Brillant et nuancé plaidoyer contre la peine de mort

Par Borokoff

A propos d’Into The Abyss de Werner Herzog 

Michael Perry

Les faits sont atroces. Ils rappellent toute l’absurdité et la sordidité, toute la bêtise et la cruauté dont est capable l’homme. En 2001, Jason Burkett et Michael Perry, deux jeunes hommes de 19 ans, ont fait leurs preuves en la matière en abattant de sang-froid chez eux Sandra Stotler, son fils Adam et un ami de ce dernier, le tout pour leur voler leur voiture ! Les faits se sont produits dans la petite ville de Conroe, au Texas. Mais tandis que Burkett a été condamné à la prison  perpétuité, Perry a été condamné à mort et exécuté le 1er juillet 2010. Huit jours avant sa mort, Herzog a pu interviewer Michael Perry et Jason Burkett. Pour essayer de comprendre les motifs qui ont pu pousser les deux jeunes hommes de 19 ans à commettre l’irréparable, un triple homicide, mais aussi pour plaider contre la peine de mort et son caractère profondément injuste, inutile et infondé…

Into the abyss est d’abord une passionnante enquête qu’a menée le cinéaste allemand, en remontant la bobine des tragiques évènements survenus à Conroe en 2001. S’appuyant sur des documents d’archives de la police (scènes du crime filmées en vidéo), sur des témoignages de parents des victimes, Herzog (dont on sent d’emblée l’implication puisque c’est lui-même les questions en voix-off) est parvenu à recueillir une foule d’interviews tantôt très émouvantes tantôt très utiles pour essayer (et on insiste bien sur ce mot) de comprendre la folie qui a pris ces deux jeunes paumés texans. Cette folie de Burkett et Perry, elle trouve ses fondements dans leur éducation et la misère humaine et affective que les deux jeunes ont connu très jeunes. L’enfance de Burkett et Perry ne constitue en rien une excuse pour expliquer ce qu’ils ont fait, et Herzog s’en garderait bien du reste, mais elle permet de comprendre dans quel environnement sinistre les deux hommes ont grandi.

Jason Burkett

Vers l’âge de 18 ans, Perry a été recueilli et hébergé par Burkett  (visage froid comme la mort) dans son mobile home alors qu’il errait dans les rues et dormait dans la voiture d’une de ses amies. L’enfance de deux hommes est un cauchemar, mais c’est paradoxalement le père de Burkett, qui purge lui-même une très longue peine de prison et que Herzog a pu aussi interroger, qui a « sauvé » son fils de la peine capitale le jour de son procès, en livrant un témoignage si poignant, si emprunt d’une culpabilité de père, qu’il a ému deux jurés jusqu’aux larmes. deux jurés qui ont refusé que Burkett soit finalement exécuté.

Une femme, à l’extérieur de la prison, est tombée amoureuse de Perry « par correspondance » et a même réussi à tomber enceinte de lui, par on ne sait quel mystère de la science. Mais le plus grand paradoxe, c’est sans doute de voir à l’écran Michael Perry en prison. Détendu en apparence, le jeune homme de 28 ans cache sa nervosité derrière un visage et un sourire angéliques. Oui, Perry a l’expression et le sourire d’un enfant. Malgré des preuves accablantes, le jeune homme niera jusqu’au bout être impliqué dans le triple homicide dont on l’accuse. Herzog, au début de l’interviewe, prévient Perry qu’il n’est pas là pour le juger ni l’« aimer » mais pour essayer de comprendre, comprendre, en lui donnant la parole, les motifs meurtriers d’un jeune homme qui va mourir dans huit jours. Nous ne sommes pas pas là pour assister à une confession, nous dit en creux Herzog,  mais pour tenter de comprendre l’inexplicable. Si Perry jure qu’il « part en paix avec lui-même », il osera néanmoins dire à la fille de Sandra Stotler, le jour de son exécution, qu’il la pardonne !

Les témoignages de la fille de Sandra Stotler, comme ceux du frère de l’ami décédé de son fils, sont parmi les plus bouleversants du film. Ils montrent avec pudeur des gens ravagés par la douleur, l’incompréhensible et le tragique. Into the Abyss, on le comprend peu à peu, est en fait un plaidoyer en forme de réflexion, de questionnement permanent sur l’utilité et la raison d’être de la peine de mort. Tous les témoignages concordent, jusqu’à celui de ce bourreau qui coordonnait les opérations lors des exécutions et qui a dû démissionner à la suite d’une grave dépression : tuer des meurtriers, non seulement ne ramènera pas les victimes à la vie, mais c’est une peine parfaitement illégitime, fondée sur un droit de vie et de mort que l’Etat américain s’est octroyé. Un droit divin déguisé en loi. La colère que l’on sent poindre chez Herzog , en toile de fond, n’empêche pas le cinéaste de rester dans la nuance, de creuser plus profond dans sa réflexion sur la vie, la mort, et ce que l’Etat américain s’est permis d’en faire, au nom de la justice. Mais quelle justice ? Comme le rappelle ce bourreau démissionnaire, tuer des criminels est une peine qui s’avère inefficace. Car censée constituer un exemple, la mort d’un criminel a-t-elle déjà effrayé ou dissuadé d’autres criminels d’agir ?…

http://www.youtube.com/watch?v=5uV1_Yc8OSw

Film documentaire américain de Werner Herzog (01 h 45).

Scénario de Werner Herzog : 

Mise en scène : 

Compositions de Mark Degli Antoni :