La jeune fille et la mort (terres fécondes pour la schizophrénie aux États-Unis)

Par Borokoff

A propos de Killer Joe de William Friedkin 

Matthew McConaughey

Aux États-Unis, Chris (Emile Hirsch), dont le jeu et le physique font parfois penser à ceux de Di Caprio) n’a que 22 ans mais une sacrée poisse : petit dealer texan, il doit 6 000 dollars à une mafia locale qui a juré de lui faire la peau. Chris ne voit qu’une solution pour s’en sortir : faire tuer sa propre mère, alcoolique notoire que lui et sa sœur Dottie détestent, et toucher l’énorme assurance vie qu’elle a contractée et qui s’élève à 50 000 dollars. Pour exécuter cette tâche, il a la bonne idée de faire appel à Joe Cooper (Matthew McConaughey), policier véreux également réputé pour ses talents de tueur à gages qui lui permettent d’« arrondir ses fins de mois ». Comme ni Chris ni son père ne peuvent avancer les 25 000 dollars que réclame Cooper avant de commettre son crime, le tueur à gages leur propose un « deal » : prendre une « caution » en chair et en os, Dottie en l’occurrence. Chris et son père acceptent, Chris en rechignant un peu. Mais a-t-il le choix ?…

Killer Joe est l’adaptation d’une pièce éponyme de l’Américain Tracy Letts (1993) – également auteur du scénario –  et l’œuvre du célèbre réalisateur de L’exorciste (1973).

A plus d’un titre, Killer Joe évoque d’anciens films des frères Coen comme Fargo ou The barber : l’homme qui n’était pas là, à la fois dans l’ambiance poisseuse qui règne dans ce « trou » paumé des États-Unis et le côté sordide voire vaniteux des personnages.

Juno Temple

Comme dans les deux films précédemment cités des frères Coen, Killer Joe décrit l’engrenage fatidique dans lequel vont se plonger un père et son fils aussi idiots et naïfs que dépourvus de scrupules voire de toute morale.

L’histoire de ces paumés misérables, ces antihéros minables du fin fond du Texas, s’accompagne d’un déluge de violence et d’effusions de sang dont il faut prévenir le spectateur, notamment vers la fin du film. Âmes sensibles, s’abstenir donc…

L’absence de morale, c’est en tout cas ce qui arrange notre Joe Cooper (et anti Gary Cooper en l’occurrence), shérif local pourri et malsain à souhait qui va profiter de toute cette misère humaine pour s’approprier les charmes et le corps de Dottie (Juno Temple), jeune fille prude mais bien vite dévoyée. Innocente, pure, Dottie  est le symbole de la vierge névrosée, barrée par une enfance horrible, traumatisée par une mère qui tenta de l’étouffer à sa naissance ! Forcément, on a vu mieux comme départ dans la vie. « On ne choisit pas sa famille », comme dit le chanteur, et Dottie a beau prévenir deux fois Cooper que ses « yeux font mal », c’est-à-peine s’il l’écoute.

Matthew Mc Conaughey impressionne en tout cas et confirme le virage à 180° qu’a pris sa carrière depuis quelques années, avec des personnages beaucoup moins lisses que ceux qu’il avait coutume de jouer. À l’image de l’avocat mafieux qu’’il incarnait dans La défense Lincoln, Cooper est un personnage sombre et sans vergogne. Dommage que la mise en scène ne fasse pas davantage ressortir son ambiguïté, celle dont parlait McConaughey dans une interview mais que l’on ne sent pas assez ici : « Il (Cooper) veut aider la jeune fille à se libérer, et réalise qu’il pourrait se sauver lui-même par la même occasion. Il n’agit pas ainsi par suffisance, mais plutôt dans l’esprit de l’Ancien Testament, d’une façon quasi apocalyptique, pour donner une leçon à Chris, à Ansel, et surtout à Sharla… »

Si Cooper est un anti-héros dinguot et violent avec les femmes, notamment la belle-mère de Chris, Sharla (excellente et déjantée Gina Gershon), il reste dans la lignée du shérif de The Killer Inside Me, le côté psychopathe en moins (quoi que…). Sa dégaine comme son personnage ont un petit air de déjà vu.

Reste que William Friedkin parvient à donner de cette Amérique profonde une image réaliste et tristement saisissante, avec son cortège de « losers » et de marginaux perdus et ultra violents. Donnant l’impression  au spectateur d’assister à une vision de l’Apocalypse dans cette d’arrière-cour putride de l’Amérique. Si les espaces dans lesquels ces personnages évoluent et vivent  semblent « trop grands pour eux » (dixit avec lucidité Chris), ils constituent aussi le terreau idéal pour leur névrose…

http://www.youtube.com/watch?v=d0Y5AcfD3Js

Film américain de William Friedkin avec Matthew McConaughey, Juno Temple, Emile Hirsch, Gina Gershon… (01h40) 

Scénario de Tracy Letts d’après sa propre pièce de théâtre  : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Dialogues : 

Compositions de Tyler Bates :