[Critique] MONSIEUR SCHMIDT

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : About Schmidt

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Alexander Payne
Distribution : Jack Nicholson, Kathy Bates, Hope Davis, Dermot Mulroney, June Squibb, Len Cariou, Mark Venhuizen, Phil Reeves …
Genre : Comédie/Drame/Road Movie
Date de sortie : 5 mars 2003

Le Pitch :
Warren Schmidt, 66 ans, prend sa retraite. Du jour au lendemain, il perd tous ses repères. Lorsque sa femme décède subitement, les choses empirent pour Warren, qui décide de parrainer un petit garçon africain par correspondance. Il écrit au jeune Ndugu de longues lettres où il couche ses ressentis sur une existence qui semble lui échapper.
Devant se rendre au mariage de sa fille, à plusieurs centaines de kilomètres de chez lui, Warren s’embarque alors dans son camping-car récemment acquis, dans un périple routier qui, il l’espère, va l’aider à y voir plus clair…

La Critique :
Qu’on se le dise, Alexander Payne est l’un des meilleurs réalisateurs américains en activité. Assez rare, il fait néanmoins mouche à chaque fois et impose un ton à part, doux-amer, toujours empreint d’une rythmique comique exigeante et ciselée.
C’est donc après un premier long-métrage confidentiel, Citizen Ruth et un autre, L’Arriviste, plus remarqué, que Payne réalise Monsieur Schmidt et trouve du même coup ses marques. Dès lors, ses films (Sideways et The Descendants) seront toujours marqués par ce sentiment de mélancolie amère, jamais exempt d’espoir et caractérisés par un profond recul sur les situations souvent dramatiques qu’ils abordent.

On a souvent qualifié Warren Schmidt, le héros du film, incarné par Nicholson, de véritable méchant. Certes, Warren n’est pas à première vue le type de gars que l’on aurait envie d’avoir à sa table. Il ne parle pas des masses, est radin, un poil acariâtre et carrément de la vieille école. Pourtant, rien de tout cela ne le rend aussi détestable que certains semblent le penser. Warren Schmidt est un vieux bonhomme qui a passé toute sa vie dans la même entreprise et du même coup dans une existence cloisonnée, car régie par une série de règles immuables. C’est du moins ce que Warren pensait. Au décès de sa femme, quelques jours après l’appel de la retraite, tout fout le camp. Sa femme n’est plus là pour tenir la maison et faire la cuisine et la raison première qui faisait se lever Warren le matin, n’est plus là non plus. Un jeune loup aux dents longues a pris sa place dans son bureau et ses dossiers, durement entretenus pendant plusieurs décennies de boulot, sont en passe de filer à l’usine de traitement des déchets.

À l’instar des héros des grands road movies de la littérature beatnick (ceux de Sur le Route par exemple, pour ne citer que le plus fameux), Warren trouve dans le fait de prendre la route, un échappatoire salvateur. Le seul qui semble s’imposer de lui-même. Encore valide, Warren ne se reconnaît plus dans son milieu naturel, celui qui fut le sien durant une large partie de son existence. La route lui tend les bras. Et comme il ne s’agit plus vraiment d’un jeune premier, Warren ne part en voiture ou en moto, mais dans son monumental camping-car suréquipé. Le parallèle avec Easy Rider, dans lequel Jack Nicholson s’illustrait également, est amusant. Dans les deux métrages, Nicholson dérive à la recherche de réponses. Dans les deux films, la route et l’aventure qu’elle symbolise, avec ses rencontres et ses prises conscience sont au centre du récit.
Cependant, la comparaison s’arrête là bien sûr. Monsieur Schmidt n’est qu’un road movie par intermittence. Une bonne partie du temps est réservée au séjour de Warren dans la belle-famille de sa fille, réunie à l’occasion du mariage de cette dernière avec un blaireau symbolisant à lui tout seul la classe sociale white trash, que le personnage de Nicholson exècre.

Et là, on pourrait craindre que le film organise le changement de cap d’un type fermé, qui apprend à s’ouvrir aux autres en allant au-delà de ses préjugés. Et bien non. Alexander Payne n’exclue pas le changement, mais chez lui, la subtilité a son mot à dire. Warren change, mais pas brutalement non plus. Il côtoie des personnes dans lesquelles il ne reconnaît pas ses propres valeurs, y-compris en ce qui concerne sa fille chérie, qui est passée du côté obscur si on se base sur la perception des choses de Warren, mais ne remet pas en causes ses principes fondamentaux.

Peu importe, car Monsieur Schmidt ne cherche pas à assener une morale bien pensante. Payne préfère se concentrer sur le parcours d’un homme à la recherche du temps perdu. Un gars qui se livre à une introspection particulière, à un moment particulier de sa vie. Une cure de jeunesse en quelque-sorte, émaillée de quelques péripéties pas piquées des vers.
Comédie efficace quand elle cherche à provoquer le rire, Monsieur Schmidt se démarque par sa tonalité, juste en permanence.
Nicholson est totalement au service de son personnage, bien loin des rôles qu’on lui a souvent confié tout au long de sa riche carrière. Pas du tout influant, en colère, mais n’ayant aucune emprise sur qui que ce soit, Warren donne l’occasion à Nicholson de laisser tomber les gimmicks qui ont fait sa réputation carnassière. Ici, Nicholson la joue en douceur et prouve à ses détracteurs à quel point il est exceptionnel. Habitant le film d’un bout à l’autre, Jack Nicholson trouve chez Payne l’un de ses meilleurs rôles. Le tout en interprétant un type cruellement ordinaire et en apparence (en apparence seulement) insignifiant.

Réflexion touchante et drôle au potentiel fédérateur énorme, sur le temps qui passe, sur l’amour, le couple, le travail, la vie et la famille, Monsieur Schmidt brille par son écriture et par la pertinence de son propos. Un film dans lequel il est facile de se retrouver et dont la fin, déchirante (mais pas plombante), a de quoi déclencher quelques larmes. Du grand cinéma intimiste.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Metropolitan FilmExport