Mgr Lantheaume : « Les progressistes du « printemps de l’Eglise » s’essoufflent »

Publié le 22 octobre 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

Monseigneur Lantheaume est un prélat de Sa Sainteté et premier conseiller de nonciature à  Washington qui répond parfaitement aux dernières injonctions de Benoit XVI pour une foi sans compromis. Bien connu sur les réseaux sociaux pour son implication intransigeante dans le «débattisme» sur Facebook, il est également un fin connaisseur de l’‘église de France. Nous lui avons posé quelques questions ; réponses toniques !

 

Monseigneur, nous venons de fêter les cinquante ans du Concile de Vatican II. Pourtant, le pape a dû reconnaître que « c’est le vide qui s’est propagé ». Comment cela se fait-il ? Quelle est votre analyse de la réception du Concile en France ?

L’amer constat d’un vide dans l’Eglise en France, suite aux cinquante ans du 2ème Concile du Vatican est un fait incontournable. Il faudrait être vraiment stupide ou de mauvaise foi pour ne pas le constater. Mais la question qu’on doit se poser est tout autre : à quoi cela est-il dû ? Est-ce dû au concile en lui-même ou bien à une interprétation fausse qui en est faite ? Avant de répondre, il faudrait se rappeler que « partim convenit, partim non convenit » le Concile de Trente a exigé plus d’un siècle avant d’être appliqué, car il devait non seulement être approuvé par les Parlements de France mais ensuite être diffusé et appliqué !!!

Donc, pour ce qui nous concerne, nous avons encore cinquante ans devant nous ! Et même si les moyens du XXème siècle sont certes différents de ceux du XVIème, force est de constater qu’on en est « au début », et que le 2ème  Concile du Vatican n’a pas encore été tout à fait « compris », car souvent peu appliqué dans certains endroits. On s’aperçoit au fil des réactions, qu’il n’a pas été lu et encore moins étudié. Ignoré par ceux qui le critiquent dans un sens ou dans l’autre, le Concile demeure une « inconnue » pour beaucoup de chrétiens qui n’en perçoivent que des apriori ou des idées reçues. On a fait l’application d’une « interprétation » du concile, mais pas du concile lui-même. A cela il faut ajouter une tendance dénoncée par le Pape : celle de l’herméneutique de la rupture. Certains font naître l’Eglise au moment du Concile, d’autres la font disparaître à la même époque.

Une saine compréhension du concile voulait au contraire qu’on le considérât dans la continuité de ce qui précède, notamment des dispositions des autres Conciles Œcuméniques, dans un ensemble de traditions ecclésiales et de la Tradition ininterrompue au fil des siècles. Or, certains ne voient dans le 2ème concile du Vatican que des « germes » d’hérésies, notamment dans la définition de la « liberté religieuse ». Encore une fois, là aussi, il faut avoir recours à la pensée analogique. Il faut tenir pour répondre à cette critique, que l’enseignement des papes a toujours été circonstancié, il s’inscrit dans la réalité d’une époque : la liberté religieuse d’aujourd’hui n’est pas celle – plus violente et plus philosophique – du XIXème siècle ; le concept, l’objet en sont radicalement différents ; la liberté religieuse envisagée par les papes du XIXème siècle, menacée de toute part à l’époque, n’a jamais été celle à laquelle les Pères du 2ème Concile Vatican II ont réfléchi ; d’autre part, en aucun cas le 2ème concile du Vatican n’a admis ni adopté le « syncrétisme » sous le nom de ‘la liberté religieuse’, ce serait un contre-sens !

le Concile de Trente a exigé plus d’un siècle avant d’être appliqué

Alors, si le « vide s’est propagé » c’est précisément sur la base d’une mauvaise, voire fausse interprétation du Concile, et d’une application approximative où le « relativisme religieux » devint l’instrument de lecture d’un texte ignoré des principaux protagonistes ! Si seulement l’on s’en était tenus à la « lettre du concile », aux normes et aux dispositions juridiques telles qu’elles furent rédigées et votées, comme cela s’est opéré dans de nombreux pays (mais pas en France), les fidèles n’auraient jamais été troublés par les inventions des protagonistes de « l’esprit du concile » … ! Finalement ce syncrétisme tant décrié par des détracteurs fixistes du concile n’est autre que le résultat d’une fausse interprétation donnée par les tenants de « l’esprit du concile ». Il est donc intéressant de constater que les détracteurs du Concile sont tombés dans le piège de leurs pires ennemis, puisqu’ils ne retiennent du texte qu’une interprétation fausse ou relativiste!

Aux États-Unis ?

Les Etats-Unis n’ont pas été épargnés par des conséquences regrettables dues à une fausse interprétation des textes du 2ème Concile du Vatican ; mais les catholiques américains ont dépassé ce stade, leur générosité et leur sens du sacré ont été conservés et ils connaissent aujourd’hui un « renouveau » qui est à la fois paisible et fécond. Ce renouveau s’inscrit aussi dans ‘l’herméneutique de la continuité’ comme l’a si bien défini le Pape Benoît XVI.

On doit noter aussi que dans les années post-conciliaires, la piété ‘tridentine’ (et pas seulement la messe) n’a pas disparu totalement aux Etats-Unis. Or donc, là où cette piété a été éradiquée dès la mise en œuvre des textes conciliaires (dans des pays comme la France, la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique) la réception du concile s’est très mal passée, les réactions furent très vives et les fidèles déstabilisés. Pourquoi ? Parce qu’aux fidèles, l’on a dit faussement qu’avec le concile il fallait « tout changer ». Cela n’était pas vrai ; Vatican II n’a jamais demandé de « tout détruire », de « tout remplacer », de tout supprimer. Si le 2ème concile du Vatican a demandé de « revoir » ou de « revisiter » la piété populaire de jadis par exemple, il ne s’agissait pas de la supprimer. En revanche, dans la pratique, l’on est donc passé d’un extrême à un autre… !

Vatican II n’a jamais demandé de « tout détruire », de « tout remplacer », de tout supprimer

La piété tridentine dans d’autres pays a cependant été observée, continuée, entretenue. Dans ces pays la réception du « novus ordo » n’a posé aucun problème par voie de conséquence. Elle a permis une réception normale et équilibrée de la Réforme prévue par le même Concile. Aux Etats-Unis, comme en Espagne ou dans les pays de l’Est, cette piété populaire n’a jamais véritablement complètement disparu, mais en France elle a été méprisée, désacralisée, destituée et supprimée : il fallait faire « table rase ». Ainsi, en France, avec la parution du « Novus ordo », on chassa en même temps toute une piété populaire qui privait ainsi les fidèles de leurs « pratiques pieuses » et les laissait impuissant devant un « vide » d’absence réelle. Or, cette piété constituait l’écrin renfermant la force nécessaire pour les fidèles d’accepter avec douceur et fermeté, les changements nécessaires que désiraient les pères du Concile. Si la France et certains clercs de notre pays avaient été plus « humbles » dans l’application du Concile, nous n’aurions pas eu tous ces problèmes, ni même une réaction extrême, dans l’autre sens. Si les savants théologiens avait cherché d’abord le « sensus ecclesiae » et l’amour de l’Eglise, avant celui de l’originalité ou de l’invention et donc de dire n’importe quoi, nous n’aurions pas connu l’échec ! C’était dans l’humilité de l’obéissance amoureuse qu’il fallait appliquer les dispositions du Concile, et non pas en se livrant à cette prétention toute française et orgueilleuse qui consiste à vouloir être ‘original’ et interpréter les textes jusqu’à en dénaturer le sens! La « ratio legis » du Concile a été ignorée à souhait, et l’on en paie les conséquences !

Monseigneur, comment réagir avec des catholiques, souvent investis depuis longtemps dans l’Eglise, qui réclament de revenir sur des dogmes fondamentaux, comme ceux qui concernent la sexualité ou encore le mariage des prêtres, afin de moderniser, selon eux, une Eglise encore trop «traditionnelle» ?

Mais faut-il seulement « réagir » ? L’on sait, par expérience que la réaction peut faire perdre la charité ! Je crois au contraire qu’il faut surtout réfléchir et user de raison! Si l’on se penche sur les propositions en face d’une « adaptation du dogme », faudrait-il donc, « pour moderniser » celui-ci, l’adapter à la pensée du monde quitte à le faire aller dans le sens du monde ? Ceci va contre l’histoire de l’Eglise porteuse d’un message éternel de salut, donc transcendant, mais qui ne ‘vient pas’ du monde. Le monde ne propose pas le salut. Si le monde pense que les prêtres doivent se marier, c’est l’idée du monde ; une idée qui est radicalement opposée à la Révélation, une idée qui est opposée à ce que dit l’Evangile dans la péricope des trois classes d’eunuques ; une idée qui prend le contrepied de ce qu’a vécu le Christ, chaste et célibataire. Si, sous le prétexte de justifier ou légitimer une sexualité non-humaine, débridée, décadente ou perverse, et donc détournée de sa finalité, on devrait « adapter » l’enseignement de l’Eglise aux modes du monde, alors on n’a pas fini « d’adapter » jusqu’à perdre l’essentiel ; au reste, ceux qui ont surtout « adapté » l’enseignement de l’Eglise aux idées du monde… ont fini par quitter l’Eglise !!! Ceux qui ont cru que les modes allaient les rendre le dogme plus accessible au monde, n’ont jamais réussi pari : c’était une gageure… car la mode est mortifère, elle est inconstante et imprévisible, la mode ne peut être porteuse d’un message éternel, elle ne s’oppose pas à ce qui est « ancien », mais bien à ce qui est éternel !

Le monde suit des idées « à la mode », l’Evangile est d’une autre nature, il n’a pas d’idées, il est éternel car l’amour est éternel, et l’Evangile n’est autre chose qu’amour… Même s’il s’incarne dans ce monde ou dans un autre, dans cette époque ou dans une autre, il ne tient pas sa source ni sa valeur « de » ce monde, car l’amour dont il est porteur vient de Dieu et non du monde. Qui comprend cette distinction déterminante peut avancer dans la réflexion et se poser la cruciale et essentielle question : le dogme a un contenant et un contenu, donc quel est le plus important ? (question qui a tant préoccupé les catéchistes dans les années 70… !). Il faut constater d’autre part, qu’on a tellement réfléchi sur la « manière » de transmettre la foi, qu’on en a oublié le contenu. L’un et l’autre sont importants.

Mais l’un ne doit pas évincer l’autre. Donc, devrait-on – pour que le dogme soit reçu, compris et accepté – sacrifier le « contenant » au contenu, ou l’inverse ? La question est mal posée. Il ne s’agit pas d’une alternative : ce n’est pas « ou bien le contenu, ou bien le contenant ». Ce disjonctivisme doit être dépassé. Il faut sortir de l’impasse et avoir recours au principe moral de « datur tertium » ? il existe une troisième voie. On peut sauver « et » le contenu, « et » le contenant ! Il est possible aujourd’hui de transmettre les dogmes de l’Eglise manière intelligible, intelligente, adaptée. Et ces dogmes peuvent être reçus, acceptés et compris, grâce à cette union amoureuse entre ‘foi et raison’ (Jean Paul II). Ceci à condition de ne pas « politiser » la foi, et de ne pas isoler la raison. Partant, la foi n’est pas une « opinion », comme l’Eglise n’est pas un « forum d’opinion ». Cet écueil dans la compréhension des choses de la foi et du dogme vient de ce que l’on a confondu « théologie » et « dogme » ; or, ce sont deux choses différentes qui ont deux domaines différents. La théologie est une science, donc elle a ses propres limites dans le temps, dans l’espace, dans l’histoire. Cette science est aussi une recherche tout en conservant ses limites… Cette recherche n’est jamais définitive, ni elle ne doit se substituer au dogme qui est d’un autre degré et d’un autre ordre.

Le dogme appartient à la révélation, il est une « lumière » que le pape compare à un « lampadaire sur une route », celle de la foi.La théologie n’est pas le dogme. Le dogme n’est pas la théologie, il est cette lumière qui nous vient de la révélation, donc de Dieu. On avance grâce à cette lumière, sans remettre en cause son énergie, sa puissance de clarté, sinon l’on tombe dans l’obscurité. Cette distinction entre théologie et dogme est fondamentale pour que les fidèles puissent réfléchir en paix, de manière responsable et saine, sans retomber dans la chicane ou le mauvais esprit. Le mauvais esprit, repu de critique et d’insolence, ne fait que confondre les deux choses pour réduire le dogme à la théologie… En revanche, celui qui cherche le « sensus Ecclesiae » et qui en vit, sait opérer la distinction… !

Monseigneur, un des pires fléau de notre temps me semble être cette mollesse généralisée et cette inféodation à un humanisme abscons délié de tout ancrage anthropologique. On en vient même à laïciser les vertus théologales comme la charité pour en faire une simple fraternité mondaine. Comment lutter contre ces tendances qui annihilent toute transcendance ?

Là encore, tout dépend de la manière dont on aborde les concepts. Si le discours des vertus a été ramené à celui d’une simple fraternité « mondaine », (voire mondiale) la raison est simple : il y a eu une dénaturation du discours lui-même. Certains ont politisé ou « immanentisé » les vertus théologales (quand bien même on aurait totalement éliminé les vertus morales). Dans les années post-conciliaires, la vertu de charité était vue sous ‘l’aspect social’, on « faisait » la charité ; on quêtait pour le Sahel, pour le Biafra etc… et c’était tout ! La vertu d’espérance revêtait une finalité essentiellement « politique », on pensait à un «futur meilleur pour l’humanité » ; on rêvait une « humanité libérée du joug de la dictature, de l’oppression, du racisme » et dans les années 90 « de l’exclusion » etc…. Enfin, dans ces années troublées, on a réduit la foi à une « opinion personnelle », à une idée (ça se résumait à la locution emblématique : « toi, tu as tes idées, moi j’ai les miennes »).

 on a réduit la foi à une « opinion personnelle »

L’Eglise était donc devenue pour certains un genre de « forum », une agora grecque où les débats d’idées les plus contradictoires étaient la garantie « d’être d’Eglise » ou de « faire Eglise ». Il fallait « faire communion » comme on fait la vaisselle ou un tour de pédalos sur le lac d’Annecy. Tout cela est dépassé aujourd’hui car les protagonistes du « printemps de l’Eglise » s’essoufflent, ils sont désormais âgés et ils n’ont guère d’héritiers sinon de doux nostalgiques d’une époque révolue. Leur agressivité politique de voir les choses fut tellement stérile qu’ils n’ont pas d’héritiers. La mollesse dont vous parlez et que le Pape a rappelée récemment sous le nom biblique de « tiédeur chez les chrétiens » est la conséquence « logique » de la dénaturation des vertus théologales. Cette tiédeur a été entretenue à souhait par la médiocratie de certains clercs des années 70/80 (diacres, prêtres, évêques confondus) qui considéraient l’ordre sacré dans lequel ils étaient institués comme une sorte de fonction d’animation sociale. Ces mêmes clercs ayant discrètement renoncé à leur visibilité, persistaient à croire qu’il n’y avait pas « péril en la demeure » quand bien même leurs églises se vidaient à vue d’œil ! Bien sûr, ils auraient toujours pu évoquer la qualité par rapport à la quantité. Ils affirmaient que les chrétiens, certes, il y en avait moins, mais ils étaient « meilleurs ». Alors comme répond Frossard « … et quand il n’y en aura plus, ils seront définitivement parfaits » !!! Certes la qualité est plus importante que la quantité, et le texte du concile sur la formation des prêtres (Optatam Totius) le répète à juste titre. Mais si l’on analyse objectivement la vie de certaines Eglises particulières de l’époque, on s’aperçoit qu’il n’y avait ni la qualité, ni la quantité ! Pour vous répondre : on ne peut pas lutter contre ceux qui nient toute forme de transcendance. On ne « doit » pas non plus, c’est du temps perdu. Le Cardinal Ratzinger l’a dit : « on n’attend pas qu’un idéologue se convertisse, on attend qu’il meurt » ! Lorsque la foi est rabaissée au rang d’idée, même à celui de conception philosophique et qu’elle n’est plus vécue comme une vertu théologale (‘théologale’, c’est-à-dire ‘qui vient de Dieu et nous porte à Dieu’), l’on ne peut rien faire, car il n’y a « rien » à faire ! le dialogue est impossible, on se situe sur deux plans ontologiquement différents! On parle de deux choses différentes…! L’adage paysan nous dit : « essayez de faire boire un âne qui n’a pas soif ».

On peut en revanche prier pour la conversion de ces chrétiens qui sombrent dans l’immanentisme, certes, mais « la grâce s’appuie sur la nature » et Dieu ne force personne ; leur conversion à la transcendance dépend uniquement de leur bon vouloir, et l’amour se loge dans la volonté. En revanche s’ils ne veulent pas aimer, Dieu respecte leur choix. Et ce refus crucifie davantage son Divin Fils. De la même manière que Jésus ne court pas après le jeune homme riche de l’Evangile pour le « forcer à la conversion », Dieu ne force pas ceux qui se refusent à toute transcendance ! Si Dieu ne peut rien faire pour eux sinon les aimer, comment pourrions-nous, nous-mêmes, faire quelque chose pour eux, sinon à notre tour, les aimer sans pour autant nous livrer à la surenchère ou au prosélytisme ? Dieu ne force personne… !!! Saint François de Sales disait : « Dieu propose, et l’homme dispose » !

Monseigneur, les « chrétiens de gauche », souvent ultra-progressistes et hostiles à la hiérarchie ecclesiale, ont bonne presse et leurs idées se répandent chez les fidèles : bric à brac religieux, religion à la carte, immanentisme des valeurs, prophétisme terrestre. Grâce notamment à la « bonne presse chrétienne », ils arrivent à faire passer les chrétiens fidèles à l’enseignement de l’Eglise pour des intégristes ou des personnes figées et rétrogrades. Comment leur montrer que le plus beau progressisme est dans l’attachement aux traditions des plus grandes intelligences de l’Eglise ?

C’est vite dit qu’ils ont « bonne presse » ! Où et comment ont-ils ‘bonne presse’ ? Tout cela est très relatif ! Vous dites ensuite « leurs idées se répandent chez les fidèles » : certes, mais chez « quels fidèles » ? Les églises sont vides en France, que veut dire alors le terme « fidèle »… ou bien « combien y a-t-il de fidèles » ? A-t-on des chiffres ? Des estimations plausibles ? il y a des diocèses qui comptaient plus de cent paroisses au début du XXème siècle, or, au début du XXIème siècles, ils ne comptent qu’une vingtaine de paroisses !!! Un évêque qui a pris sa retraite a dit qu’il avait – en vingt ans d’épiscopat – enterré cent prêtres, et qu’il en avait ordonné…. un seul !!! En dehors de Paris, la France « rurale », la France de Province, la France hexagonale n’a plus de pratique… c’est fini ! Où sont les fidèles si nombreux dont on nous parle ? D’autre part, honnêtement, je n’ai jamais compris le terme de « chrétiens de gauche ». Ce terme relève d’une catégorie politique qui n’a rien de commun avec les promesses du baptême, et encore moins avec le contenu de la Révélation. Il s’oppose diamétralement à la mission du Christ. Car le Christ est venu sauver tous les hommes et pas une catégorie politique. Il a ordonné de prêcher à toutes les nations, et pas à une seule !

C’est l’Evangile, qu’on le veuille ou non… Enfermer des chrétiens dans une catégorie politique est une injustice… J’avais dans ma paroisse des fidèles qui se définissaient comme « chrétiens de gauche ». Quand je leur demandais ce que cela pouvait bien signifier et d’où cela venait, ils étaient incapables de me répondre. Leurs réponses n’avaient aucun fondement épistémologique. Dans l’histoire de l’Eglise, notre époque est « unique » en ce sens : cette catégorie politique n’a jamais été utilisée auparavant. Mais au fond, qu’est-ce que cela signifie ? Cela n’a probablement aucun sens véritable car l’appartenance chrétienne est une chose qui nous dépasse infiniment. Elle nous introduit dans l’Eternité. Se définir chrétien avec une contingence politique, c’est passer à côté de la Révélation. On voit mal comment une appellation  politique, donc purement immanente, pourrait paisiblement faire bon ménage avec celle transcendante de ‘chrétien’, car le baptême scelle la personne humaine pour l’éternité !!! D’autre part, si le chrétien doit militer pour des droits ou pour la justice, ce n’est pas au nom d’une quelconque politique, mais au nom de son engagement évangélique. Il devient donc évident que lorsqu’on politise l’appartenance chrétienne, on tombe inévitablement dans une dénaturation des vertus théologales, comme je l’ai dit plus haut, mais on aboutit à une dégénérescence de tout le message chrétien. La Révélation perd son sens, le salut aussi ! La Rédemption opérée par le Christ n’a plus de finalité, la grâce encore moins !

Monseigneur, comment un jeune chrétien, qui a souffert et souffre encore des dérives 68ardes de la société et de grandes fanges de l’Eglise, peut-il s’engager au mieux au Service de l’Evangile, du Magistère et de la Tradition ?

Un chrétien, qu’il soit jeune ou vieux, doit être avant tout « chrétien ». C’est peut-être une tautologie, mais il faut y réfléchir. Etre chrétien, c’est appartenir au Christ ; le suivre et l’imiter. Tout au moins essayer. Or, on doit l’imiter aussi dans sa Passion et sa Croix. La vie chrétienne n’est pas une affaire de « tranquillité» ou de « bien-être »! La croix est présente dans la vie du Chrétien qui imite le christ, et elle vient aussi de la contradiction avec le monde : l’Evangile de Jésus Christ selon saint Jean nous le montre particulièrement. Si nous sommes chrétiens (et vraiment chrétiens) nous serons inévitablement critiqués, dénigrés, voire martyrisés par le monde. « Vous n’êtes pas de ce monde » dit Jésus-Christ. Oui, nous portons notre croix car nous sommes du Christ, et le monde continue le procès de Jésus, sa Passion et sa crucifixion à travers les persécutions contre les chrétiens. Curieusement ces persécutions sont aujourd’hui devenues davantage « morales » et immatérielles ; de plus, elles ne sont plus seulement « ab extra », mais aussi « ab intra ». Ce sont des prétendus ‘chrétiens’ qui persécutent d’autres chrétiens, c’est là aussi une nouveauté.

S’il faut s’engager au service de l’Evangile, du Magistère et de la Tradition, il faut donc « être » chrétien, et parfois il faut être « chrétiens parmi les chrétiens ». Mais alors comment « convaincre » ? On ne peut convaincre que par l’Etre, et non plus par l’agir ou la parole ! Le chrétien doit « être » avant tout… ! Il devient donc impérieux non pas d’affirmer ou de proclamer sa foi non seulement par des paroles ni par l’agir, mais par « l’être » homme de foi. En « étant », le monde nous « voit » et comprend ! Et l’on n’est cohérent et sincère uniquement parce qu’on « est ». C’est donc l’être qui prime, et non plus l’agir ou la parole, car l’agir suit l’être. La parole est vaine, creuse, politique, si « l’être » n’est pas ce qu’il doit être. C’est en étant chrétien, pleinement, amoureusement, humblement mais virilement, qu’on peut s’engager… ! L’agir est toujours précédé de l’être. C’est parce qu’on « est » d’abord, qu’on agit ensuite… et c’est en pratiquant les vertus, en vivant la foi de son baptême, en priant avec constance et vigueur, que l’on « est » chrétien. Il ne s’agit pas d’un combat politique ni idéologique, il ne s’agit pas de revendiquer une « identité chrétienne » à coup de drapeaux, de manifestations, de débats…. il suffit « d’être ». Au reste, le monde ne s’y trompe pas : il a vite fait de « juger » ces chrétiens qui ne sont guère cohérents… L’on possède déjà cette identité par le baptême et les promesses qui y sont liées.

 Tant qu’on qualifiera – en France – les chrétiens de tel ou tel titre, « de droite ou de gauche », de « conservateurs ou de progressistes », « d’intégristes ou de modernistes », on n’arrivera à rien.

Voilà pourquoi il me semble que la politisation bipolaire des chrétiens en France est une absurdité. Il n’y a pas des intégristes d’un côté et des progressistes de l’autre. Ce disjonctivisme d’ordre politique (R.P. Pinckears, OP) est un non-sens. Tout cela doit être dépassé. Il y a en réalité les fidèles catholiques qui répondent aux engagements de leur baptême et qui constituent un seul peuple, un seul troupeau, sous un seul Pasteur…Et il n’y a qu’un seul Peuple de Dieu. Comme saint Paul dit qu’il n’y a qu’une « seule foi, un seul baptême ». Affubler des chrétiens de titre politique, c’est déjà tomber dans les divisions, dans l’idéologie semeuse de zizanie et c’est quitter le domaine de la foi transcendante qui unifie et rassemble. Voyez les conflits autour de la « messe » : la messe est sensée normalement « rassembler » et non « diviser !!! Tant qu’on qualifiera – en France – les chrétiens de tel ou tel titre, « de droite ou de gauche », de « conservateurs ou de progressistes », « d’intégristes ou de modernistes », on n’arrivera à rien. Ces catégories politiques ne mènent nulle part, sinon à la division. Il faut sortir de cette impasse ! Le jeune chrétien qui veut s’engager, en France : qu’il vive sa foi, qu’il prie, qu’il aime, qu’il soit serviteur, qu’il soit bon, qu’il demeure fidèle, qu’il « soit » ce qu’il est : chrétien ! Sa cohérence lui donnera l’autorité naturelle et surnaturelle suffisante pour convaincre autrui de ce qu’il est authentique et donc « chrétien »… !

Enfin, je trouve que le « mal typiquement français » (probablement hérité du jansénisme, un « passé qui ne passe pas ») consiste en ce vide de charité qui anime souvent les rapports entre croyants. On constate ça-et-là une animosité d’un « parti contre l’autre », des divisions inutiles et des haines d’un autre âge… ! Les querelles autour du rite liturgique font preuve de ce manque de charité… ! Tout cela vient de ce que l’acte de foi n’est pas précédé de l’acte de charité. Or, quand on « croit » vraiment, on ne se contente pas de « croire » seulement mais on « aime » avant tout ; les vertus ne sont pas placées les unes à côté des autres ; elles ne sont pas hermétiques, au contraire, elles croissent ensemble, elles vivent ensemble, elles communiquent, elles sont unies dans un mariage mystique de communion. Si seulement les catholiques français pouvaient « aimer en croyant » et « croire en aimant », nous serions sortis « d’affaires » !

Propos receuillis par Vivien Hoch