Sans parler du chien, de Connie Willis

Par Guixxx @zeaphra

Parlons-en de ce chien. Voilà un livre qui donne presque envie de s’acheter un bouledogue. Voilà, c’était un premier argument.

Ma vielle couv' 

Ensuite : Ben, je vous avais déjà parlé du fait que, parfois, mon regard s’arrête sur une couverture, et que je suis irrémédiablement attirée par la lecture. C’est encore ce qu’il s’est passé avec Sans parler du chien de Connie Willis. Il se trouve que lorsque je suis arrivée dans mon ancienne librairie (qui vient de fermer ce mois-ci) l’an dernier, j’ai trouvé un rayon de littératures poches plutôt bien fourni. N’ayant pas d’informatique et aucun historique de mes livres en stock, j’ai passé mes six premiers mois à arpenter mes rayons et à intégrer dans ma mémoire les trois quart des livres présents. J’ai ainsi repéré des titres dont j’ignorais même l’existence, et plus tard, même en ayant compris qu’ils resteraient certainement des stocks morts (c'est-à-dire que personne ne les demande et qu’ils ne se vendent que sur conseil du libraire), j’ai décidé de les garder pour pouvoir les lire à la fermeture du magasin.  Je me suis fait une petite pile (Le livre de Bone, Une poire pour la soif, L’homme dé – dont je vous parlerais dans un autre article sous peu -, et Sans parler du chien) que j’ai emporté le mois dernier décidée à élargir ma culture avec des romans visiblement de qualité mais boudés par le public.

La nouvelle couv' de J'ai lu Nouveaux Millénaires


Sans parler du chien était encore plus attractif car il s’agissait d’un roman des années 90 dans son édition périmée J’ai lu SF d’il y a 10 ans, aux pages qui sentent la poussière tenace et l’humidité sous une couleur d’un jaune terne, et j’étais tout simplement vexée de découvrir cet ouvrage pour la première fois (jamais entendu parler avant ça), moi qui suis sensée –genre- m’y connaître un poil en SF… genre.
Donc je l’ai emporté avec moi et me suis plongée dans ce roman abracadabrantesque, visiblement issu de l’esprit génialement malade et superbement retors de son auteur : Connie Willis. Rendons à l’auteur son mérite : pour huit de ses ouvrages, elle a obtenu au moins dix-sept prix internationaux de littératures de l’imaginaire.
Waow.
Voilà, donc pour la petite histoire, Sans parler du chien fait partie d’un univers inventé par Connie dans lequel les scientifiques d’un futur proche ont développé le voyage dans le temps. Le Grand livre est le premier roman dont l’intrigue se base sur les voyages dans le temps, et reçoit en 1992 le Prix Locus, le Prix Hugo et le Prix Nebula. Puis vient notre roman : Sans parler du chien, sortie en 1997, qui reçoit le prix Hugo et le Prix Locus à sont tour, puis en France le Prix Bob Morane et le Prix Kurd Laßwitz en Allemagne…
et mes amis, c’est vraiment mérité tout ça, parce que cette approche de la SF est un ovni dans le monde des littératures de l’imaginaire. Imaginez un zeste de Welles, une pincée de Jane Austen, croisé avec des dialogues de Samuel Beckett, un brin d’Agatha Christie, le tout saupoudré de Jerome K. Jerome, avec une grande dose de Connie Willis, évidemment. Car oui, pour ceux qui connaissent l’œuvre de Jerome K. Jerome, le titre s’inspire directement de son ouvrage Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien), roman comique de 1889 où trois gentleman décide de partir faire un Tamise trip (^^) avec Montmorency : le chien.

Mais revenons à Sans parler du chien (mais lequel ?). L’histoire se déroule dans un futur proche ou les voyageurs temporels sont débordés à cause de la tyrannique Lady Shrapnell, laquelle a décidé de reconstruire à l’identique la cathédrale de Coventry détruite en 1940 par un raid aérien allemand. Pour cela, tout doit être parfait dans les moindres détails. Lady Shrapnell a donc envoyé ses meilleurs hommes avant le Blitz observer les éléments de la cathédrale et retrouver où ils ont terminé pour pouvoir les retrouver et les intégrer à l'ouvrage, dont la fameuse potiche de l’évêque de Coventry, objet qui aurait en 1888 bouleversé la vie de l’une des ancêtres. Malheureusement pour Ned Henry, la potiche est introuvable, malgré ses fouilles titanesques au sein des trésors de guerre retrouvés plus tard, malgré ses sauts temporels intempestifs dans les brocantes et marchés de toutes époques pour la retrouver : elle a disparu. Or, elle se trouvait bien dans la cathédrale pendant le raid, elle est indestructible et d’une incroyable laideur – ce qui implique que personne n’aurait du vouloir la voler - mais elle s’est volatilisée. Ned Henry repars donc à son QG les mains vides, victime d’un terrible déphasage temporel, mal bien connu de ceux qui ont fait trop de sauts dans le temps et qui se présente sous la forme d’une perte de conscience de la réalité et d’une tendance à faire des envolées lyriques plutôt que de tenir un discours sensé et réfléchi. Malheureusement pour lui encore, alors qu’une bonne nuit de sommeil aurait suffit à le rétablir, Ned Henry se retrouve dans l’obligation de participer à une mission imprévue : en effet, l’une de ses collègues a malencontreusement ramené de l’an 1888… un chat. Or, tout le monde sait qu’il ne faut rien ramener de ses voyages, de peur de provoquer un paradoxe temporel et de faire s’écrouler l’univers entier. Affublé d’une moustache victorienne, d’un canotier, d’un panier en osier mais surtout terriblement déphasé, Ned Henry se retrouve propulsé dans l’Oxford de l’époque de Jerome K. Jerome… sans avoir compris un traître mot de ce qu’il devait faire. Diantre, que j’ai rit mes amis. Je suis étonnée que Connie Willis soit américaine (du Colorado) vu son humour anglais parfaitement maitrisé, tout en finesse, subtilité, et coups de théâtre. Cette facilité à mélanger les époques, à adapter sa prose en fonction de son sujet – et quelle prose !- et cette maîtrise du dialogue : incroyable. Il m’a fallu parfois me concentrer pour suivre ces dialogues kafkaïens, à mon sens digne des meilleurs lignes d’En attendant Godot par leur absurdité crasse, mais si savoureux et terriblement drôles. Je me suis gondolée quoi ! C’est le bon mot, d’ailleurs, car le passage où Ned Henry, sont compagnon gentleman Terrence, le bouledogue Cyril et le professeur Peddick (vieillard déjanté) naviguent sur la Tamise est une ode à Trois homme sur un bateau, et c’est une partie de l’histoire vraiment poilante. Les personnages qu’il croise au fil de son voyage sont des caricatures de l’époque victorienne, que l’on dirait issus du pire d’Orgueil et préjugés, et ont chacun un rôle bien précis dans le dénouement final de l’affaire, dont il faut suivre avec attention les nombreux méandres imaginés par l’auteur, de quoi parfois vous sentir… déphasé. Les références littéraires sont légion dans le roman : Jerome K. Jerome, P. G. Wodehouse, Agatha Christie (pour l’énigme de la potiche de l’évêque !), Connie Willis est une visiblement une amatrice de littérature et ne se gêne pas pour piquer, remanier, et rendre hommage aux auteurs cultes qu’elle aime. Et moi j’adore ça ! Par certains aspects, ça m’a grandement fait penser à l’Affaire Jane Eyre de Jasper Fforde, encore un petit chef d’œuvre d’absurdité fantastique littéraire qu’il va me falloir vous faire découvrir. Alors voilà, un roman de Science-fiction comique, intelligent, bien écrit et qui devrait plaire à un type très large de lecteurs, fans de SF mais surtout amoureux de la littérature et musclés du zygomatique. Votez pour Connie Willis.

Si tu vois ça cher ami de Bragelonne, je veux bien le SP.


Son nouveau roman sort en France cette rentrée littéraire, il s’appelle Blackout, est édité par Bragelonne, se passe pendant le Blitz, est un dyptique, a déjà reçu le Prix Locus, Hugo et Nebula, et va roxer du poney grave, moi je l’sens les amis, je l’sens.


PS : Hugh Laurie a raconté Trois hommes dans un bateau, voilà un extrait !