Le patrimoine pour tous, tous pour le patrimoine?

Publié le 11 septembre 2012 par Bordeaux7

Entretien avec Marc Barani, 55 ans, architecte, anthropologue et scénographe, honoré par le prix de l’Équerre d’argent en 2008 (équivalent du Prix Goncourt), et commissaire invité de cette nouvelle édition d’Agora.

À cette occasion, il s’est emparé de la problématique bordelaise où la tension entre patrimoine et modernité est au cœur des enjeux liés à l’évolution de la ville et de l’agglomération, pour développer une réflexion globale sur la notion de patrimoine à travers l’exposition «Patrimoines : Héritage/Hérésie» au H14, illustrant les “parcours” architecturaux de six villes : Bordeaux, Beyrouth, Dubaï, Dresde, Ouagadougou et Rotterdam.
Quel propos développez-vous dans «Patrimoines : Héritage/Hérésie» ?
Le titre porte la réflexion. Une société qui conserve et vénère son patrimoine, s’ankylose. Celle qui choisit de ne rien conserver tend vers l’éclatement. C’est bien dans la tension entre ces deux extrêmes que tout se joue. Il s’agit de trouver la bonne distance. Autrement dit, avoir un projet pour le patrimoine ; en hériter, se demander ce qu’on en fait, comment le transmettre… En allant plus loin, on peut tenter une définition radicale, le patrimoine c’est ce qui est disponible pour le futur.
Qu’est-ce qui relève de cette notion de patrimoine ?
C’est un regard culturel qui varie d’une société à l’autre. En Occident, lorsque nous parlons de patrimoine, nous pensons le plus souvent à la sauvegarde de la matière. Or, dans d’autres pays, elle compte moins. C’est ce que nous apprennent les phénomènes de mondialisation des cultures. Le patrimoine, c’est potentiellement le monde. C’est ce que nous montrons dans l’exposition.
De quelle manière ?
Nous partons de l’échelle des bâtiments dans une première partie pour interroger la matière, la mémoire et la forme des constructions. Dans un second temps, nous montrons à travers cinq villes dont les centres-villes ont été reconstruits qu’il existe des permanences dans les structures urbaines. Nous constatons que les bâtiments changent vite, le parcellaire évolue, mais plus lentement, tandis que le tracé lié à l’espace public reste permanent. Construire aujourd’hui, c’est penser à ce que l’on transmettra demain.
Vous vous êtes entouré de collaborateurs…
J’ai constitué une équipe composée de la scénographe Birgitte Fryland, des graphistes Evelyn Ter Bekke et Dirk Behage et du vidéaste Christian Barani, mon frère. Nous présentons 11 films qui montrent des regards croisés sur le patrimoine. Nous avons fait ce choix pour s’adresser à tous et les mettre en ligne sur le site Internet de la ville après la biennale qui ne dure que 4 jours.
Le cycle des débats au sein d’Agora met notamment en avant l’idée que l’architecture peut être issue d’une démocratie horizontale. Croyez-vous au consensus?
Il faut mettre en débat les projets. C’est important. Bordeaux fait ce travail. Mais il y a une responsabilité dont le choix final ne peut pas être dilué. Il doit revenir à l’architecte, la puissance publique ou le maître d’ouvrage.
Pour les Bordelais comme pour les Parisiens, la question de la propriété patrimoniale est centrale. Comment réinventer des manières d’habiter dans ces conditions ?
Les projets de réhabilitation des centres-villes posent cette question de l’habitat et de l’habité. Le logement social est une alternative en réintroduisant de la mixité. Les villes ont tendance à se focaliser sur certaines classes sociales. À Paris par exemple, il est difficile de se loger étant donné le montant des loyers. La ville me passionne en raison de ses phénomènes de continuité et de rupture comme Mériadeck ici. La ville est vivante lorsqu’elle est multiple, lorsque son patrimoine ne l’homogénéise pas. •
Recueilli par Camille Carrau
Agora, du 13 au 16 septembre. «Patrimoine, Héritage/Hérésie» au Hangar 14. Entrée libre.
Programme complet sur www.bordeaux2030.fr


La biennale tisse ses toiles

Agora proprement dit ne commencera que jeudi mais, d’ores et déjà, les salles obscures ont débuté les festivités. Ainsi, l’Utopia fait écho au thème retenu par Marc Barani (lire ci-dessus) avec un cycle libanais où l’on pourra voir (dès ce soir, 17h45, pour «Autour de la maison rose») quatre films des réalisateurs Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, dont le puissant «Je veux voir» avec Catherine Deneuve, en projection unique vendredi à 20h30 en présence des réalisateurs et de Marc Barani. En outre, on pourra voir, le même jour à 18h45, «My Dubaï Life», documentaire édifiant sur la ville-État par Christian Barani – le frère de Marc –, en sa présence.
www.cinemas-utopia.org/bordeaux
Demain, débutera la 4e édition des Soirées du cinéma russe organisées par les associations russes de Bordeaux, dont le Centre des festivals France-Russie, à l’UGC Ciné Cité. Une édition spéciale, d’abord en raison d’Agora qui a conduit au choix du thème «Ville et cinéma», et parce qu’elle tombe en plein 20e anniversaire de la coopération Bordeaux-Saint-Pétersbourg. Ciné-cafés, concours de films de jeunes cinéastes russes, débats, rencontres, et surtout une rétrospective consacrée à Alexandre Sokourov, l’un des grands du cinéma contemporain russe. Sokourov que l’on pourra rencontrer samedi à 10h à la librairie Mollat, et à 17h à l’issue de la projection à l’UGC de son «Faust», 4e volet de sa tétralogie autour du pouvoir. Autres temps forts, la soirée d’“ouverture”, vendredi à 19h, avec «L’Admiratrice» de Vitaly Melnikov précédé d’un concert du Grad Quartet, et la soirée de clôture, avec l’avant-première d’«Expiation» d’Alexandre Prochkine, en sa présence.
www.fr.centerfest.ru/bordeaux
L’autre invité de marque sera le Burkanibé Gaston Kaboré, avec qui on pourra dialoguer dès demain, à 20h30 au Rocher de Palmer (Cenon), autour de son «Zan Boko», qui dépeint un village menacé par l’extension de la ville voisine (gratuit), et également à l’issue de la projection de «Buud Yam», un autre de ses chefs-d’oeuvre, samedi à 11h, à l’UGC qui donne à voir deux autres de ses films jeudi et vendredi à 11h. • SLJ
www.bordeaux2030.fr