Voyage en Stendhalie

Par Placebo

Thierry LAGET, Portraits de Stendhal, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, 2008 (220 pages).

STENDHAL, La Chartreuse de Parme, livre électronique Projet Gutemberg, gratuit et libre de droits.

L'on aura pris plus de temps que prévu pour lire le dernier grand roman de Stendhal, mais pourquoi s'en tenir rigueur, la retraite, et ses horaires, appelant à la procrastination, ce qui constitue le moindre des vices auxquels elle porte, pour peu que l'on se libère des contraintes de son ancienne vie professionnelle; le seul qui en aura souffert sera le prochain livre de la pile des « à lire », dont le volume ne diminue guère. Il faut dire que, tout enthousiaste que l'on puisse être du livre électronique, l'on aura bien souffert de la médiocre qualité de l'édition électronique, pleine d'erreurs, et l'on ne parle même pas des césures étranges des mots à la fin des lignes ni des apostrophes volantes qui surgissent à la fin des phrases; témoin :
« Enfin comme il parlait bien et avec feu, elle ne fut point choquée qu'il eût Juge a propos de prendre pour une soirée, et sans conséquence, le rôle d'attentif. »
L'ensemble est de la même eau. On sera tenu pour tatillon, mais, quand on y songe, pas plus que le conducteur qui s'irrite jusqu'à l'obsession du clac-clac inexplicable entendu un peu sous le pare-brise, du côté droit. La chose s'explique, ce qui ne justifie rien, par le choix d'une édition ancienne, partant libre de droits, et par les aléas de la conversion numérique; bref, tout a un prix, même quand c'est gratuit.
 
En parallèle, on aura beaucoup apprécié la biographie impressionniste, en cinquante trois brefs portraits, proposée par Thierry Laget laquelle permettra au lecteur curieux de se familiariser, sinon de la comprendre, avec la personnalité de ce bon bourgeois grenoblois connu à la ville sous le nom de Henri Beyle, ci-devant consul à Trieste, ses difficiles amours et la transsubstantiation littéraire de celui-ci en Stendhal.
« Tout écrivain est panthéiste, pour qui chaque mot abrite un génie qu'il doit faire sortir de la lampe. Mourir, c'est rejoindre les mots, délivrer d'un coup tous les esprits qui les ont habités, devenir soi-même le génie de son nom. Mourir, pour Beyle, c'est enfin devenir Stendhal. Le portrait n'est complet qu'à ce moment-là, composé de tous les esprits qu'Henri a tenté d'amadouer ou de révéler, avec qui il a voyagé, conversé, dont il a entendu la cantilène : esprit tapi dans la clarinette ou dans la cheminée, qu'agitait le feu ou le vent, esprit du cachou, esprits de la route de la corniche, de la lunette, de la nuit, de l'échelle, de la pluie de printemps, du lac, du paratonnerre, du miroir, du mur, de l'hirondelle, de la main, de la grappe de raisin, de la broderie ou du pantalon blanc. »
Un plaisir, fût-il accessoire, demeure un plaisir dont il serait sot de se priver, et l'on se persuade sans difficulté qu'il ne sera porté en rien atteinte à la réputation littéraire de l'auteur de ces portraits qu'on les tienne pour le Beadeker indispensable à tout voyage en Stendhalie.
Ayant de la suite, sinon de la fuite, dans les idées, on remet à demain le commentaire des extraordinaires aventures du très noble Fabrice...
Présentation :
« À partir de 1832, Beyle consigne la date à laquelle il met son premier pantalon blanc de l’année : souvent, c’est dès le 1er mai, jour de la fête du roi, et quand ce n’est pas avant le 28 juin – jour de l’Absinthe –, il juge que l’année est froide. Pendant des semaines, la boue ne souille pas le casimir du pantalon, qui ne risque d’être taché que si, dans le feu d’une conversation, on renverse une tasse de café à la panera. Le pantalon blanc est le signal du bonheur.
A-t-on conscience, emporté dans le flux des jours, du moment où l’on bascule des premières aux dernières fois : première soirée à l’Opéra, première bataille, premières amours, dernier amour, dernier pantalon blanc, dernière page, dernier mot, et certaines premières fois qui sont déjà des dernières, premières lunettes, première attaque, première chute dans le feu ? »