Tartuffe ou l'imposteur, comédie en 5 actes de Molière au théâtre de Paris

Publié le 04 octobre 2012 par Mpbernet

Une fantastique soirée, en compagnie de Jean-Baptiste, une de celles dont on se souvient toute sa vie ! Une adaptation très fidèle avec un décor dépouillé, évoquant les peintres préraphaëlites ou les amants romantiques ... Une mise en scène précise, efficace, une distribution éblouissante ... mais pas toujours maîtresse de la difficulté des alexandrins.

Avec donc, selon la mise en scène de Marion Bierry : Claude Brasseur dans le rôle d'Orgon, Patrick Chesnais dans le rôle de Tartuffe - extraordinaire dans le non-verbal, terriblement crédible - Chantal Neuwirth dans le rôle de Dorine, tout en rudes rondeurs, et aussi : Guillaume Bienvenu, Emilie Chesnais, Jacqueline Danno, Arnaud Denis, Roman Jean-Elie, Alice de la Baume, Beata Nilska - une Elmire tellement choquée qu'elle se met à vitupérer en polonais, Marcel Philippot - le seul qui, à mon sens, dit son texte avec élégance, ce qui nous change de son rôle mieux connu "Je l'aurai un jour, je l'aurai ! - et Julien Rochefort.

Voici donc l’une des plus brillantes comédies de Molière, écrite juste avant Dom Juan, dont la première représentation fut donnée en public le 12 mai 1664 et fut, dès le lendemain, interdite. La permission de la redonner en public ne fut accordée de nouveau que le 5 février 1669, date à laquelle elle fut jouée devant le Roi. Politiquement, donc, ce texte était considéré comme insultant la religion alors qu’il ne fustige que les faux dévots, et en réalité une escroquerie monumentale, qu’aujourd’hui on qualifierait d’abus de faiblesse.

Un individu s’introduit par ruse au sein d’une riche famille, feignant la plus grande dévotion, se plaçant bien en vue d’un vieillard crédule qu’il embobine de ses sentences pieuses et de sa prétention à mépriser les richesses de ce monde. Orgon, complètement séduit, ira jusqu’à faire donation de tous ses biens à l’ignoble Tartuffe, et à lui confier le dangereux dépôt secret d’un ami fugitif … tout en courtisant sa seconde épouse, la prude  Elmire. Mais Tartuffe parviendra-t-il à ses fins en épousant aussi la fille d’Orgon, l’obéissante Mariane, contrariant ainsi les projets du fils de la maison, Damis, qui veut épouser la sœur de Valère, l’amant de cœur de Mariane ?

Ainsi, la pièce fut mise à l’index dès le lendemain de sa première représentation, à la demande de l'archevêque de Paris, ancien précepteur du Roi : l'Église et les dévots accusaient Molière d'impiété et lui reprochaient de donner une mauvaise image de la dévotion et des croyants. Car cette pièce a des clés, que nous avons oubliées aujourd’hui …. Ce n'est qu'en 1669, au lendemain de la signature de la « Paix de l'Église » qui, apaisant les tensions religieuses, redonnait les coudées franches à Louis XIV, que la pièce — désormais remaniée et appelée Tartuffe ou l'Imposteur — fut autorisée et connut un immense succès.

Le texte, malgré la forme en alexandrins tout de même difficile à intégrer au XXIème siècle, reste cependant d’une extraordinaire modernité. Comment ne pas se souvenir des tirades célèbres, de répliques devenues cultes comme « Cachez ce sein que je ne saurais voir … » ou « Que fait là votre main ? », ou encore « Ah ! Pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ! » (Acte III scène 3).

La trame de l’intrigue va crescendo, jusqu’à la dernière scène, où se révèle dans toute sa lumière la justice du Roi : « Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude » (Acte V, scène dernière), mais la faiblesse du père de famille, totalement subjugué par Tartuffe, l’escroc, le rend totalement aveugle, même devant l’évidence. On note la dureté de la scène, devenue classique, de dépit amoureux entre  Mariane et Valère (Acte II, scène 4), et la scène où Elmire simule l’acceptation de l’amour de Tartuffe pour convaincre Orgon, caché sous la table, de la duplicité de Tartuffe (Acte IV, scène 5). Cette scène, au-delà de son côté burlesque, est presque une tentative de viol, terriblement actuelle.

A croire que les sentiments, les circonstances, les motivations les plus noires ainsi mis en lumière par Molière il y a plus de 300 ans, n’ont rien de dépassé … et pouvoir partager ce magnifique texte avec le plus âgé de nos petits-enfants a décuplé notre plaisir.