Jean de LA FONTAINE : Le Lièvre et la Tortue

Par Unpeudetao

  Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
   Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
   Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
   Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?
   Repartit l’Animal léger.(2)
   Ma Commère, il vous faut purger
   Avec quatre grains (3) d’ellébore.
   Sage ou non, je parie encore.
   Ainsi fut fait : et de tous deux
   On mit près du but les enjeux.
   Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire ;
   Ni de quel juge l’on convint.
   Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
   J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
   Il s’éloigne des Chiens, les renvoie aux calendes,
   Et leur fait arpenter les landes.
   Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
   Pour dormir, et pour écouter
   D’où vient le vent, il laisse la Tortue
   Aller son train de Sénateur.
   Elle part, elle s’évertue ;
   Elle se hâte avec lenteur.
   Lui cependant méprise une telle victoire ;
   Tient la gageure à peu de gloire ;
   Croit qu’il y va de son honneur
   De partir tard. Il broute, il se repose,
   Il s’amuse à toute autre chose
   Qu’à la gageure. À la fin, quand il vit
   Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
   Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
   Furent vains : la Tortue arriva la première.
   Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
   De quoi vous sert votre vitesse ?
   Moi l’emporter ! et que serait-ce
   Si vous portiez une maison ?

Jean de LA FONTAINE (1621-1695).

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