C’est geek, les films de super-héros ? (Partie 2)

Publié le 30 mai 2012 par Transfomeds @Transfomeds

Dans la première partie de cet article, je notais qu’une majeure partie des comic-books repose sur une suspension d’incrédulité volontaire de la part du lecteur, celui-ci devant accepter les situations totalement artificielles que l’auteur met en scène pour renforcer la figure du super-héros.

Évidemment, il serait déraisonnable de la part d’un scénariste et d’un réalisateur de supposer que le spectateur de cinéma lambda qui n’a jamais lu de comics accepte spontanément de faire cet effort. C’est pourquoi la question du traitement du super-héros (et surtout de sa nature super-héroïque) à l’écran est donc un enjeu essentiel de la réalisation d’un film de super-héros. Conscient de cela, Sam Raimi avait pris soin, tout au long de sa trilogie Spider-Man, de construire une figure de super-héros à partir d’un gamin doté de super-pouvoirs. Il avait ainsi choisi, tout au long des trois films, de confronter Peter Parker à divers problèmes moraux dont le public assiste à la résolution et l’entérine, acceptant donc petit à petit la capacité de Spider-Man à faire toujours le Bien, c’est-à-dire à être un super-héros.

On passera par contre sur les films de « supe-xploitation » (les deux Quatre Fantastiques, Punisher, Daredevil, Elektra ou le Watchmen complètement à côté de la plaque de Zack Snyder) et sur l’échec de Superman Returns tant ces films se caractérisaient par, outre des choix cinématographiques désastreux, une absence totale de réflexion sur la représentation du super-héros pour en arriver à Avengers et The Dark Knight.

À voir Avengers, il semblerait que Joss Whedon ait clairement choisi de ne pas essayer de convaincre son public. Plutôt que de tenter de rendre crédible la représentation d’individus exceptionnels, par leurs pouvoirs et leur sens moral, Whedon préfère s’inspirer de la démarche entreprise notamment par Warren Ellis, Mark Millar et Garth Ennis en acceptant que le spectateur ne soit pas dupe de ce qu’il a sous les yeux. Aussi prend-il soin, pour ne pas le contrarier, de ramener régulièrement ses super-héros à un statut de simple mortel soumis à des sautes d’humeur, à des problèmes d’égo et au regard du pékin lambda. On retrouve cette démarche au travers des chamailleries qui parsèment la première heure de film. À titre d’exemple, il est évident que le combat montrant Iron Man et Thor s’affrontant pour savoir qui récupérerait Loki aurait pu être évité par trois ou quatre lignes de dialogues. Or si Whedon a décidé de les montrer en train de se battre plutôt que de discuter posément, c’est qu’il a choisi de les représenter, au moins momentanément, comme deux personnages dotés de super-pouvoirs mais affligés de la maturité émotionnelle de deux enfants de quatre ans se battant pour un jouet.

« C’est mon Loki ! »"Nan, c’est le mien ! »

Même pendant l’attaque de New York par une armée extra-terrestre, au moment où la gravité et l’ampleur de la situation lui permettait de mettre en scène des super-héros grandioses, Whedon ne se résout pas à demander à son public d’être dupe. En plus de conclure une séquence qui se veut véritablement iconique, représentant tous les Avengers combattant côte-à-côte, par un gag digne de Tex Avery (le coup de poing de Hulk à Thor) qui vient rappeler leur mesquinerie, il n’hésite pas à ridiculiser son méchant en le montrant malmené par Hulk comme un personnage de cartoon (avec le petit gémissement de rigueur à la fin) et à clôturer son générique (pour la version américaine) par un plan des Avengers se bâfrant un shawarma. Mais, à mes yeux, la séquence la plus représentative de la démarche de Joss Whedon concerne Captain America. Au beau milieu de l’attaque extra-terrestre, Captain America, sensé être un meneur d’homme au charisme incroyable, se présente face à deux policiers complètement désemparés et leur explique quoi faire pour aider la population. Plutôt que d’accepter le leadership naturel de Captain America, les deux policiers commencent par remettre en cause son autorité et il faut que Captain America fasse la démonstration de sa force en repoussant une attaque d’extra-terrestres pour que les policiers acceptent de suivre ses ordres.

Même si elle est courte, cette scène est intéressante, d’une part parce que c’est une des rares scènes du film qui remet en cause ce qui avait été développé dans les films Marvel introduisant les Avengers1, d’autre part, parce que dans cette scène, le personnage de Captain America n’est pas rabaissé par Iron Man ou un autre super-héros qui serait son égal, mais par la figure du flic new-yorkais, le patrouilleur avec bedaine à donut et moustache, c’est-à-dire par la représentation graphique la plus basse en terme de compétence et d’autorité, le personnage qui, généralement, s’écrase dès qu’un plus haut gradé que lui ouvre la bouche.

Il est difficile de croire que Joss Whedon, connaisseur du monde des comics et auteur de comics lui-même, n’a pas parsemé son film de ce genre de scènes avec l’intention manifeste de le rendre accessible à un public qui n’aurait pas accepté qu’on lui montre des super-héros qui lui seraient intrinsèquement supérieurs2.

Pour se rendre compte du parti-pris de Whedon en terme de représentation des super-héros et de réception du public, il est intéressant de revoir les Indestructibles de Brad Bird. Dans ce film, la famille Paar présente la nature super-héroïque de ses membres comme une évidence, un fait établi et, surtout, qui ne souffre pas d’être bridée ou camouflée. Ils sont des super-héros avant tout et le refoulement de leur nature est la source de leurs problèmes : les parents, Bob et Helen, sont névrosés et s’en prennent l’un à l’autre, la fille, Violet, perçoit ses pouvoirs comme une tare, ce qui l’enferme dans une timidité maladive, le garçon, Dash, est de plus en plus frustré de ne pas pouvoir exprimer ses pouvoirs. Partant de ce postulat, le film fait la démonstration d’une écriture virtuose qui va accompagner les personnages dans le processus d’acceptation (pour les parents) et de maîtrise (pour les enfants) de leur véritable nature.

Alors que Helen accepte de ne plus se leurrer sur la normalité de sa famille et que Bob retrouve ses valeurs de super-héros en ne cachant plus ses activités à sa famille, Violet et Dash expérimentent le potentiel et les limites de leurs pouvoirs. Au travers d’une narration qui entremêle intelligemment les évolutions respectives de ses héros, Brad Bird exprime une définition radicale et sans ambiguïté du super-héros. Et plutôt que d’essayer de convaincre le spectateur du caractère « crédible » ou « réaliste » des super-héros, il lui montre les avantages que celui-ci aurait à mettre son esprit critique de côté, notamment grâce à la séquence qui s’étend de la libération de Bob Paar par sa femme jusqu’à la capture de la famille par Syndrome, le méchant du film. Durant  cette séquence absolument jouissive, Brad Bird propose une représentation cinématographique parfaite du super-héros « canonique » et montre au spectateur le plaisir qu’on peut ressentir à se plonger entièrement dans ce genre d’aventures. En somme, il tient le même propos que les créateurs de comics à leurs lecteurs : « acceptez d’être dupe et, en échange, je vais vous faire ressentir des sensations extraordinaires ».

Brad Bird en rajoute même dans la radicalité en montrant un méchant dont le but est de se faire passer pour un super-héros, puis de donner la possibilité à tout le monde d’avoir les pouvoirs d’un super-héros pour qu’au final, la notion de super-héros perde son sens. En somme, le mal ultime du film, c’est de répandre le mensonge que tout le monde peut être un super-héros, que les super-héros ne sont pas si spéciaux que ça. On mesure alors toute la distance qui sépare la vision développée par Brad Bird de celle développée par Joss Whedon et, en faisant du mauvais esprit, on pourrait presque penser que Syndrome rêve d’un monde où les super-héros seraient réduits à la trivialité d’un repas chez un vendeur de schawarma. On comprend également pourquoi, en parallèle d’un accueil très favorable, Avengers a pu susciter le rejet radical de spectateurs attachés à des super-héros présentés comme des êtres irréprochables.

Il reste à voir, dans une troisième partie, comment The Dark Knight développe une autre approche pour séduire un public pas forcément convaincu par les films de super-héros.

  1. Notamment parce que Captain America était le seul des films de la franchise Avengers qui proposait une réponse tranchée à la question du statut du super-héros, en affirmant sans en démordre que même avant d’acquérir ses pouvoirs et de devenir Captain America, le personnage de Steve Rogers avait déjà une nature de super-héros.
  2. Soit pour des raisons d’égo (certaines personnes peuvent considérer que la représentation d’un personnage qui les dépasse les renvoie à leur propre trivialité), soit pour des raisons d’esprit critique (encore une fois, on ne peut exiger de personne qu’il accepter d’ignorer les ficelles scénaristiques généralement à l’oeuvre dans les comics).