Dans ma cabane une platine # 10

Publié le 01 novembre 2012 par Euphonies @euphoniesleblog

Dans ma cabane une platine # 10

Je ne sais pas si c’est le passage à l’heure d’hiver ou la deuxième ration de Weetabix prise au goûter qui me fait ça, mais je viens d’être saisi à l’instant par la grande question du temps qui passe. Je me suis assis face à ma discothèque. Et soudain le vertige. Je n’aurai jamais le temps. Enfin, pas complètement. Pas le temps d’accorder l’attention nécessaire aux infinies propositions de ma névrose musicale.

Partons sur des bases communes. Une journée est faite de 24 heures. En partant du principe qu’on se lève entre 6h00 et 10h00 (oui, j’oublie les marginaux) et qu’on se couche entre 22h00 et 05h00 du matin en moyenne (et là je suis large), de combien de temps disposons-nous pour écouter de la musique ? Je veux dire écouter vraiment, y consacrer du temps. Une heure ? Trois heures ? Les moins investis répondront quinze minutes. Le temps d’une ou deux chansons, écoutées distraitement au supermarché ou lors d’un repas entre amis. D’autres trouveront entre une et deux heures pour soulager leur besoin de musicalité. Moi, je me suis posé la question. Entre internet et mes achats personnels, j’ai devant moi 783 ans de musique non-stop écoutable. Autant dire que je mourrai sans avoir apprécié plus d’une fois le morceau bonus d’un album collector de Eels. Triste constat. 

Que faire ? Tout virer et occuper l’espace par des livres que je ne relirai pas davantage ? Dire stop au fétichisme et jeter à la benne mes ultra-rares de Nick Cave ? Tout convertir en numérique et rêver en 320 kpbs ? Il y aura un temps où ma cabane n’en pourra plus. Et toutes ces choses que je rate : un silence sans bruits, la vie sans bande son, l’heureux réflexe béotien de considérer Rubber soul comme unique horizon. Sauf que.

Sauf que j’ai trouvé la parade. Imparable. Si j’archive chez moi des millions de titres, c’est parce que j’aime croire au fantasme du bibliothécaire. The right song at the right moment. Dégainer plus vite que son ombre. Trouver le pansement. Le geste nonchalant du mec qui lance un vinyle de Coltrane sur sa platine pour décorer l’apéro. La capacité de joindre l’évocation et la preuve. La peur de rater le coche parce qu’à 23h14, il fallait pouvoir lancer ce morceau si convoité d’Amon Tobin. Et puis, si j’archive la musique c’est parce que je crains de manquer. Une oreille, un moment. Et au bout d’un mois, je déglutis. Je concasse, sauve, sélectionne. Rêve de panthéon. C’est alors dans ma cabane une platine.

Bonne écoute.


Edward Hopper - Excursion in philosophy, 1959

Ce mois ci à gagner, le superbe album de Grizzly Bear en mp3. Question : combien d'articles ont été publiés sur Euphonies (celui-ci inclu) depuis le 2 janvier ? Marge d'erreur de cinq. Le premier remporte la mise.