Turpitudes viennoises

Publié le 25 juin 2012 par Popov

Renée Fleming, une des plus grandes interprètes de Strauss chante Arabella à l'Opéra Bastille, une œuvre créée à Dresde dans les années trente, d'une modernité intacte.

Une des raisons de la modernité du livret d'Hugo van Hofmannsthal est sans doute la valse hésitation entre comédie et tragédie qui parcourt jusque dans ses dernières lignes Arabella, cet opéra écrit pour son complice Richard Strauss avant la période Stefan Zweig. Cette valse hésitation finit par aboutir à un double happy end après une sorte de bégaiement musical étourdissant. Seul un bon verre d'eau aussi important qu'un verre de lait chez Hitchcock (verre d'eau synonyme de "oui" dans un mariage viennois) pourra mettre fin à ce mélo digne de Lubitsch. Conçu vingt ans après Le Chevalier à la rose, Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss, Arabella sous la baguette de Philippe Jordan permet d'entendre sur la scène de Bastille une cantatrice d'anthologie, Renée Fleming. Au sommet du sommet de son art, même si les mauvaises langues testent sans pitié son legato qui s'estompe alors que son génie est dans les mi-voix.

Interrègne viennois

Le baryton allemand Michaël Volle, wagnérien mais aussi straussien (il fut le Jochanaan de Salomé), incarne Mandrika, le riche et amoureux propriétaire terrien un peu benêt qui va se cogner au mur des apparences de la société viennoise décadente comme un Schpountz exclu des code aristocratiques. Mais Arabella, frivole, est aussi fleur bleue avec une conception du mariage de lectrice de roman rose. Elle veut bien sauver son nobliau de père désargenté et joueur mais il lui faut trouver un prince charmant aussi inaccessible en théorie qu'à une trentenaire abonnée à Elle.

Les problèmes d'argent dans cette société austro-hongroise régentent tout. Au point de travestir en garçon, la sœur cadette d'Arabella, Zdenka (Julia Kleiter en totale maîtrise du rôle), faute de pouvoir payer sa dot. Ce subtil ressort dramatique permet quelques quiproquos sophistiqués, jeux de miroirs et dédoublements que les décors à facettes de Marco Arturo Marelli (qui est aussi metteur en scène) mettent subtilement en valeur sur une scène "prolongée" aux façades changeantes.

Car la jeune femme qui écoute les confessions pénibles des prétendants d'Arabella a aussi une libido et aime en secret Matteo (le ténor joseph Kaiser, impérial dans le rôle). Le monde instable de la société austro-hongroise y danse une ultime valse sur un tapis glissant. Cette histoire à l'eau de rose permet à Strauss des développements lyriques d'une grande intensité. Lotte Lehmann aurait dû créer le rôle à l'époque mais les nazis sont arrivés. Renée Fleming, c'est tout de même quelque chose!


À l'Opéra Bastille jusqu'au 10 juillet 2012

Arabella de Srauss 
Comédie lyrique en 3 actes (1933)
Kurt Rydl (Graf Waldner), Renée Fleming (Arabella) Julia Kleiter (Zdenka) Michael Volle (Mandryka )Joseph Kaiser (Matteo)