Lourd témoignage d’une rescapée du suicide…

Publié le 26 mars 2008 par Yvon Albert

QUAND JE SERAI GRANDE, JE FERAI COMME TOI
Vers l’automne 1992, je visionne dans un autre rêve, mon frère décédé par le suicide, en janvier 1971. Une scène étrange et éprouvante se déroule sous mes yeux : Serge, tout penaud, face à face avec son cadavre meurtri, gisant dans une énorme mare de sang. Comme une nette impression de faire un voyage aller-retour, non seulement dans le passé de Serge, mais aussi dans sa réalité invisible. Il m’invite à regarder ce diaporama d’autrefois, survenu dans sa chambre de notre maison familiale. Je vois très bien l’arme à feu, à côté de son corps sans vie. Je constate, sans l’ombre d’un doute, que sa bévue a irrévocablement tourné en eau de boudin. Serge semble désemparé, impuissant et isolé depuis la nuit des temps, dans sa terrifiante solitude. Ce rêve spécial me met en déroute et pique ma curiosité et m’incite à demander de l’aide.
Sur le certificat de décès de Serge, ils ont inscrit : Schizophrène.
En mars 1990, j'ai dû faire une faillite personnelle, burn-out professionnel, cancer de la maladie mentale en attendant que la médecine découvre les réels bobos physiques en août 1997; divorce à l'amiable, perte de mon emploi, jusqu'à ce que je puisse plus me battre comme une madone dans l'eau bénite : pour tenter de mettre fin à mes jours, par le malheureux geste d'une tentative de suicide, le 25 avril 1993.
UN IMPORTANT LIEN DU PASSÉ REMONTE EN SURFACE
Par un beau dimanche de printemps du 25 avril 1993, je me rends à un déjeuner au restaurant, en compagnie de mon fils et son père. Ces moments chaleureux représentent pour moi un grand réconfort. D’autant plus qu’il était plus sage que mon fils demeure avec son père. Ces agréables rencontres fraternelles et amicales, malgré le divorce, me permettent de poursuivre une thérapie personnelle et familiale.
Lorsqu’ils quittent le restaurant alors que de mon côté, je retourne chez moi à pied, je jette un bref regard vers mon garçon. Comme par hasard, il se retourne au même moment. Nos regards se croisent pendant quelques secondes. Il m’envoie un signe d’au revoir de sa main, accompagné d’un triste sourire. Le film du dernier souvenir de Serge refait surface, avec une force exceptionnelle, dans ma mémoire. La fragilité émotive et psychologique ajoutée à la douleur physique chronique « qui rend fou » me pousse à essayer de tirer ma révérence.
LA CHAÎNE DU SUICIDE SE POURSUIT
Dès mon arrivée chez moi, je me prépare pour une très longue nuit de sommeil. Agenouillée pour une dernière prière du cœur, je m’adresse à mon véritable ami que l’on m’a présenté dans mon enfance, réel ou irréel, mais finalement, imaginaire : « Jésus, merci de m’accompagner dans ce grand voyage et pardonne-moi sincèrement ce geste de désespoir ». Je ne suis plus le maître à bord de mon navire. Convaincue de la validité de mon billet de transport « aller seulement », pour l’au-delà, j’avale à une vitesse incroyable, deux cents comprimés pour dormir. À travers l’épais brouillard de mon esprit souffrant et malade, une minuscule pensée de sagesse intérieure me dissuade, le temps de deux interminables secondes, de rebrousser chemin. Comme une vague impression que mon compagnon de route m’accompagne toujours, peu importe mon choix. Tout se passe trop rapidement. Seule la douleur chronique au dos, tenace et souvent insoutenable, m’incite à poursuivre la plus souffrante et désespérante de toutes mes expériences humaines.

ET SI PAR HASARD…

Dans un semi-coma aux soins intensifs de l’hôpital, j’entrevois à mon chevet les membres de ma famille réunis pour un dernier au revoir. J’aperçois avec des yeux nouveaux tous les visages de l’Amour. J’entends, à deux reprises une douce et apaisante voix intuitive intérieure, située dans la région de mon cœur : « Merci mon Dieu, tu me laisses une deuxième chance ». Par contre, je ne peux exprimer aux miens que je reste vraiment avec eux. Je ressens alors une peine d’une intensité si profonde que je ne peux décrire. Depuis ce jour-là, je redis sincèrement chaque matin, un véritable « OUI » à la vie, et ce, peu importe le degré de douleur physique, morale ou spirituelle qui fait partie de la condition humaine.
J’ai toujours assumé et j’assumerai jusqu’au bout, la responsabilité de ce malheureux geste de désespérance, de ce grand cri de souffrance et d’ignorance. La seule différence, d’hier à aujourd’hui, c’est que je rejette une partie du lourd fardeau qui ne m’appartenait pas entièrement et tout à fait complètement. Ma petite croix personnelle me suffit amplement. L’assistance de professionnels hautement qualifiés me serait nécessaire pour décrire correctement ces instants privilégiés racontés dans une optique nouvelle. Peu importe les termes utilisés pour partager mes expériences personnelles, je grille d’envie depuis si longtemps de transmettre mon message, avec le plus de justesse et d’exactitude. Au-delà des différences de croyances, de culture ou de religions, tous les chemins mènent à son cœur d’enfant.
Étendue sur mon lit d’hôpital, je prends la décision de revenir au plus simple et aux valeurs essentielles. C’est à ce moment précis que je redis mon « Oui » sincère à la vie. J’apprécie le cadeau reçu de ce nouveau regard sur ma vie passée et présente. Tant de demandes avaient été adressées dans mes prières à ce sujet. Il m’a fallu une expérience aussi difficile pour capter le message. Tout ce minime geste commun du quotidien prend maintenant un sens neuf. L’inertie de mon poignet gauche m’affecte énormément, en plus de la douleur constante au bras. Même mon accompagnateur de route croit impossible cet étonnant rétablissement qui est survenu quelques semaines plus tard. Spontanément, je me réfère encore à l’aide d’en haut, cette fois-ci, au petit frère André, comme on me l'a fait découvrir dès l'âge de 8 ans.
Finalement, je ne suis pas décédé, heureusement! Ma vie a pris une tournure différente, et un sens nouveau, même les souffrances physiques non diagnostiquées.
Bravo à vous, Folly, même si je ne vous connais pas du tout; je suis allée visionnée votre site par hasard.
Patricia Turcotte © le 23 avril 2008