[anthologie permanente] Franck Venaille

Par Florence Trocmé

Parfois c’était vraiment trop,  
Vraiment trop gris. 
Je ne sais quelle matière terrestre 
& ce long roulement de tambours à la sortie des eaux. 
J’ 
   ai évoqué le gris. 
Il existait bien les trains pour le fuir 
Mais comment s’y retrouver entre toutes ces voies ?  
Un jour l’enfant-en-moi m’a dit que mes silences étaient si 
profonds, si étrangement tristes 
Que ! 
& je l’ai cru. 
C’était pourtant bon de se taire 
De s’approprier sa part, fût-elle modeste, de lumière grise. 
De prendre place dans ce bonheur insolite. 
Être simplement cela : 
Un silence dans la lumière grise. 
• 

Manière d’être. 
 
À l’intérieur du corps : l’humide 
Dehors, face au vent nu : le froid 
Manière d’être pour tout le monde ! 
Le grand soleil de plâtre 
Les bâches noires sur les eaux 
Les noyés, côte à côte dans le sable, alignés. 
Et les oiseaux, dites, les oiseaux ? 
Ils se querellent jusqu’au tutoiement érotique. 
Maintenant que mon désir 
M’a fait rejoindre d’autres amoureux des ailes 
Demeure-moi fidèle 
Monde de peu de joie ! 
• 

 
la beauté on s’en saisissait au milieu d’oiseaux sentimentaux 
frôlant la mer, criant & davantage 
on lavait la plage à grande eau 
c’était pour se faire aimer des couples, de 
ces milliers de couples volant sur le dos 
un tapis de miracles 
& j’aimais entendre leurs rires 
suivre leur incitation à s’aimer 
toutefois il arrivait que le cri d’un prédateur 
immobilise la mer entière 
& nous rentrions, chacun son galet lourd en main 
chacun son niveau de regret au plus haut. 

Frank Venaille, Chaos, p.39 à 42, éditions Mercure de France, 2006. 
 
[Choix d’Ariane Dreyfus] 
  
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