Comment une seule pilule de stupéfiant peut (presque) ruiner une vie

Publié le 23 août 2012 par Copeau @Contrepoints

La prison est peut-être ce qui peut arriver de pire au "délinquant", mais il peut lui arriver bien d'autres choses, même si il est innocent.
Par Mike Riggs, depuis les États-Unis.

Ces dernières années, les media nous ont rapporté des centaines d’histoires horribles autour de l’épidémie d’abus de médicaments sur ordonnance qui sévit en Floride. Les consommateurs d’information se sont vus raconter de nombreuses histoires de médecins pourris, de pharmaciens marrons et de drogués qui prennent des pilules, plus prônes à la violence qu’à l’art d’être parents. Mais comme très souvent avec les infos sur la guerre contre les drogues, l’histoire est un tantinet plus complexe.

Il y a des gens en infraction avec la loi qui ne sont ni des drogués, ni des dealers, ni des escrocs. Vous n’entendrez pas leurs histoires de la part de ceux qui luttent contre les drogues, parce qu’elles ne peuvent être instrumentalisées pour promouvoir la prohibition. Vous ne les entendrez pas non plus de la part de ceux, des deux côtés de l’échiquier politique, qui veulent une réforme de la politique des drogues, parce que ces gens n’ont pas besoin de cure de désintoxication. En fait, ils n’ont besoin de rien.

Quoiqu’il en soit, beaucoup de ces gens ont vu leurs vies ruinées, émotionnellement et financièrement, au nom de la salubrité publique et de la santé publique. Reason a demandé à ses followers sur Facebook de leur dire s'ils connaissaient quelqu’un qui s’est trouvé piégé par le système après avoir été pris avec une faible quantité de drogue. Nous avons promis l’anonymat, pour peu que nous puissions vérifier leurs affirmations. Un homme que nous appellerons « James » nous a contactés. Voici son histoire.

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James a été arrêté pour excès de vitesse en 2006 à Vero Beach, en Floride, alors qu’il rentrait chez lui à Jacksonville après un concert. Le policier a dit que sa voiture sentait le cannabis et a demandé s'il pouvait mener une fouille. James a acquiescé, parce que ni lui ni son passager n’avaient consommé de drogue. Quand l’officier a trouvé que le passager était en possession d’une pipe et de plusieurs grillages de rechange (mais pas de cannabis), il a fouillé James. Ses poches ne contenaient rien, si ce n’est une seule pilule. James a dit au policier qu’un de ses amis lui a offert cette pilule au concert, mais qu’il n’avait jamais pris d’oxycodone et qu’il comptait la jeter.

Un deuxième officier de police a été appelé en renfort. Le passager de James a été arrêté pour possession de matériel lié à la consommation de drogue, et James pour détention illégale d’un narcotique de prescription.

Le matin suivant, la mère de James s’est rendue au comté d’Indian River pour demander à ce que la détention de son fils soit abrégée. Elle a dit au juge que James, qui avait alors 24 ans, était à la fois étudiant à l’University of North Florida, et courtier chez Merrill Lynch. L’avocat de James lui a conseillé de plaider coupable, arguant qu’il serait probablement libéré sur parole et que son casier judiciaire redeviendra vierge.

« Après avoir été assuré que la peine serait légère », James a-t-il narré à Reason dans un e-mail, « tout cela est devenu une épreuve bien plus rude que je n’aurais jamais pu imaginer ».

Le juge en charge de l’affaire de James a accepté qu’il plaide coupable. C’est alors qu’il commença à enchainer les peines.

Bien que son casier judiciaire ait été vierge et qu’il n’ait jamais consommé d’oxycodone, James a été obligé d’assister à des réunions bihebdomadaires des Narcotiques Anonymes durant un an, et à quinze séances d’un stage anti-drogues organisées par l’État de Floride, chacune durant un week-end entier (et qu’il a dû payer de sa poche). Bien qu’il suivait les cours du soir pour obtenir un MBA, James s’est vu imposer un couvre-feu, et devait être rentré chez lui entre 21 heures et 6 heures chaque jour de la semaine, pour une année entière. Pour parachever le tout, le juge a ordonné à James de signaler immédiatement son arrestation à son employeur, et d’en informer son officier de probation dès qu’il l’aurait fait.

Le jugement rendu, James est retourné à Jacksonville et à dit à son patron, chez Merrill Lynch, ce qui est arrivé. Son superviseur lui a dit de ne pas s’inquiéter. Une semaine plus tard, il lui a été signifier de modifier sa licence de courtier en indiquant qu’il avait plaidé coupable dans une affaire de possession de drogue. C’est une obligation à la fois de la loi fédérale et de la loi de l’État de Floride, destinée généralement à protéger les investisseurs. Son résultat a été de briser la carrière de James. La modification de sa licence a déclenché un avertissement interne chez Merrill Lynch. La firme l’a placé en congés payés pendant deux semaines, puis l’a viré.

Une fois que l’officier de probation de James a appris qu’il avait été renvoyé, elle lui a demandé d’apporter avec lui une liste de tous les emplois auxquels il avait postulé depuis leur dernière rencontre. Elle a ensuite appelé les départements de ressources humaines de chacune de ces sociétés pour vérifier que James avait réellement postulé chez eux.

« Je suis sûr que dès qu’elle parlait à un de mes employeurs potentiels, ce dernier jetait mon CV », James nous a-t-il écrit dans un e-mail.

James a mis un mois à retrouver un nouvel emploi, mais pas dans le secteur de la finance. Non, il a été embauché comme cuisinier par une femme qui avait ouvert un restaurant après qu’une accusation d’avoir bu de l’alcool avant l’âge légal l’ait empêché d’enseigner.

L’humiliation ne s’est pas arrêtée là. Deux fois par semaine, il assistait à des réunions des Narcotiques Anonymes, même s'il n’était pas accro à un stupéfiant, ni même n’en prenait à des fins récréatives. Au stage anti-drogues organisé par l’État, il a dû écouter un animateur le mettre en garde contre les dangers de boire de la « BC Powder » [NdT : un analgésique courant dans le sud des USA, composé d’aspirine et de caféine] avec du Coca-Cola, mais aussi voir Meg Ryan tomber amoureuse de Tom Hanks encore et encore (« Durant trois de ces quinze week-ends, nous n’avons fait que regarder des films », nous explique-t-il). Il lui fut fréquemment rabâché, ainsi qu’aux autres participants, qu’au lieu d’être testés positifs à une drogue, ils pouvaient avertir l’animateur. Et pour 200 dollars, ils pourraient se réinscrire au stage public sans que leur officier de probation ne soit mis au courant.

« Plus tard », raconte James, « on m’a dit que le type qui recueillait notre argent chaque semaine pour le traitement a été viré pour avoir pris de la cocaïne dans l’arrière-salle ».

Tout ceci était censé être temporaire. James espérait qu’au bout des douze mois, son casier judiciaire serait nettoyé, et qu’il pourrait reprendre une place dans le secteur de la finance.

Il avait tort. Quand son officier de probation a affirmé à James qu’il pourrait enfreindre son couvre-feu s'il travaillait tard (et uniquement dans ce cas-là), elle ne lui a pas dit qu’il fallait en demander la permission au juge. Ce qui l’a conduit à être accusé de violer sa période de probation, et à voir son châtiment prolongé jusqu’en Mars 2008. Et ces deux années étaient plus qu’assez pour que n’importe quelle société de vérification d’antécédents ait eu connaissance du fait qu’il avait plaidé coupable de détention de drogue.

Grâce aux données de ces mêmes entreprises, il a eu du mal à trouver un nouvel endroit où vivre, même après que l’État ait lavé son casier judiciaire.. « J’ai raté au moins cinq emplois pour avoir une telle ligne dans mes antécédents, même si techniquement, ce n’est plus dans mon casier », nous dit James. « J’ai même déménagé pour des emplois, juste pour qu’ils m’informent à la veille du premier jour, ou même après deux semaines de formation, qu’ils ne pourraient pas m’embaucher à cause de ça ».

Une compagnie d’assurances a accepté d’embaucher James s'il pouvait présenter une copie officielle de son casier judiciaire qui expliquait les circonstances de son arrestation. « Quand j’ai tenté de leur expliquer qu’il avait été remis à blanc, nous a dit James, et qu’un tel document ne pouvait donc pas exister, ils ont répondu que c’était la politique de l’entreprise ». Quelques semaines plus tard, quelqu’un des ressources humaines l’a rappelé, et lui a dit : « Nous comprenons que vous pensiez que votre temps est plus précieux ».

Cette expérience n’a pas changé que la vie de James, mais aussi la manière dont il voit l’approche politique de la drogue.

« J’ai vraiment vu comment quelqu’un pouvait se faire prendre "dans le système" et être définitivement stigmatisé ; et pourquoi des gens qui ont fait des études se rabattent vers le deal de drogue, ou pire encore, parce que l’État les a empêché de trouver un travail pour cette raison »

Et il ajoute « C’est triste que l’État crée ce groupe de "délinquants de la drogue" qui n’ont fait de mal à personne, que ce soit des fumeurs de joints et des gobeurs de pilules, et qu’il les empêche indirectement de trouver un travail. À partir du moment où vous avez une telle chose dans vos antécédents, vous avez le choix entre démarrer votre propre affaire, ou errer entre des emplois miteux ».

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Aujourd’hui, James est marié et heureux (il a rencontré sa femme en travaillant au restaurant), a eu un enfant, et mène des études pour décrocher un deuxième diplôme. Il ne travaille plus en cuisine, mais est toujours sous-employé à cause de ce qui lui est arrivé il y a six ans.

Aussi horrifiantes que les six dernières années de James aient été, un vrai accro à l’oxycodone aurait de la chance d’avoir un tel destin : en Floride, la détention de seulement sept pilules d’analgésiques (un gros consommateur peut en prendre autant avant son déjeuner) est qualifiée de trafic de drogue, et est assortie d’une peine minimale obligatoire de trois ans de prison.

J’ai demandé à Greg Newburn, directeur des sections floridiennes de Families Against Mandatory Minimums, ce qui arriverait si James était arrêté avec une seule pilule aujourd’hui, alors que l’hystérie autour des abus de médicaments de prescription atteint un sommet.

« Il ne serait sans doute pas condamné à une peine obligatoire pour une seule pilule », a répondu Newburn. « Il est plus probable qu’il soit accusé de détention d’une substance contrôlée, qui est un crime au troisième degré punissable jusqu’à cinq ans de prison, et une infraction de niveau 3 envers le Code de Répression de la Criminalité. En supposant qu’il n’ait pas d’antécédents, ça nous amène à 16 points, donc il n’y aurait pas obligatoirement de prison, même si le juge pourrait lui en mettre jusqu’à cinq ans », achève-t-il.

Par rapport à ce qu’un juge aurait pu faire de lui, James s’en est plutôt bien tiré. Mais six ans après les faits, il n’est pas du tout de cet avis.

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Paru sur Reason.com le 06.08.2012 sous le titre How a Single Oxycontin Pill Nearly Ruined One Man's Life.
Traduction : Benjamin Guyot pour Contrepoints.