Mamadou Mahmoud N’Dongo, Remington.

Par Ferrandh

« Ca tient à quoi qu’une femme soit plus baisable dans un pays que dans un autre ?

_ Tu poses une bonne question Dario ! dis-je en quittant le salon, laissant mes deux grands philosophes à leurs interrogations… », p. 48.

« Nous étions des adultes avec des problèmes d’enfants… pensais-je en les écoutant, en ceci nous étions tous semblables et c’est en cela que c’était une régression (la norme est une régression). Les enfants fragiles font des hommes fragiles… », p. 177.

« Ce n’est pas la destination qui est importante, c’est l’itinéraire… », 369.

Salon du livre, Paris, début 2012, les présentations sont faites : Mamadou Mahmoud N’dongo, un joyeux drille à la fois dandy et clown, garçon menu au verbe pétillant. Le charme opère immédiatement. Chaleureux, on se pique très vite de curiosité et de tendresse pour ce personnage subtil. Rendez-vous est pris avec son dernier roman, Remington.

Une remarque préalable : avec Géométrie des variables, subtil roman sur les jeux de communication dans les sphères politiciennes, nous étions étonnés – légitimement – que les Editions Gallimard enferment cet écrivain dans la collection « Continent noir » : à l’exception de l’identité de l’auteur, l’Afrique était bien lointaine. ( il n’est pas question ici de mener un énième débat sur la pertinence de cette collection .) Bis repetita – renforcée ! – avec son dernier opus, Remington, puisque le sujet traite un problème singulièrement occidental – à ce que nous sachions -, « l’adulescence ». Quel dommage de ne pas sortir cet écrivain et par-là même son excellent roman de cette case réductrice made in Africa qui risque de restreindre l’audience d’un livre alors même que le lectorat se montre frileux.

Remington est un hebdomadaire spécialisé dans le rock et la pop, élargi à d’autres pans de l’art et sentant bon la gauche « bourgeois-bohème » parisienne. Miguel, personnage principal, y est chroniqueur musical. Avec des anecdotes sur son quotidien et celui de ses congénères d’infortune fait du même matériau socioculturel et fréquentés bon grés mal grés, il se fait entomologiste de la crise existentielle de ces quarantenaires, mâles de leur état, qui ont peur de quitter l’adolescence pour sauter dans le monde adulte avec tout son cortège de responsabilités fantasmées.

Dans un troqué lors d’une rencontre « psychosociophilosophique » (ouf !) ennuyeuse à laquelle participe le narrateur et personnage principal, Miguel : « On fit un tour de table, en face de moi un jeune homme à l’allure de séminariste prit la parole, et ce fut le grand moment de la soirée, il dit entre deux gémissements, la gorge nouée : « Nous sommes légion mes frères, il est aisé de nous reconnaître et je vous vois, nous vois dans le métro, dans la rue, je vous vois, je nous reconnais à un détail qui dit tout de notre humaine condition ! Nous ne savons pas nouer une cravate ! Nous sommes une génération qui a appris sur internet ! »Il éclata en sanglot. », p. 25.

Une sensation d’inachèvement ô combien désagréable qui se rappelle à son bon souvenir le jour de ses 41 ans, date fatidique et symbolique, fêté seul, dans un bistro de quartier, face à un demi de bière, après avoir été éconduit par une gamine de vingt ans avec qui il vient de coucher. Et maintenant ? L’adolescence poussée bon an mal an jusqu’à la quarantaine c’était bon, mais il est temps de passer à la suite car l’ennui est là et le non sens guette. Mais entrer dans le monde adulte c’est accepter un de ses pendants soi-disant naturels, s’engager dans une relation maritale… La femme…. Terrifiant ! Pis, être père ! Sur ce coup là, la gente féminine est bien plus compétente… et vampirique.

Cette peur de s’engager serait-elle la névrose d’une petite clique bourgeoise élitiste au parisianisme frivole dont un voyage en province leur est plus exotique que de se rendre à Berlin ou New York ? Ce serait un raccourci chez Miguel qui a bien du mal à solder son enfance : issu d’une famille espagnole des plus confortables, il hérite d’un lot éducationnel et émotionnel difficile à assumer avec un grand-père, peintre espagnol mondialement célèbre et ogre inquisiteur de la nouvelle génération, qui n’aura de cesse de dédaigner son fils et faire de son petit fils l’incarnation de la masculinité, le contre-modèle du frère aîné, la honte de la famille, l’homosexuel, dont pourtant Miguel se sent si proche et dont il est tant fière.

« Je me rappelle que mon père, le grand professeur Tamas Juan Manuel « soignait » le fils d’un industriel pour l’aider à surmonter son aversion des femmes. L’Ogre, qui m’avait vu sortir de notre demeure en compagnie de ce jeune homme, m’avait demandé s’il était un camarade, et la réponse que je lui fis – « non, grand-père, c’est une fiotte que le professeur soigne de son inclination pour les hommes ! » – l’avait beaucoup fait rire. Il m’avait alors pris dans ses bras. Je ne saurais dire ce qui lui avait fait plaisir dans ma réponse, l’expression fiotte, la formule, ou d’avoir employé professeur de manière péjorative, pour désigner mon père et son travail (l’Ogre n’avait que mépris pour le métier de son fil -Psychiatres). », p. 306.

Quid de ses parents ? Une mère issue du milieu populaire poussée à la folie et au suicide par un père psychiatre, bourgeois autiste et dédaigneux

« Mon père, ce n’était pas mieux : pour lui, l’homosexualité de son fils était une pathologie… Avec mon père, j’ai découvert que l’instruction, la culture, ne préserve pas de l’obscurantisme, au contraire : elle l’instruit… », p. 306.

Assurément, on trouve mieux comme ferment à l’équilibre et autres repères pour la conduite de son existence d’adulte.

Ecriture pénétrante, ironique, mais jamais sardonique, Mamadou Mahmoud N’Dongo peint avec maestria et amusement ce milieu des « trentenaire-quarantenaires bobo ». Quel délice cette langue faite de longues phrases rythmées de virgules, avec leur point de ponctuation final qui se veut introduction au dernier bouquet, une sentence lapidaire toujours heureuse : Des mots, des sentences tels des riffes de guitares rock, musique qui souffle sur chacune des pages et chapeaute par un titre de chanson les courts chapitres.

« Qu’est-ce au bout du compte un pervers, sinon un homme ayant un vice, et qu’est-ce qu’un vice si ce n’est, dans son essence, une moralité individuelle… », p.147.

« Il est des fantasmes qui demeureront des fantasmes, jusqu’au jour où, lassés d’être des fantasmes, ils deviendront des regrets. », p.154.

« Quand il pleut toutes les villes deviennent des villes de province. », p.363.

« L’histoire est un fait, la mémoire une construction. », p. 366.

Un roman d’une grande intelligence et d’un humour ravageur avec une perspective sociologique des plus fines. Avec Remington, Mamadou Mahoumoud N’Dongo fait une nouvelle fois et pour notre plus grand bonheur dans le brio !

Mamadou Mahmoud N'Dongo par Olivier Denis

Mamadou Mahmoud N’Dongo, Remington, Gallimard, Continents Noirs, 379 p.