Faut il encore reformer la police nationale pour reussir une politique de securite ?

Par Jfherdhuin

Dans une récente tribune du Monde l’ancien ministre de l’intérieur persiste à affirmer la réussite de la politique de sécurité de la droite depuis 2002 sur la base de statistiques inexactes ; D’une part elles ne suffisent pas à refléter l’état réel de la délinquance, et d’autre part elles ont été largement manipulées.

Dans son édition du 31 aout Le Monde se pose la question de savoir si Manuel Valls et la gauche réussiront en matière de sécurité. Ayant exercé mes fonctions de commissaire de police et de directeur départemental de la sécurité publique dans les départements les plus  difficiles je souhaite apporter mon témoignage et faire part de mes aspirations pour les forces de sécurité.

La droite conçoit la police comme une police de maintien de l’ordre, c’est son credo. Comme il était difficile d’obtenir des résultats en matière d’emploi, dans un contexte de crise il est vrai, Nicolas Sarkozy a tout misé sur la sécurité. C’est pour cette raison que la pression exercée sur les chefs de service de la police nationale a permis d’afficher de bons résultats alors que les statistiques ne peuvent refléter l’état réel de la délinquance surtout quand on manipule les chiffres.

La police de maintien de l’ordre s’est étendue bien au-delà de la police nationale et de la gendarmerie ; des lois sécuritaires ont été votées par la droite pour imposer aux magistrats cette conception de la police et imposer une justice de maintien de l’ordre. Dans les quartiers cette conception guerrière de la police a fait des dégâts, les rapports avec la population se sont envenimés au point qu’en 2005 après la tragédie de Clichy sous Bois on a du instaurer un couvre feu pour la première fois depuis la guerre d’Algérie.

Sans  prendre de risque, la gauche peut annoncer qu’elle fera « l’inverse de Sarkozy » en matière de sécurité.

Cependant les citoyens attendent immédiatement des résultats. Après les tumultes dans les quartiers d’Amiens, les règlements de compte de Marseille et le foisonnement de la petite et moyenne délinquance qui sont le terreau du banditisme il ne faut pas se perdre dans des débats doctrinaires sur fond d’idéologie. Il y a des mesures à prendre rapidement qui ne doivent pas faire sombrer le budget de l’intérieur,  avec les forces existantes. Il convient de les répartir, des les réorienter et de les utiliser autrement. Toutes les résistances qui surviendront de l’intérieur se feront sur la base de corporatismes qui doivent être ignorés. Il n’y aura pas d’adhésion des personnels sans concertation, et c’est la concertation dans les commissariats, dans les services locaux qui doivent être privilégiés.

Il n’est pas admissible que les élus, quelque soit leur poids politique, réclament le classement de leurs communes, de leur département en zone prioritaire lorsque le dispositif policier ou des gendarmes permet d’assurer la tranquillité publique. On ne peut se saisir de tous les faits divers, et même des pressions exercées par certains administrés pour obtenir des moyens comparables aux quartiers les plus difficiles de France. Céder à ces pressions serait une cause d’échec. Il en est de même pour les pressions exercées par les fonctionnaires.

Comment procéder ?

La Police de proximité telle qu’elle a été conçue avant 2002 a échoué car elle a été imposée « d’en haut » sans tenir compte de réalités locales. Dans certains endroits il était indispensable d’appuyer la police de proximité et ses ilotiers par des unités d’intervention qui devaient les soutenir en permanence. Ces unités ont été supprimées ou réduites sans que les compagnies de CRS, plus ou moins de passage, ne parviennent à imposer la présence de leurs collègues des commissariats locaux.

Les policiers de terrain ont mal vécu cette mise en place d’une police de proximité mal ficelée. Dans les quartiers, les ilotiers ont été rejetés, souvent humiliés et blessés, sans disposer de recours immédiats pour s’imposer.

 Nicolas Sarkozy a détruit la police de proximité qui répondait cependant à une attente des citoyens et des élus, de gauche comme de droite. Il conviendra de la reconstruire sans jamais se priver des moyens de coercition indispensables pour affirmer sa présence dans les quartiers. L’appellation de police de quartier parait aujourd’hui plus conforme et correspond tout à fait à la notion de zones de sécurité  prioritaires.

Les  forces mobiles de sécurité, C.R.S et escadrons de gendarmerie, doivent être réduites très sensiblement. Une étude de leur emploi, de leurs missions et de leur coût doit être effectuée. Cela a déjà été fait mais l’Administration se heurte à de très fortes résistances.

Dans les C.R.S., des réseaux d’influence se sont constitués dont les principaux acteurs appartiennent à la franc maçonnerie. Ils disposent de relais très puissants dans la haute hiérarchie :  Dans la police c’est un secret de polichinelle. Les fonctionnaires des CRS, qui subissent certains sacrifices en déplacement, bénéficient de compléments de traitement très intéressants. C’est à partir de ces avantages que le niveau actuel des effectifs des C.R.S est maintenu même s’il a été réduit avec la R.G.P.P. Lorsque l’administration veut supprimer une compagnie ce corporatisme particulier entraine des mouvements spectaculaires à l’occasion desquels les élus des communes qui hébergent des CRS sont sollicités avec succès. Des campagnes de presse sont organisées et finalement l’administration renonce toujours à supprimer des compagnies de C.RS.

Il faut reconnaitre qu’au cours de notre histoire les CRS ont toujours su faire preuve de professionnalisme et de dévouement. Dans maintes occasions ils ont évité des drames et souvent, en sécurité publique, même si parfois j’ai attendu longtemps, j’ai été soulagé de les voir arriver au cœur des émeutes pour rétablir l’ordre. Toutefois c’est une organisation et une répartition des forces surannées datant de périodes marquées par des mouvements sociaux qui n’ont plus le même caractère. Dans l’histoire du maintien de l’ordre ils ont remplacé l’armée qui réprimait les manifestations ouvrières dans le sang.

Les gouvernements ont toujours renoncé à réduire les forces mobiles par crainte de ne pouvoir gérer des services d’ordre importants avec des effectifs aguerris. Les réseaux d’influence utilisent cette peur pour maintenir un dispositif qui ne correspond plus aux besoins contemporains du maintien de l’ordre.

CRS et escadrons mobiles de gendarmerie s’observent mutuellement et se jalousent pour assurer les missions les plus avantageuses et les plus prestigieuses. Il y a plusieurs milliers de fonctionnaires à redéployer dans les services locaux sans prendre de risque avec les impératifs du maintien de l’ordre.

Des unités départementales ou régionales peuvent être affectés à des missions locales et se regrouper pour faire face à des évènements spontanés. Il n’y aurait pas de frais d’hébergement, pas de frais de déplacements, ni d’indemnités autres que celles qui découlent des heures supplémentaires. On maintiendrait, bien sûr, les CRS et les escadrons dans les agglomérations et les zones où leur emploi est le plus fréquent. Par les temps qui courent je n’ai toujours pas compris pourquoi de telles réformes n’ont pas été effectuées.

Ne pas garder des murs

La gauche avait pensé que pour se rapprocher des citoyens le meilleur moyen était de multiplier les bureaux de police. Cela a eu pour effet de paralyser de nombreux fonctionnaires de police dans des locaux, souvent inadaptés en pensant satisfaire les revendication des élus. Avec un bureau de police on assure la sécurité dans un périmètre de cent mètres et on supprime une patrouille pédestre ou motorisée.

Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont conçu la police d’agglomération sur les fondements d’une police de maintien de l’ordre. C’est aussi une police d’état major, hyper centralisée, très couteuse en personnel sur le modèle de la préfecture de police. Les concepteurs de la police d’agglomération sont des proches de l’ancien président de la République, comme  le Directeur Général de la Police Nationale de l’époque, le Préfet de Police et leurs proches.

La notion de bassin de délinquance a été découverte par le criminologue Alain BAUER, alors Président de l’Observatoire National de La Délinquance et des Réponses Pénales pour justifier un besoin évident de coordination et de mutualisation des effectifs. Il en est de même de l’utilisation des fichiers de police, des moyens de police scientifique et par exemple de la circulation.

Que la délinquance en région parisienne et dans les grandes agglomérations s’affranchissent totalement des frontières administratives est une évidence qui n’aurait même pas échappé à Vidocq ou aux brigades du Tigre. Il y avait un véritable besoin de renforcer la coordination des services de police au niveau des agglomérations et même au-delà. Mais on en a profité pour balayer les échelons locaux au détriment du besoin de proximité de la police avec les maires et tout ce qui constitue la vie locale où les commissaires de police doivent pouvoir répondre aux besoins de sécurité. Les états majors sont trop éloignés, renseignés par des salles de commandement départementales elles même souvent éloignées des commissariats excentrés. A titre d’exemple, il est impossible pour un état major parisien de diriger des opérations de maintien de l’ordre à Sevran, en Seine Saint Denis, en déléguant un commissaire parisien ou issu d’un autre commissariat. Le lendemain c’est le commissaire de Sevran qui devra faire face aux conséquences d’une opération de police inadaptée, assurée avec des effectifs venant d’ailleurs qui ne connaissent pas la population, ni les lieux.

Il conviendra donc de restaurer l’autorité de la hiérarchie locale et départementale avec une plénitude de responsabilité qu’il s’agisse du maintien de l’ordre  ou de la police générale. Il va de soi que l’échelon central de l’agglomération conserve le pouvoir hiérarchique sur les échelons locaux sans se substituer à eux pour l’exécution de leurs missions.

Les commissaires de police sous l’autorité des préfets et des parquets doivent être à même de définir une politique de sécurité au niveau local. Les objectifs seraient définis avec les maires, conformément aux objectifs nationaux, et adaptés au niveau de la commune. Les commissaires de police, toujours sous l’autorité des préfets, rendraient compte deux fois par an de l’exécution des objectifs devant le conseil municipal.

Les rapports avec la justice

Il est malheureusement pratiquement impossible aujourd’hui de définir une politique locale de sécurité avec la participation des magistrats. Les groupes locaux du traitement de la délinquance (GLTD) sont pourtant les meilleurs instruments d’une politique locale de sécurité, qu’il s’agisse de s’intéresser à un quartier ou à des individus. Il en est ainsi pour développer des mesures de prévention et de traitement social ou bien en matière de répression. Trop souvent les magistrats se retranchent derrière le principe de l’indépendance de la justice pour ne pas entendre ce que savent les acteurs de terrains sur les dérèglements des quartiers qu’ils connaissent. Il est pratiquement impossible de rencontrer un juge pour enfant sur le terrain et c’est souvent à reculons que les substituts des mineurs assistent à des réunions de travail dans les quartiers. Il y a là une des clés de la réussite d’une politique de sécurité.

La vidéosurveillance

Les marchands de diagnostics de sécurité, se sont implantés auprès et dans la police nationale pour vendre également des « superviseurs urbains » avec toute la vidéosurveillance qui l’accompagne. Certaines municipalités ont payé très cher cette vidéo-protection (comme on l’appelle pudiquement) et ne peuvent plus se dépêtrer de ce système même quand ils n’ont pas obtenu d’amélioration de la sécurité. La vidéo-surveillance se justifie dans certains lieux sensibles (métros, gares, aéroports, stades, grands centres commerciaux…) mais on ne peut attendre de sa généralisation une amélioration sensible de l’état de la délinquance sur un long terme.