Loi spéciale au Québec : fin de non-recevoir pour la démocratie

Publié le 18 mai 2012 par Montrealmedias @TinMarEk

Jean Charest, premier ministre libéral du Québec.

Jeudi 17 mai au soir, Jean Charest a déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi spéciale pour mettre fin au conflit étudiant. Suscitant un tollé général.

Le projet de loi 78, étudié ce vendredi à l’Assemblée nationale pour une possible adoption en soirée, a été déposé par le premier ministre libéral Jean Charest dans le but de mettre fin au conflit qui l’oppose aux étudiants en grève depuis trois mois. Ce projet vise, selon Charest, à mettre fin aux blocages qui empêchent les étudiants désireux de rentrer en classe de pourvoir suivre leurs cours, malgré les injonctions prononcées par les tribunaux[1].

Mais la loi, si elle est adoptée, aura un impact beaucoup plus large. Elle tient en quatre points principaux :

  • Trimestre d’hiver suspendu dans les Cégeps et Universités perturbés par la grève. Reprise des cours en août.
  • Pour toute manifestation réunissant 25 personnes ou plus, les forces de l’ordre devront être informées 8 heures à l’avance du trajet, de l’heure et de la durée. Les forces de l’ordre auraient alors le droit d’ordonner des modifications dans le trajet, l’heure ou la durée[2].
  • Quiconque contrevient aux dispositions de la loi spéciale devra payer une amende allant de 1 000 à 5 000 dollars ; de 7 000 à 35 000 dollars pour un représentant ou porte-parole d’association étudiante ; de 25 000 à 125 000 dollars pour une association étudiante.
  • Amende possible en cas de soutien aux grévistes (point encore peu éclairci, mais porter le carré rouge en soutien pourrait tomber sous le coup d’une amende. Les tweets seront potentiellement surveillés également).

Liberticide

Face à ce projet de loi liberticide, qui réprime très clairement le droit de manifester et la liberté d’expression, des réactions d’indignation. De la part de l’opposition, de la part des associations étudiantes, dont la CLASSE qui envisage d’appeler à la désobéissance civile, de la part des syndicats qui évoquent une loi de « mononcles impuisants » contre une génération qui va les « botter dehors », et même de la part de certains éditorialistes, qualifiant la loi spéciale de « loi matraque ». Observons que le patronnat, lui, soutient le projet de loi 78. Étonnant non ?

Les mesures annoncées par Jean Charest ont en effet de quoi surprendre et inquiéter. Jeudi soir, en conférence de presse, ce dernier déclarait vouloir respecter le droit de manifester. Or, avec cette loi, il le tue carrément. On entrave aussi à la liberté d’association en faisant peser une terrible épée de Damoclès sur les fédérations étudiantes, incapables de payer une amende de 125 000 dollars ! Surtout, on menace chaque citoyen qui pourrait éventuellement participer à une manifestation ou seulement soutenir les grévistes.

Incohérence

Enfin, cette loi semble parfaitement incohérente. En effet, Jean Charest a annoncé jeudi soir une loi spéciale pour mettre fin aux blocages devant les Cégeps et Universités perturbés par la grève. Soit. Il annonce également que les cours dans les Cégeps et Universités seraient suspendus jusqu’en août. Dès lors, a-t-il besoin de faire passer une loi spéciale si les cours sont suspendus ? Plus de cours, plus de blocages !

Ainsi, on saisit bien tout l’enjeu de cette loi 78. Instaurer un climat autoritaire, voire un climat de peur, afin de contraindre le peuple à ne pas user de son droit le plus élémentaire. À l’instar de l’anarchiste Normand Baillargeon, entre autres chroniqueur dans l’hebdomadaire gratuit Voir.ca, porter le carré noir en signe de contestation semble être un premier réflexe salutaire. Car il ne s’agit pas d’une loi de sortie de crise, mais d’une loi autoritaire et dangereuse. Une menace. Une fin de non-recevoir pour la démocratie.[3]

Actualisé à 17 h 00 : Un nouvel amendement porte le nombre de manifestants à 50 au lieu de 25.


[1] Un bel exemple de judiciarisation de conflits sociaux, contre les votes d’assemblée générale. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2012/04/19/004-professeurs-judiciarisation-greve.shtml

[2] Le nombre initial était de 10 personnes, élargi à 25 après lecture à l’Assemblée nationale.

[3] Une pétition en ligne contre le projet de loi 78 est disponible sur Internet, en suivant ce lien : http://www.loi78.com/