu plus tard que cet amour était réciproque.

Non mais quel idiot j’étais.

Haro sur les objets donc.

Umar Timol

(à suivre)