Apparition du mot bergère "aulhèra" en Pays toy

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

par Renaud de Bellefon

Bonjour,

Voici quelques réflections et souvenirs suite à la lecture de votre note « La transhumance en vallée de Barèges »...

Je suis en train de travailler un peu sur ce sujet.

Pendant la guerre 14-18, un féminin est apparu au mot de berger (gardien/gardienne) de brebis (aulhèr/aulhèra), graphie employée par Xavier Ravier, selon A. T. Scmitt dans sa thèse « La terminologie pastorale dans les Pyrénées centrales », Droz 1934.  je crois que j’ai ce document dans un grenier, il faut que j'aille le rechercher.

Son idée, si je me souviens bien, c'est que la féminisation du mot aulhèr en vallée de Barège impliquait la féminisation de l'activité à la même époque. Les hommes étant à la guerre, les femmes s’occupaient du gardiennage des troupeaux.

Toujours dans Xavier Ravier (Poèmes chantés des Pyrénées Gasconnes (1)), outre qu'on trouve dans plusieurs poèmes le terme "aulhèr" (NDLB : 7 occurrences et un occurence de "aulhèra"), impliquant donc la garde des brebis, les poètes de Gèdre : Jean-Louis Porte-Labit et Bernard Bordères (2), au début du XXe siècle, font explicitement référence à leur activité de berger. Notamment le dernier qui voulait être curé, et dans un poème, rappelle que plutôt que d'aller au séminaire, on l'a envoyé dans la montagne garder les brebis. "Sortit det seminari / Aulhèr lo m'an botat" (vers 1904-05).

Après, si on rentre dans le détail, c'est plus compliqué. D’une part le rapport ovins/bovins passe grosso modo de 4/1 à 20/1 entre la fin du XIXe et la fin du XXe siècle en vallée de Campan, mais le mouvement est général, et la "tradition" change : on arrête de faire du lait en montagne avec les vaches, pour ne faire que de la viande. Pour les valléens de Barège, il semble que c'était plutôt les vaches qui étaient gardée (traites) et les ovins plutôt surveillés (mais depuis les courtaous), alors que les troupeaux ovins du Lavedan, par exemple à Argelès, étaient eux gardés par plusieurs bergers. Voir la description de la transhumance par Rondou.

Contrairement donc à ce que dit Marie-Lise Broueilh, il y avait une garde des troupeaux (bovins et ovins) plus ou moins serrée selon l'importance du troupeau de la maison. La tradition "immémoriale", et pourtant bien oubliée, était de traire les vaches en montagne et de faire essentiellement du beurre, vendu notamment dans les stations thermales. Non seulement les gros troupeaux d'ovins, qui affermaient les estives à la vallée, avaient des bergers, des chiens de troupeaux et des patous, mais les autochtones valléens gardaient aussi les troupeaux, de manière variable, suivant les maisons, dans le temps et peut-être l'espace.

La suite dans quelque temps...

Cordialement 

Renaud de Bellefon
historien, Campan

(1) RAVIER (X.) et SEGUY (J.), Poèmes chantés des Pyrénées gasconnes, Paris, 1978, 203 p.
Présentation sous une autre forme et avec des titres nouveaux (conflits et combats ; rire, moquerie, persiflage ; vie du pâtre) de l'étude : Chants folkloriques gascons de création locale récemment découverts dans les Pyrénées (essentiellement Lavedan et pays toy), textes en gascon et français. Musique souvent absente.

(2) Voir la table des matières

"L’aulher tot près de son Aulhera"

par B. de Menten

En cherchant "aulthera" dans mon moteur de recherche, je suis tombé sur une référence à la chanson "L'Aulher auprès de son aulhera", dans un commentaire laissé par J.S. de la vallée de Campan, en juillet 2012, dans le livre d'or du groupe Vox bigerri :  

"J’étais naturellement attirée, depuis longtemps, par le chant polyphonique, car mon enfance a été bercée par les chants traditionnels des Pyrénées. Ces chants ponctuaient tous les repas de famille. Je me suis inscrite pour la première fois, aux stages de chant organisés lors du Festival Tarba en Canta et quelle ne fut pas mon émotion lorsque lors de l’apprentissage du chant : “L’aulher tot près de son Aulhera “, je retrouvais ce chant, interprété avec les ornements musicaux et vocaux, identiques à ceux que j’avais entendus durant mon enfance, il y a une soixantaine d’années..... Ceux qui les chantaient étaient eux aussi “Aulhers“, aux environs de Sainte-Marie de Campan.
Merci à Pascal Caumont, pour son travail de recherche concernant ces chants traditionnels, qui nous plonge dans l’authenticité de nos racines et de notre patrimoine culturel Pyrénéen, et nous ouvre les portes d’autres traditions polyphoniques, aux harmoniques surprenantes."
Si je compte bien, J.S. se souvient des bergers "aulhers" chanteurs de son enfance, vers 1952. Il y avait donc des bergers en 1952 ! On est loin de “L’histoire du mouton barégeois : sa sélection au cours des âges, son mode de surveillance et de parcours libre en montagne sans gardiennage depuis la nuit des temps.” (Louis Dollo, ASPP65) Vox Bigerri a été diffusé début 2012 sur ARTE dans le cadre de l’émission DOUCES FRANCES - MIDI PYRENEES. Voir l’extrait de l’émission qui concerne le groupe des chanteurs d'apéro, comme ils se présentent.