Les Nécrophiles Anonymes, Tome 1 de Cécile DUQUENNE

Publié le 26 septembre 2012 par Melisende

Les Nécrophiles Anonymes, Tome 1 :
Quadruple assassinat dans la rue de la Morgue

de
Cécile DUQUENNE
Editions Voy'[el],
2012, p. 185
Première Publication : 2012
Pour l'acheter : Les Nécrophiles Anonymes, T. 1

Déjà publiée chez Voy'[el] avec Entrechats, ainsi
qu'une nouvelle dans l'anthologie Arcanes, Cécile
Duquenne
se régale, cette fois-ci, à nous offrir
un récit de vampire complètement déjanté.
Sa plume décapante vous donnera assurément
envie de suivre la série des Nécrophiles Anonymes.


épomucène, préposé à la morgue, mène une vie tranquille et nocturne en compagnie de Bob, vampire d'environ 150 ans d'âge. Lorsqu'il manque devenir la cinquième victime d'un mystérieux assassin, son ami de longue date mène l'enquête. L'immortel est certain qu'une autre créature surnaturelle a commis le massacre.

omme je le disais il y a quelques semaines, j’en suis venue à m’intéresser à ce titre, d’une part grâce à son illustration (signée Jérémie Fleury) et d’autre part grâce aux très bons échos que j’en ai eus (notamment sur Bibliomania). Curieuse et très pressée de me faire ma propre idée sur l’occasion, je n’ai pas fait dormir ce titre très longtemps dans ma PAL ; sitôt arrivé, sitôt lu. Et quel bon moment de lecture, quelle belle découverte ! Je crois que tout a su me séduire dans ce court texte mais je retiens surtout l’étrange duo formé par les deux héros que tout oppose.
Népomucène, salarié à la morgue, solitaire et sans grande ambition, mène des expériences sur des animaux morts en compagnie de son compère et meilleur ami, Robert Joachim Charles-Henri de Bruyère surnommé plus simplement Bob, vampire centenaire de son état. Le troisième luron du groupe, un dénommé Edgar, est un retraité anciennement maître-apprenti de Népomucène, ayant une fascination pour les animaux empaillés qui décorent son petit chez lui poussiéreux. Les soirées entre amis pourraient ressembler à toutes les autres : rafraichissements (bière ou sang, c’est selon le consommateur) autour des épisodes de Buffy (Népomucène veut en apprendre plus sur les vampires et n’a trouvé que ce moyen détourné pour recevoir les commentaires - acerbes et dépités - de Bob) ; mais voilà que l’empailleur a une nouvelle petite amie flamboyante et déstabilisante (Népomucène n’est pas des plus à l’aise en présence féminine). Le duo de nécrophiles pourrait s’accommoder de cette nouvelle présence féminine, si celle-ci n’était pas de la police et dans les parages pour résoudre une affaire de meurtre n’ayant rien de naturel. En effet, quatre des collègues de Népomucène ont été tués et il semblerait qu’un loup-garou particulièrement dangereux soit derrière tout ça. La chasse est lancée et pour lui venir en aide, Bob fait appel à un ancien camarade…
Vous le voyez, l’intrigue générale tourne autour d’une petite enquête policière mettant en scène des créatures fantastiques dans un monde contemporain. Jusque là, rien de bien nouveau sous le soleil. C’est vrai que cet aspect du texte n’est pas particulièrement original mais à mon sens, ce n’est pas le plus important. Et puis, même si la recherche du coupable ne « paye pas de mine », ça fonctionne très bien et j’ai été la première à me faire avoir sur l’identité de celui-ci !
C’est dans la construction des personnages et dans les relations que ceux-ci entretiennent que réside, à mon goût, le point le plus pertinent de ce premier tome des Nécrophiles Anonymes. Les quelques lignes précédentes, présentant les héros de cette histoire, ont pu vous donner, je pense, une idée de leur côté décalé. Les personnalités créées par Cécile Duquenne sont riches et complexes et c’est à souligner. Nous sommes loin des coquilles vides régulièrement croisées dans la littérature « jeunesse » de ces derniers temps (j’ai qu’à lire autre chose, vous avez raison !)… alors merci !
Je n’ai pas parlé de l’ancien ami de Bob que l’on découvre un peu plus loin dans le texte. Je ne vais pas trop vous en dire, mais sachez seulement qu’il a une jambe de bois et un perroquet vampire (qui, malgré ses dizaines de décennies, n’a jamais appris à dire autre chose que « Pièces de huit ! Pièces de huit ! Pièces de huiiiiiiit ! »…). Encore une preuve que l’auteure aime les personnalités atypiques ! Les femmes sont peu présentes dans cette histoire et n’occupent que des places secondaires, mais elles font fortes impressions à notre héros plutôt maladroit.
Népomucène, parlons-en, tiens ! Antihéros par excellence, il est plutôt en retrait, physiquement pas trop gâté et n’est pas du tout celui qui va aller botter les fesses du méchant loup-garou, ça non. Et pourtant, c’est à lui que Cécile Duquenne donne la parole pour nous conter cette histoire (comprenez que l’ensemble du texte est écrit à la première personne du singulier) et j’ai vraiment aimé suivre ses pensées intimes, ses doutes, ses réflexions, ses « révélations sentimentales »… Côté révélations justement, je ne vais rien dire pour vous laisser la « surprise » (même si ça n’en est pas vraiment une), mais j’ai trouvé cet aspect très très très bien amené et traité. C’est très fin, délicatement effleuré. J’approuve !
Cette histoire s’inscrit dans une atmosphère assez particulière, plutôt sombre, un peu glauque. Je trouve même que le contexte possède un aspect un peu « désuet » qui n’a pas été sans me rappeler les ambiances créées par Edgar Allan Poe (d’où le parallèle entre le titre de Cécile Duquenne et la nouvelle du Monsieur intitulée Double assassinat dans la rue morgue).
Vous pouvez le voir, la jeune auteure ne laisse rien au hasard. Et l’on peut encore le constater dans la forme même du texte. Ici, point de dialogues inutiles ou de descriptions simplistes, non. Je ne sais pas si Cécile Duquenne possède un bagage scientifique ou si elle a fait des recherches spécialement pour la rédaction de ce texte, mais les propos tenus sont précis et parfois très scientifiques. Je pense notamment aux passages dans lesquels Népomucène s’interroge sur la nature même des vampires, Bob lui donne alors quelques informations très précises sur le sujet. Le vampire s’attarde aussi sur ses interrogations liées à la transformation des loups-garous et sur la place de l’ADN et sa façon d’agir lors des métamorphoses. C’est riche, poussé. Le lecteur ne se sent pas pris pour un imbécile (comme assez souvent dans des histoires fantastiques récemment publiées, où rien n’est expliqué, où tout est simplement effleuré) et obtient des informations concrètes. Le texte gagne ainsi en profondeur et, malgré sa brièveté - 185 pages - ne trahit aucun manque.
Une histoire de vampires et loups-garous certes courte, mais mature, riche et maîtrisée d’un bout à l’autre. Les personnages, décalés, évoluent dans une ambiance particulière qui s’accorde particulièrement bien avec le titre de ce premier tome. Un petit ovni dans la littérature du genre… à lire absolument ! La suite est apparemment prévue pour le premier trimestre 2013... Je vous en parlerai, c’est certain !

"Nous dégustâmes nos boissons respectives, tout en dissertant sur les prochains moyens à mettre en oeuvre pour ramener d'entre les morts chatons noyés et chiens écrasés, lesquels auraient leur revanche.
Une nuit banale, en somme."
"[...] A la fin de l'épisode, durant lequel Bob était resté étrangement silencieux, je me détournais de la vieille télé cathodique pour l'observer. Il demanda :
"Quel est le nom de l'acteur qui joue Spike ?
- James Marsters", répondit Edgar en fin connaisseur.
[..] L'air amusé, Bob secouait la tête, et ses longs cheveux d'un blond presque blanc avec elle.
"Sacré James, souffla-t-il, et il tapa dans ses mains. Il n'y a que lui pour se complaire dans ce genre de farce.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- C'est un véritable vampire. Il doit avoir dans les trois cents ans."