[Critique] COMPLIANCE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Compliance

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Craig Zobel
Distribution : Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healy, Bill Camp, James McAffrey, Philip Ettinger, Ashlie Atkinson…
Genre : Drame Psychologique
Date de sortie : 26 septembre 2012

Le Pitch :
Sandra, directrice du fast-food ChickWich en plein cœur de l’Ohio, reçoit un appel du lieutenant Daniels, l’informant que l’une de ses employés, Becky, a commis un vol. Sur l’insistance de son interlocuteur, elle enferme son employée dans son bureau pour l’interroger. Mais les demandes de Daniels se font de plus en plus imposantes, les fouilles deviennent impersonnelles, et les employés se retrouvent impliqués dans des actions dégradantes, qui vont au-delà de l’acceptable…

La Critique :
Et vous, que feriez-vous ? Vous ne seriez pas d’accord, n’est-ce pas ? Vous ne feriez jamais une chose pareille ? On est trop intelligent pour ça. Compliance nous encourage à nous sentir supérieurs aux employés d’un petit fast-food en Amérique. Et nous le sommes. Le film a fait scandale et controverse aux États-Unis, lors de la Première au Festival de Sundance, beaucoup de spectateurs ont quitté la salle, et les discussions entre ceux qui sont restés ont inspiré le débat et l’outrage…

On dirait que je suis en train de faire d’approuver. Mais la raison pour laquelle certains trouvent l’œuvre de Craig Zobel insupportable, n’a rien à voir avec la qualité de celle-ci. C’est juste que sa façon d’illustrer le caractère profondément humain de l’obéissance à l’autorité morale est très efficace. Trop, peut-être. Compliance est un film d’horreur. Oui, c’est bien le mot. Sauf qu’ici on ne parle pas de serial killers, d’ (in)activité paranormale ou d’autres standards propres au slasher. À la place, l’horreur se trouve dans les personnes, leur ignorance, leur stupidité et leur autorité.

Le métrage de Zobel est inspiré de faits réels. Vu la taille du message qui remplit tout l’écran lors de l’ouverture, c’est clair qu’il veut bien insister sur ce point là. Oui, on connaît la chanson avec les histoires vraies, mais dans Compliance il n’est pas question de faux prétextes, où des réalisateurs et des studios accordent de l’importance rarement méritée à leurs productions, pour justifier un film d’épouvante à deux balles ou se garantir un Oscar, parce que « c’est comme ça que ça c’est passé ». Un peu comme l’expression « C’est marrant parce que c’est vrai ! ».
Les évènements qu’adapte Zobel à l’écran (qui ne sont pas marrants, faut le dire tout de suite) sont certes dramatisés, mais ils sont dérivés de faits qui sont bel et bien réels. Compliance base son récit sur un incident qui s’est déroulé dans un McDonald’s en 2004, un cas aussi criminel que sociologique, qui démontrait la naïveté avec laquelle les employés étaient prêts à sacrifier leur propre jugement au profit de celui d’une figure d’autorité qui exploitait cette faiblesse. Cherchez l’incident sur Google. Les détails sont quasiment les mêmes.
Dès l’ouverture du film, on ressent déjà la culpabilité de Sandra, la directrice de l’établissement. Elle est stressée, elle est surchargée de travail, et le restaurant est en manque de personnel. Un congélateur a été laissé ouvert et la nourriture avariée coûtera bonbon à remplacer. Y a plus de bacon, y a plus de cornichons, et il se pourrait bien qu’un inspecteur déguisé en client leur rende visite. C’est la journée de merde parfaite. Le téléphone sonne. Son interlocuteur se dit être flic, et accuse l’une de ses employées de vol. Sur l’insistance du policier, Sandra l’enferme dans son bureau pour fouiller ses affaires. Lentement, la mise en scène s’intensifie, les appels mettent de plus en plus la pression, et bientôt la fouille devient corporelle. Sauf que voilà : l’homme au bout de la ligne n’est pas un flic.

Contre toute attente, Zobel fait le choix courageux de révéler l’identité (ou du moins l’apparence) du correspondant assez tôt et quelle surprise, c’est un mec normal, à la voix douce mais insistante, qui se fait un sandwich dans sa cuisine. Ceci n’est pas un spoiler, puisque le cinéaste sait déjà sans doute qu’il y aura des petits malins qui auront deviné la combine dés le premier quart d’heure.

L’humiliation manipulatrice de l’homme s’apparente, bien sûr, à une agression sexuelle. On pense notamment à une variation tordue sur les évaluations scientifiques de Stanley Milgram dans les années 60 sur le comportement de l’individu, où les sujets étaient aux commandes d’un système qui électrocutait une personne dans la pièce d’à côté. Et Milgram leur demandait d’intensifier la dose, leur ordonnait de continuer malgré les hurlements des victimes. Avec sa blouse blanche et son presse-papiers, Milgram représentait l’autorité, et le degré d’obéissance de ses sujets était tel que beaucoup d‘entre-eux étaient prêts à pousser le bouchon jusqu’au bout.

Sait-on ce qu’il essayait de prouver ? La chose fait encore débat. Ici, le choc ne vient pas de la perversité du criminel, mais de son succès. Lors de sa conclusion déchirante, le film nous informe que 70 restaurants se sont fait avoir par le même canular répréhensible. Si ça a marché 70 fois, ça doit nous dire quelque-chose. Avons-nous peur de l’autorité ? Peut-être. Il n’y a rien de plus stressant que de se faire arrêter par les gendarmes pour excès de vitesse. C’est sans doute pour ça qu’on s’efforce de bien conduire : par crainte, la peur.

Compliance est un exercice impardonnable qui torture son public. Il faut le dire, il est dur de trouver des choses à aimer là-dedans. Dans une déconstruction intime et calculée, Zobel relie ensemble quelques uns des pires éléments sociaux de l’Amérique du fast-food, où la relation quotidienne entre employeur et employé est artificielle, où le bacon a plus de valeur que les personnes, où l’obéissance à l’autorité va parfois au-delà du respect et de la volonté. Maître de sa caméra, le cinéaste emprisonne l’action dans un huis-clos étouffant, aux plans souvent étroits et rapprochés, avec une ambiance claustrophobe et pesante.

Le long-métrage n’hésite pas à tourmenter ses spectateurs, les placer dans un état de malaise constant, les malmener jusqu’à l’épuisement. Dès que l’on a compris que l’appel est une imposture, il va de soi que des questions logiques seront soulevées. Questions que les personnages du film n’envisagent même pas. Nous, spectateur, on sait tous ce que l’on ferait dans la même situation. On ne se ferait pas avoir. On ne suivrait pas aveuglement les instructions comme le fait Sandra. On ne se laisserait pas faire comme Becky. C’est frustrant, oui, mais Zobel nous provoque intelligemment. En révélant l’identité de l’antagoniste et ses méthodes aussi tôt, le cinéaste ne cherche pas uniquement à nous horrifier, mais à nous impliquer. Comme des complices.
Compliance dure 1h30. C’est la durée adéquate pour ce genre de drame psychologique, qui perdent souvent de leur puissance lorsqu’ils dépassent la limite convenable et s’éternisent dans la longueur. La réflexion glaciale de Zobel sur la mentalité humaine est structurée en béton. Son film ne laisse pas souffler, ne permet pas de se détendre, n’offre pas d’échappatoire. Il dérange dans ses insinuations et ses suggestions, et captive avec sa tension électrifiante.

Mais Compliance ne nous prend pas de haut. L’œuvre de Zobel est sombre, mais elle a de l’humanité. C’est juste qu’il ne nous laisse pas la digérer aussi facilement. Sa folie est irrésistible. La brillance du film relève justement de son côté brutalement repoussant. Ses acteurs sont discrets, crédibles, en particulier Ann Dowd. On a l’impression que ce sont des personnes que l’on pourrait connaître. On prend également conscience du fait inconfortable que l’on pourrait être dans la même situation. Si un agent de sécurité voulait nous soumettre à une fouille corporelle à l’aéroport, il est bien possible que l’on suive ses instructions à la lettre. Ou pas. Et vous, que feriez-vous ?

@ Daniel Rawnsley

Crédits photos : Bad Cop Bad Cop Film Productions