Un accident (de la nature) est si vite arrivé

Par Evainlondon

Ca n’a rien à faire sur ce blog.
Oui, mais c’est mon blog.
J’écris ce que je veux, après tout.
Enfin, ces derniers temps, j’écris rien.

Les gens n’ont pas envie de lire ça.
Mais ils aimeraient bien lire quelque chose, les gens.
J’en parle, j’en parle pas ?
Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?

Faute d’effeuiller la marguerite (c’est moi ou y en a pas en Angleterre ?), je ne peux décemment délibérer plus longtemps. Chers lecteurs, votre loyauté n’a de cesse de m’émerveiller. Néanmoins, un mois sans billet, même pour une Eva in London au sommet de son art sa désorganisation et même pour d’adorables lecteurs, c’est long.

Je pourrais vous avouer que je suis sous l’eau, après un mois où Prince et moi avons successivement acheté une maison / vendu un appartement / retiré notre offre sur la dite maison / acheté une autre maison dans un autre quartier moins de 24 heures plus tard. Vous parler de l’ubuesque système bancaire anglais qui m’a fait verser des larmes d’énervement trois jours d’affilée cette semaine. D’ailleurs, ça vaut le coup de griffe, et je ne manquerai donc pas de vous conter ces fantastiques aventures.

Mais la vérité vraie, cher lecteur, c’est que j’ai tant tardé à composer la suite du dernier billet parce que j’étais embarrassée. Si du bonheur il n’y a rien à dire, que dire du chagrin ? Afin d’éviter de tomber dans le journal intime larmoyant, et pour passer rapidement à des choses plus gaies, je vais vous la faire en accéléré.

A la recherche d’un traitement autre que celui que le gynéco anglais m’avait prescrit en 30 secondes top chrono, j’ai fait la connaissance d’un acupuncteur phytothérapeute tout bonnement épatant. Il m’a reçue une heure trente dans son cabinet au fin fond de la campagne anglaise. Je suis tombée enceinte six semaines plus tard.  Nous nous sommes réjouis sans bien comprendre ce qui se passait. Nous avons annoncé la nouvelle à mes parents, en précisant bien « qu’il était tôt ». « On ne fait pas de fausse couche dans la famille », a dit ma mère.

Peu après, mes symptômes se sont mis à fondre comme neige au soleil. Je me raccrochais à mes nausées comme on s’agrippe à une bouée. N’y tenant plus, j’ai inventé des symptômes autrement plus inquiétants que l’intuition d’une future mère inquiète pour obtenir une échographie à l’hôpital public. L’infirmière (pas d’échographe ici Madame, quelle idée de payer un médecin pour un acte aussi simple) ne parlait que de sac gestationnel, et pas de bébé. Elle fronçait de plus en plus les sourcils. Nous aussi. Une demi-heure plus tard, une infirmière plus expérimentée (toujours pas de médecin) nous a asséné aussi délicatement que possible « 99% » de risque de fausse couche ». Prince et moi avons pleuré. Nous sommes rentrés à la maison. Nous avions de la visite, et nos invités n’ont eu d’autre choix que de m’entendre sangloter à travers la fine cloison. Le lundi, nous avons à nouveau forcé la main de la NHS pour avoir une deuxième échographie, refusant d’attendre le délai de deux semaines qu’on nous avait indiqué (oui oui, deux semaines pour confirmer une fausse couche). Une autre infirmière nous a dit : « Je crois entendre le battement du cœur du bébé. Je crois qu’il a grandi depuis jeudi ». Mais elle n’était pas sûre du tout. Elle nous a dit de revenir dans deux semaines. Mon acupuncteur m’a dit de foncer dans le privé le jour même. Deux heures plus tard, la fausse couche était confirmée, et pas seulement à 99%. « Cette grossesse est non évolutive. Il est complètement incompréhensible qu’on ne vous l’ai pas dit clairement », a déclaré l’obstétricien (à 150 livres l’échographie).

Voulant éviter de passer sous le scalpel de cette désormais honnie NHS, j’ai attendu que les choses « suivent leur cours », comme on dit. Rien. J’ai attendu. Toujours rien. J’ai pris les médicaments que j’avais reçus. C’était un samedi, et ce fut le pire jour de notre vie. Seuls dans notre minuscule appartement londonien, loin de toute prise en charge médicale (« N’appelez que si les symptômes hémorragiques durent plus de deux heures », disait la feuille de papier noir et blanc de l’hôpital), livrés à nous-mêmes, nous avons survécu. Le temps a passé, j’ai dû malgré tout subir une opération.

Le temps a encore passé, j’ai arrêté de pleurer tous les jours, le temps a encore passé. J’ai démissionné de mon boulot de SuperConsultante (rapport au fait que je n’avais ni perspectives d’évolution, ni perspectives de congé mat’), quitté l’Angleterre que je ne supportais plus, et repris des études sur mes terres parisiennes. Le temps a passé, et je suis retombée enceinte. J’ai fait le test tellement tôt que je l’ai balancé à la poubelle avant de réaliser qu’il y avait bien, tellement légère qu’elle en était presque invisible, une deuxième bande rose. Loin de Prince, j’ai déployé trois mois durant toutes mes forces à ne pas penser à cette deuxième bande rose. J’y songeais donc la nuit, tandis que le jour, je mangeais plein de bon fromage (pasteurisé quand même), je faisais le marché, je parlais tout le temps français, bref : j’étais chez moi. En France. Et je me rendais compte que la France sans Prince, c’était autrement plus austère que l’Angleterre sans mes amis. Une semaine avant Noël 2010, j’étais au fond de mon lit parisien avec 39° de fièvre et du paracétamol pour seule compagnie.

Trois jours avant Noël 2010, la petite graine a fait une galipette à l’échographie, et j’ai décidé que ça suffisait. Stop au master / deux stages / boulot en freelance. A moi le bonheur. Et l’accouchement en France.

Voilà, j’ai le cœur qui bat en vous narrant tout cela, je me demande si je clique sur Publier, je me dis que ce billet n’est ni impertinent ni rien, mais je me demande comment vous raconter « la suite » en passant sur « tout ça », et puis je publie quand même, parce que ça le tabou qui pèse sur « tout ça » (la stérilité, l’infertilité, les fausses couches), ça suffit.

Et à très bientôt pour un billet plus gai !