Nuova Stagione : Amandine Beyer et Gli Incogniti retrouvent Vivaldi

Publié le 10 octobre 2012 par Jeanchristophepucek

Marco Ricci (Belluno, 1676-Venise, 1730),
Une répétition d’opéra
, entre 1708 et 1716

Huile sur toile, 48,3 x 55,9 cm, New Haven (Connecticut),
Yale Center for British Art, Collection Paul Mellon

Depuis qu’ils ont signé, en 2008, une version mémorable des Quatre Saisons qui s’est d’emblée installée au plus haut niveau de la discographie pourtant surchargée de ce cycle, les affinités d’Amandine Beyer et de son ensemble, Gli Incogniti, avec Vivaldi ne font de doute pour personne. Ils ont pourtant exploré avec succès l’univers d’un certain nombre d’autres compositeurs comme Matteis ou Rosenmüller avant de revenir vers lui en ce début d’automne 2012 où ils nous offrent un florilège de concertos, que publie Zig-Zag Territoires sous le titre de Nuova Stagione.

Le projet de ce nouveau disque a pris le temps nécessaire pour mûrir, puisque Amandine Beyer l’évoquait déjà dans l’entretien qu’elle m’avait accordé à l’été 2009. Il procède d’une humilité dont témoignent tous ceux qui ont approché cette artiste qui, loin de se contenter de briller en mettant sempiternellement en valeur ses remarquables capacités techniques, sait faire bénéficier ceux qui l’accompagnent de sa notoriété. Les véritables héros de cet enregistrement sont principalement Gli Incogniti, ces « Inconnus » qui, délaissant un instant le relatif anonymat du tutti dont beaucoup de négligents ne lisent même pas les noms dans les livrets d’accompagnement, se voient inviter à prendre la parole en qualité de solistes le temps de six concertos, deux pour violoncelle, deux pour flûte traversière et deux pour violon et orgue, les deux autres du programme étant dévolus, pour ne pas oublier que nous sommes sur les terres du Prêtre Roux, au violon seul.

Même si nombre d’œuvres de Vivaldi ne sont pas datées et posent donc parfois d’insolubles problèmes de chronologie, on peut néanmoins dire que cette anthologie propose un tour d’horizon assez convaincant des différentes manières du compositeur, de la sobriété « chambriste » du Concerto pour violoncelle RV 420, dont on possède un manuscrit daté de 1708 et qui débute, de façon inhabituelle, par un très lyrique Andante, au style des dernières années, à la fois expérimental et gagné par l’esprit « galant », qu’illustre le Concerto pour violon RV 235 baigné par une atmosphère parfois irréelle (Adagio), usant de clairs-obscurs, d’effets de spatialisation sonore et d’ambiguïtés harmoniques pour créer sans cesse la surprise. Mais ce qui frappe dans l’ensemble de ces pièces est, bien entendu, l’omniprésence de la théâtralité et de la virtuosité, car si l’on sait que la technique flamboyante et l’expressivité de Vivaldi enfiévraient les auditoires dès qu’il s’emparait de son violon, il se montrait également terriblement exigeant lorsqu’il écrivait pour d’autres instruments, comme le montrent les acrobaties qu’il réserve à la flûte traversière dans le Concerto RV 440 ou au violoncelle dans le RV 403, tout en demeurant néanmoins parfaitement idiomatique pour chacun d’eux, ce qui démontre une connaissance approfondie de leurs capacités techniques qu’il pousse parfois, non sans malice, dans leurs derniers retranchements, mais aussi de leurs couleurs, qu’il exploite avec un savoir et une gourmandise absolument évidents. D’humeur tour à tour exubérante, nostalgique ou sérieuse, ces œuvres écrites avec plus de soin et d’inventivité que certains des détracteurs du Prêtre Roux l’ont prétendu par la suite donnent souvent la sensation, flagrante dans le cas des doubles concertos vraiment pensés comme des duos lyriques, d’assister à des scénettes pleines de péripéties et d’inattendu dans lesquelles toute la palette des émotions humaines s’invite, ne serait-ce parfois que pour un instant. Au-delà de leur goût de l’effet parfois un rien exhibitionniste, c’est sans doute cette dernière qualité qui les rend attachants et donne, même à qui les connaît bien, l’envie de les retrouver.

On espérait d’Amandine Beyer et de ses Incogniti (photographie ci-dessous) un disque haut en couleurs et, à quelques nuances près, cette attente est largement comblée. Les affinités de la violoniste et de son ensemble avec la musique de Vivaldi s’imposent de nouveau avec une évidence qui ne fait que s’accroître au fil des écoutes et font de cette Nuova Stagione un indéniable moment de plaisir, né d’une complicité palpable entre les différents pupitres et de la volonté que manifeste chacun de donner le meilleur de lui-même en termes de couleurs, d’articulation et de caractérisation. Les solistes sont, dans l’ensemble, de très bon niveau, avec une mention particulière pour le violoncelliste Marco Ceccato, aussi inspiré dans les mouvements lents qu’il nimbe d’une poésie réellement émouvante (superbe Andante du RV 420) que dans les rapides où il se montre brillant voire mordant, et le flûtiste Manuel Granatiero, dont la sonorité raffinée et charnue berce tel Larghetto (RV 440) mais sait aussi faire sourire les Allegros avec un ton un rien gouailleur. Je suis un peu plus réservé face à la prestation à l’orgue d’Anna Fontana, non parce qu’elle démérite techniquement, chacun de ses solos prouvant le contraire, mais parce qu’elle a tendance à s’éclipser dès que le violon, à la sonorité plus flatteuse que celle de son positif un peu maigrelet et mieux mise en valeur par une prise de son globalement déséquilibrée, intervient et à se comporter alors en accompagnatrice plus qu’en véritable duettiste. Il faut dire que se mesurer à une artiste de la trempe d’Amandine Beyer n’est certainement pas chose aisée, car la violoniste est ici égale à elle-même, délivrant avec une incontestable maîtrise une sonorité solaire qui, si on y est sensible, emporte et enthousiasme par son éloquence, sa virtuosité sans tapage, la souplesse sensuelle de ses lignes ; le Concerto RV 194 est un enchantement tandis que le RV 235, s’il manque d’un rien de mystère quand on le compare à la version « semi-baroque » de Giuliano Carmignola et du Venice Baroque Orchestra sous la direction d’Andrea Marcon (Sony, 2002), est rendu avec une finesse de touche et une inventivité qui rend justice aux surprises que réserve le langage du Vivaldi tardif. Guidée par une grande intelligence de ce répertoire, Amandine Beyer fédère ses troupes avec une autorité naturelle qui ne les corsète jamais et permet à chacun de faire entendre sa voix sans jamais nuire à la cohésion d’ensemble, renforçant ainsi l’impression d’être face à une assemblée d’amis prenant un réel plaisir à faire de la musique ensemble et à la partager avec l’auditeur.

Aux nombreux amateurs de la musique du Prêtre Roux comme à ceux qui souhaiteraient posséder une anthologie représentative de ses concertos, je recommande donc cette Nuova Stagione aux multiples et délicieuses saveurs qui ne manqueront pas de les enchanter. S’il est fort probable que des musiciens aussi curieux que Gli Incogniti et Amandine Beyer songent déjà à aller explorer des terres nettement moins fréquentées que celles-ci, ils peuvent être certains qu’on les y retrouvera avec bonheur lorsqu’ils s’y arrêteront de nouveau.

Antonio Vivaldi (1678-1741), Nuova Stagione. Concertos pour violon et orgue en ut majeur RV 808, pour violoncelle en la mineur RV 420, pour flûte traversière en mi mineur RV 431 (avec l’Andante de RV 438), pour violon en ut majeur RV 194, pour flûte traversière en la mineur RV 440, pour violoncelle en ré majeur RV 403, pour violon en ré mineur RV 235, pour violon et orgue en sol mineur d’après RV 517

Gli Incogniti
Manuel Granatiero, flûte traversière solo
Marco Ceccato, violoncelle solo
Anna Fontana, orgue solo
Amandine Beyer, violon solo & direction

1 CD [durée totale : 73’49”] Zig-Zag Territoires ZZT310. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Concerto pour violon en ut majeur RV 194 :
[I] Allegro mà poco

2. Concerto pour violoncelle en la mineur RV 420 :
[I] Andante

3. Concerto pour violon et orgue en sol mineur d’après RV 517 :
[I] Allegro

4. Concerto pour flûte traversière en la mineur RV 440 :
[II] Larghetto

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

Vivaldi: Concerti « Nuova Stagione » | Antonio Vivaldi par Amandine BEYER

Illustration complémentaire :

La photographie de Gli Incogniti, prise durant les sessions d’enregistrement du disque, est de Clara Honorato, utilisée avec autorisation.