Pascal Bernier : A pop nightmare, ou le Carnaval des animaux

Par Memoiredeurope @echternach

Il y a presque un an, la salle d’exposition du Botanique à Bruxelles avait confié le soin à Antonio Nardone, galeriste de réunir des œuvres qui constituaient un « Wunderkammer », un Cabinet de Curiosités contemporain où figuraient côte à côte des œuvres de Jan Fabre et Wim Delvoye, Patrick van Roy et Pascal Bernier, toutes installations, rapprochements ou manifestes qui dérangeaient la tranquillité froide de la capitale européenne préparant les Fêtes de Noël.

Pascal Bernier, un artiste belge qui a dépassé la cinquantaine, se voit proposée en ce début d’automne une exposition personnelle qui rejoint les chemins de traverse des Surréalistes de son pays. Il insiste sans aucun complexe sur ce qui nous fait le plus mal au cœur et à l’âme parmi les mots d’ordre creux ou ambigus qui nous sont infligés par l’image publicitaire comme des remèdes à l'ennui auxquels nous ne pouvons que difficilement échapper si nous voulons rester en forme, à la mode et dans le coup : le sport, le respect de la nature et de l’environnement, la protection des animaux sauvages, les loisirs d’été sur la plage, tout comme l’aseptisation et l’éloignement de la représentation de la mort.

Tous les supports lui sont bons : de la transparence des étoffes imprimées et de l’infinité des réseaux de dentelles, aux accumulations florales et festives des carnavals, des maquettes d’architectures aux châteaux de sable éphémères, des squelettes d’amphithéâtres de médecine, aux animaux empaillés des musées d’histoire naturelle.

Si Chaval avait inauguré une magnifique série de dessins il y a plusieurs dizaines d’années sous le titre « Qu’ils sont cons les oiseaux ! », l’exposition de Bernier pourrait facilement s’intituler « Les animaux sont en effet des cons, l’homme le premier ! ».

Ces animaux, humains trop humains, nous voisinent dans nos plus élégants cauchemars : ours trop protégés ou fornicateurs échappés de nos lits d’enfants quand ils ont grandi plus vite que nous, éléphant réparé à la hâte après sa rencontre avec « Tintin au Congo » dans une case de bande dessinée trop étroite, mygale dentellière remplaçant les brugeoises disparues, crânes fêtant en famille le Carnaval loin du Mexique, papillons formant des escadrilles de chasseurs destinées à aider les aviateurs ennemis de la Seconde Guerre mondiale, ou encore Milou sans ses compères, tentant de saisir un os après qu’il ait été lui-même dévoré par les fourmis géantes, squelette inutile tentant un geste sans avenir.

Les supports de nos rêves se tissent ainsi de recueils de contes abandonnés trop tôt, d’objets transitionnels dont nous avons été privés sans raison autre que celle, si stupide, de devenir adultes.

En 1919, Maurice Ravel écrit à Colette : « Par exemple : le récit de l'écureuil ne pourrait-il se développer ? Imaginez tout ce que peut dire de la forêt un écureuil, et ce que ça peut donner en musique ! Autre chose : que penseriez-vous de la tasse et de la théière, en vieux Wegwood (sic) noir, chantant un ragtime ? J'avoue que l'idée me transporte de faire chanter un ragtime par deux nègres à l'Académie Nationale de Musique. Notez que la forme, un seul couplet, avec refrain, s'adapte parfaitement au mouvement de cette scène : plaintes, récriminations, fureur, poursuite. Peut-être m'objecterez-vous que vous ne pratiquez pas l'argot nègre-américain. Moi qui ne connais pas un mot d'anglais, je ferais comme vous : je me débrouillerais. Je vous serais reconnaissant de me donner votre opinion sur ces deux points, et de croire, chère Madame, à la vive sympathie artistique de votre dévoué. » Il terminait ce magnifique poème devenu spectacle lyrique : « L’enfant et les Sortilèges » et demandait si poliment des conseils et des autorisations à l’écrivaine.

Chez Bernier il n’y pas, il n’y a jamais, à l’exemple de Maurice Ravel, de frontière entre la vie et le cauchemar, la méchanceté et la sagesse, l’enfance et le memento mori.

Il nous laisse sans remords à nos fantasmes et à l'extinction inéluctable des espèces dont nous sommes responsables.

Jusqu’au 18 novembre 2012. Le Botanique, rue Royale 236 – 1210 Bruxelles.