Sagesse

Publié le 05 octobre 2012 par Mentalo @lafillementalo

Ma mère, dans sa grande sagesse, m’avait dit en apprenant ma troisième grossesse

Tu verras, un troisième, ça s’élève tout seul.

(Ce qui explique certaines choses concernant mon frère cadet.) Je ne sais pas si par là, elle entendait que la Pili-Pili serait dotée d’un caractère de cochon bien trempé, faisant sa place au milieu des autres comme la noisette au milieu du nougat: sans aucun effort, si ce n’est celui de jouer de la voix, reléguant le Moelleux, jusqu’alors clown en titre de la famille, au rang d’ombre de lui-même à ce niveau.

Ma mère, dans sa grande sagesse, s’est arrêtée à trois enfants. Et quant à l’éducation d’un quatrième, elle est restée muette (je lui en suis reconnaissante). Selon toute logique, du moins la sienne et celle généralement partagée, le quatrième aurait donc dû être tout élevé avant même la naissance.

Sauf que c’est malin, ces petites choses. Ultime a bien compris que tenter de dépasser la Pili-Pili en termes d’occupation de l’espace sonore et affectif serait peine perdue. Elle a donc choisi d’occuper l’espace de mes bras (Francis, sors de ce post), le plus souvent possible, et ce n’est qu’en lui faisant croire que je suis mon coussin d’allaitement que je peux aligner trois mots ici-même.

Le bon peuple est donc persuadé que « le plus gros changement, c’est entre un et deux enfants » (ah bon?), et n’a donc aucune idée de ce qui se passe dans une famille lorsqu’elle passe du statut « nombreuse » à « très nombreuse ». Et pourtant…

-tu peux user et abuser du  « demande à ta soeur/ton frère, je suis occupée »

-tu peux user et abuser du « j’ai rien foutu, j’ai eu la petite dans les bras toute la journée! »

-tu fous effectivement rien

-tu peux user et abuser du « le ménage? pas eu le temps, c’est pas le plus urgent »

-tu peux user et abuser du « la paperasse? pas eu le temps, c’est pas le plus urgent »

-tu peux sans ciller prétendre à tes collègues que tu n’as absolument pas eu une minute à toi pour leur annoncer la naissance. De leur côté, ils n’osent pas t’appeler, persuadés qu’il y a eu un accident nucléaire dans ton utérus.

-tu sers sans scrupule des nuggets de poulet à ta marmaille qui rentre affamée le midi. Des nuggets! Toi qui fais pourtant tes yaourts toi-même. Enfin, faisais.

-tu es la reine du noeud d’écharpe à une main, l’autre touillant dans les spaghetti du soir, l’oeil sur le cahier de dictées de mots du Moelleux.

-tu envoies tes gosses prendre leur douche « en autonomie, vous êtes des grands maintenant, je vous fais confiance ». La facture d’eau chaude explose, le sol de la salle de bains n’a jamais été aussi propre.

-tu développes une ouïe sélective. Le bébé qui pleure, qui te tordait les tripes à quelques jours, devient partie du fond sonore ambiant. Tout comme la musique à fond « pour danser » et les disputes de la fratrie. Des fois, c’est toi qui gueules un coup pour faire redescendre le volume du tout. Du coup, le bébé pleure parce que tu lui as fait peur.

-t’es super fière de toi quand tu arrives à faire un repas correct en temps et en heure. Avec des légumes.

-quand tu atteins le fond du panier de repassage, c’est fête nationale (au champomy, vu que tu allaites). C’est aussi parce que tu n’as pas fait le tour des paniers de sale dans les chambres, pleins.

-t’as pas lu une page depuis un mois, toi qui pouvais pas vivre sans. C’est que tu te couches en même temps que bébé. Dans tes bras, le bébé. (Fuck les anti-cododo de tout poil.) Je te parle même pas des blogs des copines, bouhouhou.

-ta cousine appelle pour te dire qu’elle a appris que tu as accouché un mois après. Et tu te rappelles soudain que t’avais dit que tu t’occuperais des faire-parts euh, il y a trois semaines. Trop tard, la cousine est persuadée que tu ne lui en as pas envoyé, et elle fait la gueule.

-les gens savent pas quoi t’offrir, vu que cette petite a déjà tout, alors ils t’offrent des trucs pourris. C’est gentil, mais se cotiser pour une thalasso, ce serait bien aussi.

-les gens ne t’invitent plus en famille, vu que tu débarques à six. Les gens ne passent plus te voir, vu que t’as trop de boulot à six. Les gens ne t’appellent plus, vu que tes trop occupée.  Du coup, ton seul contact avec le monde des adultes, c’est Twitter. C’est bien, tu peux dire un tas de conneries, personne ne s’en fait pour ta santé mentale. Quand tu gueules un coup, personne ne t’en veut. Et quand t’as bobo, t’as toujours quelques âmes compatissantes.

-le moindre trajet en voiture se transforme en expédition: préparation, exécution, sudation.

-tu salues tes voisins de loin et tu t’engouffres dans la maison ou dans la voiture, de toutes façons, t’es déjà en retard.

-une bonne partie de ton rôle de mère consiste à protéger le dernier né des débordements d’affection des trois autres. Voire d’établir un planning équitable du « qui aide au bain » et du « temps dans les bras ».

-ta mère est partie en vacances depuis plus d’un mois et sans espoir de retour, persuadée qu’un quatrième, c’est comme un troisième, ça s’élève tout seul.

Mais tu veux que je te dise? C’est que du bonheur. Bien sûr. Bien sûr.