Le bonheur conjugal, Tahar Ben Jelloun

Publié le 26 août 2012 par Kenza
« La défaite commence à partir du moment où l'adversaire parvient à vous faire douter de
vous-même jusqu'à ce que vous vous sentiez coupable et soyez prêt à agir selon sa volonté, 
à vous plier à ses exigences »
Quatrième de couverture   Casablanca, début des années 2000. Un peintre, au sommet de sa gloire, se retrouve du jour au lendemain cloué dans un fauteuil roulant, paralysé par une attaque cérébrale. Sa carrière est brisée et sa vie brillante, faite d'expositions, de voyages et de liberté, foudroyée.   Muré dans la maladie, il rumine sa défaite, persuadé que son mariage est responsable de son effondrement. Aussi décide-t-il, pour échapper à la dépression qui le guette, d'écrire en secret un livre qui racontera l'enfer de son couple. Un travail d'auto-analyse qui l'aidera à trouver le courage de se libérer de sa relation perverse et destructrice. Mais sa femme découvre le manuscrit caché dans un coffre de l'atelier et décide de livrer sa version des faits, répondant point par point aux accusations de son mari.   Qu'est-ce que le bonheur conjugal dans une société où le mariage est une institution ? Souvent rien d'autre qu'une façade, une illusion entretenue par lâcheté ou respect des convenances. C'est ce que raconte ce roman en confrontant deux versants d'une même histoire.
Tahar Ben Jelloun est né à Fès en 1944. Il a obtenu le prix Goncourt en 1987 pour La Nuit sacrée. Il est l’auteur aux Éditions Gallimard de romans — parmi lesquels Partir, Sur ma mère et Au pays — de récits — Jean Genet, menteur sublime et Par le feu — et d’un recueil de poèmes : Que la blessure se ferme.

Extrait
  Vers minuit, après avoir fait tous les efforts possibles pour dissimuler à sa femme cette hostilité, il la retrouva cachée dans un coin, qui pleurait. Il sécha ses larmes et la consola. Avait-elle entendu les médisances de sa tante, ou était-ce le fait de quitter ses parents pour partir fonder une famille avec lui qui la bouleversait soudain ? Le peintre songea au mariage de sa sœur où tout le monde pleurait parce que son mari était venu l’enlever définitivement. C’était il y avait longtemps à Fès, un mariage dans le pur respect de ces traditions que vénérait sa tante. Les familles s’unissaient entre elles. Tout se réglait à demi-mot ; chacun connaissait par cœur son rôle et la pièce ne pouvait pas être ratée puisque tout était prévu, le rituel se déroulait sans embûches, les familles étaient entre elles, pas de mauvaise surprise, pas de discours déplacé ou de faute de goût. Au moindre faut pas, il y avait toujours quelqu’un pour intervenir et rétablir l’équilibre de la fête.   Aujourd’hui, il savait très bien pourquoi ce soir-là sa femme s’était mise à pleurer et n’avait pu lui répondre. L’attitude des deux familles avait ravivé un sentiment de rejet qu’elle croyait avoir dépassé depuis qu’elle vivait avec le peintre. Les souvenirs des insupportables humiliations dont elle avait été victime dans son enfance parce qu’elle était de condition modeste lui revenaient, comme une blessure secrète qui se rouvrait d’un coup.   Il se dit qu’il aurait dû mieux la défendre. Préparer le terrain avant le mariage. Lui dire qu’il l’aimait quelle que soit l’opinion de leurs familles, dont il se contrefichait. Il aurait pu facilement lui prouver que leur amour était plus fort que n’importe quel incident de parcours. Mais il n’avait pas pris cette précaution, pensant que son amour était si évident,  visible, et qu’il ferait taire les mauvaises langues. Ce mariage, c’était comme crier son amour sur les toits, hurler à qui voulait l’entendre son attachement à cette fille du bled, et dire publiquement sa fierté d’avoir défié toute une classe sociale.   Seul dans les rues, les poings dans les poches, il remâchait leurs histoires et cherchait en vain le moyen de faire cesser leurs disputes, et retrouver l’essence même de l’amour qu’ils se portaient.
Gallimard

*Roger Bezombes (1913- 1994) Les désenchantées, 1939, Salon d’Automne de 1940  Huile sur bois – 167 x 150 Narbonne, Musée d’art et d’histoire  Photo : Musée de Narbonne *

* Né à Paris en 1913, Roger Bezombes fut un peintre très fécond aux multiples talents, réalisant aussi bien des peintures murales et décorations monumentales que des cartons de tapisseries ou illustrations de livres. Sa prodigieuse activité fut récompensée par de nombreux prix. Nombre de ses œuvres ont figuré dans des expositions internationales et sont maintenant dans des musées. Après avoir obtenu le Prix de Rome en 1936, il est lauréat de la Bourse Nationale de l'Etat grâce à laquelle il va pouvoir voyager à travers le Maghreb, sur les traces de Delacroix. Il embarque pour le Maroc le 3 septembre 1937 où il parcourut de nombreuses villes pendant plusieurs mois. Il fut tellement séduit et ébloui par ce pays qu'il exposa dès 1938 de nombreuses toiles et gouaches provenant de son séjour marocain. Source : Drouot