« Nouvelle économie » ? Laissez-moi rire. How to destroy angels_ : le Trent Reznor post-Nine Inch Nails sort bientôt ! Et c’est… chez Columbia (l’occasion de parler d’indépendance et de remettre quelques éléments en perspective…)

Publié le 15 octobre 2012 par Greencatsbabies @greencatsbabies

© How to destroy angels_

C’est avec sa femme Mariqueen Maandig et des collaborateurs de la période Nine Inch Nails (Rob Sheridan et Atticus Ross) que Trent Reznor développe le projet How to destroy angels_. Après un premier clip en mai 2010, ‘The Space In Between’, qui accompagnait la sortie d’un premier EP, on était resté sans grande nouvelles du projet, jusqu’à une annonce sur FaceBook en 2012, expliquant pourquoi l’album sortirait chez Columbia.

Regarding our decision to sign with Columbia, we’ve really spent a long time thinking about things and it makes sense for a lot of reasons, including a chance to work with our old friend Mark Williams. There’s a much more granular and rambling answer I could give (and likely will in an interview someplace) but it really comes down to us experimenting and trying new things to see what best serves our needs. Complete independent releasing has its great points but also comes with shortcomings.

Cette déclaration, au-delà de l’annonce d’une sortie se rapporochant à grands pas, avait le mérite de mettre enfin une fessée à l’ensemble des papes autoproclamés de l’autopromotion et de l’indépendance musicale, de pétrifier sur-le-champ les gourous du music-marketing 2.0 qui sévissent depuis près une dizaine d’années au moyen d’un discours soit joli mais tout à fait stérile si tant est qu’on s’y attarde 30 secondes. Rendez-vous compte : venant de Nine Inch Nails, qui était devenu le symbole ultime, la Croix de la nouvelle Eglise censée terrasser les grands-méchants pas beaux, prévoir une sortie chez une major, ça relève purement et simplement de l’idolâtrie, voire du déicide…

So what ? 

Les choses sont plus simples et triviales que celles-là. En bon épicier, Trent Reznor ne prend plus de risques. Et quelque part il a parfaitement raison : il sait que l’indépendance est un jeu dangereux. Toutes les entreprises du monde ont des investisseurs, surtout les plus risquées. Elles partagent les risques avec des gens capables, financièrement, de prendre plus de risques qu’elles, de gagner beaucoup si le projet est gagnant, et d’encaisser des pertes si le projet est perdant. Et avec ce nouveau projet, Reznor sait que les choses ne sont pas gagnées.

Rappelons quelques petits éléments.

En 2007, Nine Inch Nails avait essuyé un demi-succès (voire un échec) en sortant The Inevitable Rise And Liberation Of Niggy Tardust de Saul Williams, avec qui il tournait et avec qui il collaborait régulièrement. Le fait de faire partie de la famille Nine Inch Nails n’a pas fait de Saul Williams un artiste suivi par l’ensemble de la communauté très gâtée et très fidèle menée par Trent Reznor. Nouvelle pratique pas assez mature ? Hmmm… Je pencherais, d’une part, pour un déficit de notoriété de Saul Williams et, d’autre part, pour une impossibilité de transférer une communauté de fans aussi facilement qu’on le voudrait. (NB : quelques détails sur cette aventure sont ici, et leur lecture reste très précieuse, notamment le billet-bilan postée par Reznor à l’époque : http://www.ninwiki.com/The_Inevitable_Rise_And_Liberation_Of_NiggyTardust!).

Quelques mois plus tard en 2008, avec sensiblement le même dispositif, amélioré par une gamme plus étoffée allant jusqu’au coffret deluxe, Nine Inch Nails sortait Ghosts. Carton absolu, à tel point que Trent Reznor décide, dans la foulée, d’offrir l’album suivant, The Slip.

So what ? 

Nine Inch Nails est un  groupe qui a construit sa notoriété grâce aussi à l’investissement de majors, dans une autre époque, les années 90.  Tout comme Radiohead, dont de nombreux idiots citent encore la sortie d’In Rainbows aux côté de Ghosts comme paradigme d’une nouvelle économie de la musique. Ce qui est faux, preuve en est, entre autres, que les groupes eux-mêmes ont abandonné le modèle lors de leurs sorties suivantes… Il faut souligner que la nouvelle économie numérique de la musique n’existe toujours pas en tant que telle. Il y a des réussites, il y a des « coups », mais il n’y a pas à l’heure actuelle de réel modèle économique (si on entend par modèle économique pour la musique un éco-système relativement stable permettant à la création de se financer par les ventes qu’elle génère…).

L’écosystème concerts, ventes physiques en chute libre, ventes digitales (iTunes, Deezer, YouTube, Spotify, etc.) et réversion de droits d’auteurs, etc. ne peut pas réellement aujourd’hui maintenir la création musicale en tant qu’industrie, c’est à dire :
1- en lui permettant d’être globalement rentable pour elle-même sans recourir massivement à la subvention d’Etat
2- en lui permettant de ne pas hypothéquer sa capacité à prendre des risques sur des projets dangereux (l’artiste qui sort trois albums avant d’en faire un qui vend un minimum, le side-project suicide, l’album compliqué mais que l’artiste voulait « tenter » et tous les essais qui peuvent aboutir à des merveilles artistiques, mais aboutissent plus souvent à des catastrophes financières dont on ne se relève que difficilement si on a pas les reins solides).

Bref : dans ce contexte, une indépendance totale pour une sortie d’album s’envisage lorsqu’on possède déjà per se une notoriété suffisamment colossale pour pouvoir être rentable, quand bien même ont fait un chiffre de vente au final dérisoire, mais que le nombre permet de compenser. Radiohead et Nine Inch Nails on pu faire les coups d’In Rainbows et de Ghosts précisément parce qu’ils étaient Radiohead et Nine Inch Nails, i.e. qu’ils avaient à la fois :
- La notoriété écrasante
- La capacité à prendre des risques financiers
- L’avantage du premier entrant dans un cirque médiatique qui n’attendait qu’une chose : pouvoir titrer « Les majors, c’est fini, voici le nouveau modèle », en citant copieusement le nom des groupes, et en dehors de tout connexion à une réalité factuelle dont la plupart se foutent éperdument (et donc en dehors du cadre de toute déontologie élémentaire qu’impose le métier).

Et ça a marché, les acteurs de la sphère médiatique (à l’exception des journalistes doués de cerveaux) ont fait leurs gros titres, les croyances se sont renforcées (pardon : les chimères des croyances inexactes se sont renforcées) et le monde a continuer à rouler. Et l’économie de la musique a continué à s’effondrer, nonobstant le sacro-saint nouveau modèle tout juste révélé…

Aujourd’hui , Trent Reznor doit sortir le projet How to destroy angels_. Il sait par l’expérience Saul Williams qu’il ne peut pas compter sur la notoriété de Nine Inch Nails pour garantir au projet de décoller. Il semble vraisemblable qu’il ne pourrait pas encaisser le risque financier en cas d’échec… Il a donc besoin à la fois d’une banque et des compétences qui permettre de sortir un album dans des conditions correctes, à savoir un service marketing, un bureau de promotion, une distribution physique et digitale et quelques autres métiers qui permettent de sortir des disques dans la vraie vie… Bref : il a besoin d’une maison de disque. Celle-ci n’est jamais, si on y regarde de plus près, qu’une banque spécialisée augmentée de services dédiés à un secteur particulier. Ils prennent leur argent à la fois pour le risque et à la fois pour les compétences mobilisées : en somme, il n’y a pas de quoi fouetter un chat…

Donc, logiquement, Trent Reznor choisit la non-indépendance. Dans ce cas, n’en déplaise aux verbeux aux mains propres du nouveau marketing musical 2.0 (il est facile de ne pas avoir les mains sales quand on n’a pas de mains), c’est une preuve de clairvoyance et d’intelligence. Et c’est d’autant plus admirable que l’américain communique sur des choix assumés. C’est courageux et instructif.

On attend donc avec impatience un nouvel EP pour le 13 novembre et un album pour début 2013. Musicalement, on ne sera pas dérouté : c’est tout l’univers développé par Trent Reznor depuis Ghosts (et notamment à travers les BO de The Social Network et de Millenium)qui est mobilisé ici : calme mais tendu, sombre et lynchien (ok : fincherien), sexuel sans être trash (pas autant en tout cas qu’a pu l’être Nine Inch Nails, mais on peut garder la combinaison de latex malgré tout), minimal et possiblement envoûtant…

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