Mais quel est ce monde qui pousse à l’exode ?

Publié le 02 novembre 2012 par Arsobispo

A mon retour d’une régate au large du Morbihan, retrouvant la famille, nous nous sommes raconté nos péripéties. C’était le moment des retrouvailles. Nous avions beaucoup de choses à nous dire.  Et bien que j’eusse fait le plus de route, les lieux que j’avais parcourus se réduisaient à une étendue d’eau dont la description n’égalait pas celle que ceux qui étaient restés à terre pouvaient relater.

On me parla notamment de la galerie d’art « L’Escarpolette[1] », pas très loin de Saint-Gildas où nous résidions. Elle présentait des merveilles, me disait-on. Ils avaient d’ailleurs pensé à moi lorsqu’ils l’avaient visitée. Il fallait absolument que j’y passe.

Quelques jours plus tard, j’y suis donc allé faire un tour. Et, en effet, je fus très agréablement surpris. Dès l’entrée, une quantité de reproductions et d’originaux d’œuvres de Titouan Lamazou cachaient les murs de la galerie. Près de l’entrée, sur une table, les différents livres du peintre-photographe-marin étaient exposés. Les possédant, je les ai reconnu tous. Ah non, « pas celui-çi ! C’est sans doute une nouveauté. » Il s’agissait de « Ténèbres au Paradis ». Livre de réflexion, de dessins et de photographies, consacré aux peuples de l’Afrique des grands lacs.

Je décidai sur le champ de l’acheter et en profitai pour demander à la galeriste les raisons de cette exposition-vente particulièrement riche. Elle me répondit que son mari était un ancien coéquipier de Titouan Lamazou et qu’ils étaient restés amis.

- Lorsque Titouan vient en Bretagne, il loge chez nous ».

Je payais le livre. Alors elle me demanda « voulez-vous qu’il vous le signe ? »

Interloqué, je ne compris pas de suite que l’auteur était présent. « Il est dans la pièce à côté » m’expliqua-t-elle. C’est ainsi que j’ai fait sa connaissance.

Mais revenons à ce livre qui fait suite à son grand projet « Zoé-Zoé, femmes du monde ». Il y raconte, à sa manière, émouvante et digne, le destin tragique de femmes meurtries par les guerres ethniques et fratricides qui n’ont de cesse de détruire l’est africain. Il connaissait déjà Kinshasa, où il avait séjourné en 2000. Six ans plus tard, son retour le confirmait  dans ses craintes sur l’avenir de ces femmes. Des spécialistes, qu’il a interrogés lui apportent des  explications et nous éclairent sur le sort de ces peuples.

Sa réflexion m’a confirmé le regard pessimiste que je porte sur notre avenir commun, en dehors même de toute considération catastrophique de l’état physique de la terre  que nous laisserons à nos enfants.

Certains des chantres de la mondialisation ne sont pas à une contradiction près en s’élevant sur le devoir de citoyenneté des migrants. Pourtant le modèle de société dont ils chantent les louanges va à l’encontre de l’application d’un projet commun des membres, toutes origines confondues, d’un même pays.

Le monde dans lequel nous vivons fournit les moyens techniques d’entretenir une relation privilégiée avec la terre d’origine. Les paraboles retransmettent les programmes de tous les pays du monde. Les ordinateurs parlent dans toutes les langues. Les programmes éducatifs des pays de tous les continents sont accessibles d’un simple click. Les outils de traduction sont de plus en plus performants. Les transporteurs diffusent de par le monde, n’importe quel produit, culturel ou identitaire, n’importe quel artefact, autrefois cantonné à un point géographique bien déterminé. En somme, la culture et les mœurs voyagent tout autant que les migrants et ce n’est finalement qu’une conséquence logique de cette mondialisation.

Ce n’est pas tout. Dans les pays occidentaux, la liberté d’exercer sa religion , son éducation, ses  croyances et les moyens associés que leur procurent ces pays démocratiques - constructions de lieux de culte, école privées, associations - accentuent un phénomène qui me semble inéluctable, la dilution d’un « esprit national », ciment de la nation. Les mariages inter-communautaires accentuent la perte des repères, en particulier chez les descendants. Enfin, les langues nationales sont pilonnées sous les coups de butoir qu’exigent les grosses entreprises à ne communiquer, en leur sein, que dans un anglais de plus en plus appauvri.

Qu’un émirat ait décidé d’investir massivement dans une région française est une preuve supplémentaire que la Nation, au sens où nous l’entendons – a baissé les bras. Elle perd son ancrage à un territoire donné. Et pour celui qui s’installe, de façon immatérielle, de par le monde, il développe une nouvelle forme d’expansion nationale, qui n’avait pas été « pensée » et encore moins organisée, par ceux qui en subissent les effets. Certains en parlent en évoquant un néo-colonialiste, ils n’ont pas tort.

Personne n’est à l’abri. L’implantation des sociétés internationales engendre une expulsion des habitants originels, et dans le même temps, provoque une migration de ses propres employés vers ces nouveaux lieux de conquêtes.

Les guerres enfin, soutenues par les grandes entreprises qui y voient le meilleur moyen de piller les richesses naturelles, engendrent des déplacements de population hors des territoires d’implantation historique dont les particularismes et les écosystèmes même, avaient engendré une culture spécifique qui n’a plus de raison d’exister au cœur des camps de réfugiés ou de lointains pays d’accueil.

Que cela soit voulu, subi, désiré ou – la plupart du temps – accepté avec résignation, que devient l’homme dans cet amas de signes, droits, devoirs,  souvent contradictoires. Que deviennent les liens sociaux et l’égalité de chacun au sein de cette société de plus en plus chaotique ? Alors on tente, de se regrouper, reformant des substituts de clans, de tribus, de chapelles, qui n’ont plus que de chiches liens avec la terre d’origine, la terre de ces ancêtres.

Je crains que cela ne se termine dans une implosion comme nous le voyons aujourd’hui même dans certains pays d’Afrique centrale, ou plus dramatiquement encore, par la disparition pure et simple de peuples et de leur culture comme cela se produisit en Amérique les siècles passés.

Dans le sang, l’horreur et les génocides.



[1] l'Escarpolette

13 Rue du Général de Gaulle

Arzon

02 97 53 76 25