Tibhirine : le témoignage inédit du dernier
moine rescapé
Lyon. Dans « L’esprit de
Tibhirine », une enquête du journaliste du « Progrès » Nicolas Ballet publiée
cette semaine par les éditions du Seuil, le frère Jean-Pierre Schumacher livre
un témoignage inédit et personnel. Il est aujourd’hui le dernier rescapé de
l’enlèvement, en 1996, en Algérie, de sept moines français du monastère de
Tibhirine.
Dans
la nuit funeste du 26 au 27 mars 1996, à l’intérieur du monastère de Tibhirine,
dans l’Atlas algérien, le frère Jean-Pierre échappe à la mort.
Sept
des neuf moines trappistes français sont enlevés, pas lui, ni le père Amédée. Il
est 1 heure du matin. En temps normal, les moines de Tibhirine se lèvent à 3
heures 15 pour le premier office de vigiles. Dans le noir de sa chambre, d’où il
découvre des mouvements suspects à l’entrée du monastère et aperçoit un homme en
turban portant une arme en bandoulière, le frère Jean-Pierre n’est pas « très
rassuré ». Il s’agenouille pour prier et demander « la protection du Seigneur ».
Dans « L’esprit de Tibhirine », le moine livre un fait qu’il n’avait jamais
relaté et qui a bouleversé sa vie : un homme a tenté d’ouvrir la porte de sa
chambre, sans y parvenir, alors même qu’il continuait de prier, à deux mètres. «
La poignée tournait dans le vide, car, comme tous les soirs avant de me coucher,
j’avais décroché le loquet, par sécurité », explique-t-il. Dans la nuit noire de
Tibhirine, la mort l’a frôlée mais ne l’a pas enlevé.«
L’esprit de Tibhirine » est le fruit d’une rencontre d’une très grande
profondeur entre le frère Jean-Pierre et Nicolas Ballet, journaliste à la
rédaction de Lyon du Progrès. C’est d’ailleurs ici même, dans ces colonnes, que
l’histoire a commencé, au travers d’une enquête journalistique de plusieurs mois
consacrée aux connections lyonnaises du drame de Tibhirine. L’enquête publiée en
mars 2011, titrée « Tibhirine : tous les chemins mènent à Lyon », a valu la même
année au journaliste lyonnais le 3 e prix de la presse quotidienne régionale
attribué par la fondation Varenne.L’histoire
ne s’est pas arrêtée là. Elle s’est poursuivie à Midelt, dans l’Atlas marocain,
où le moine trappiste, dans un autre monastère haut perché, continue depuis 2000
d’être fidèle à l’esprit de Tibhirine, c’est-à-dire au dialogue sans
prosélytisme entre chrétiens et musulmans « en milieu musulman ». « Rien n’est
écrit […]. Comme dans un laboratoire, nous avançons pas à pas […]. Notre projet
[…] est de dialoguer, tout simplement, et d’être là sans faire de bruit »,
explique au Maroc le frère Jean-Pierre Schumacher, un petit homme frêle né en
1924 à Buding en Moselle, dont l’histoire personnelle commencée à la frontière
allemande a épousé les drames du XX e siècle.«
Je ne suis pas triste », dit « le survivant » de Tibhirine. Il repense chaque
jour à ses frères assassinés, tout en affrontant des interrogations récurrentes
: « Que s’est-il passé ? Et pourquoi le Seigneur nous a-t-il gardés en vie,
nous, et non point les autres ?Le
monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Midelt, est aujourd’hui la « mémoire vivante
» de Tibhirine. Dans l’épilogue du livre publié par les éditions du Seuil,
Nicolas Ballet y relate un geste, « son » geste, pour y renforcer un lien qui
paraît aussi fort et solide que fragile et ténu.« L’esprit de Tibhirine ». Editions Seuil. 17 euros. http://nicolasballet.blogspirit.com