Suivre la nuit américaine

Publié le 06 novembre 2012 par Delits

Suivre la soirée électorale américaine ne répond pas aux mêmes règles qu’en France. Alors qu’en France, des résultats assez précis sont annoncés dès 20 heures, aux États-Unis, le décalage horaire de six heures entre la côte Est et les îles à l’ouest de l’Alaska rend une telle coordination impossible. Les résultats électoraux tombent donc peu à peu au cours de la soirée, dès minuit, heure française.

Suivre la soirée électorale

Première étape, ne pas confondre les exit polls et les décomptes des résultats en temps réel. Les premiers sont des sondages réalisés auprès d’un grand nombre d’électeurs (21,000 pour le seul sondage au niveau national en 2008) à la sortie des bureaux de vote (et, dans les États autorisant le vote anticipé, par téléphone) par un institut de sondage réputé. Ils servent aux médias américains à annoncer les résultats dans chaque État sans avoir à attendre le décompte des votes, qui s’il est évidemment plus précis, peut prendre du temps même si les résultats ne sont pas particulièrement serrés. Toutefois, ce sont ces décomptes qui seront affichés sur les écrans des networks américains (cf. ci-dessous) : un État peut donc être attribué à un des candidats sur la base de l’exit poll local alors que c’est l’autre qui est en tête dans le décompte partiel des voix, si ces premiers votes viennent d’une partie très « typée » de l’État.

 

Dès lors, comment interpréter les premiers résultats, ainsi que l’attribution par les networks américains des différents États aux deux candidats ? L’idéal est de comparer le timing des annonces en 2008 et cette année (cf. tableau ci-dessous) : si les États favorables à Obama mettent plus de temps à être attribués cette année, cela peut signifier qu’ils sont plus serrés, et que Mitt Romney y a donc fait des progrès. A l’inverse, si Mitt Romney est encore à la peine dans les swing states les plus serrés de 2008, cela adiminuerait ses chances d’entrer à la Maison Blanche.

La chronologie de la soirée électorale en 2008

La fermeture des premiers bureaux de vote aura lieu à minuit heure française dans la majeure partie de l’Indiana et le Kentucky, mais nous devrons attendre au moins 1 heure pour que les premiers États soient attribués. Plusieurs signes devraient nous indiquer si l’on se dirige vers une réélection facile de Barack Obama : une attribution rapide (avant 2h30) du New Hampshire et du Michigan à Barack Obama ; une attribution tardive (après 2h30) de l’Indiana à Mitt Romney, cet État devant facilement revenir dans le camp républicain cette année; une attribution rapide de la Pennsylvanie (avant 3h00) à Barack Obama ; et enfin, une attribution de l’Ohio au Président sortant (à n’importe quelle heure), sachant que s’il perd l’Ohio, les chances de Mitt Romney de remporter l’élection deviennent alors proches de zéro. En revanche, une absence de vainqueur rapide dans le New Hampshire (voire une victoire du candidat républicain), une annonce immédiate de la victoire de Mitt Romney dans l’Indiana (à 1h00) couplée à une incapacité des médias à attribuer la victoire à Barack Obama dans le Michigan (avant 2h30) devrait commencer à inquiéter les partisans du Président sortant. Il ne faudra cependant réellement s’inquiéter pour lui qu’au cas où la Pennsylvanie n’est toujours pas appelée en sa faveur vers 4h30 et l’Ohio une heure après.

Les autres scrutins du 6 novembre

La soirée électorale n’aura pas pour seul enjeu le nom du prochain Président des États-Unis. Comme l’illustre le bilan plutôt pauvre que Barack Obama présente aux électeurs, le contrôle de la Maison Blanche ne suffit pas pour imposer un agenda politique. Aussi, les résultats des scrutins pour les deux chambres du Congrès, la Chambre des Représentants et le Sénat, seront attentivement observés.

A la Chambre des Représentants, la nette majorité républicaine obtenue en 2010 (242 sièges contre 193 pour les démocrates) pourrait être amoindrie, notamment en cas de réélection de Barack Obama : en effet, le parti du Président enregistre généralement les gains au Congrès, ses candidats bénéficiant d’un effet d’entraînement plus ou moins fort. Pour autant, il est peu probable que le parti de l’âne regagne une majorité à la chambre basse du Congrès.

Au Sénat, dont 33 des 100 sièges (2 par États) sont renouvelés, les démocrates devraient conserver leur légère majorité avec 51 sénateurs démocrates contre 47 républicains, les 2 indépendants siégeant avec les démocrates. Une des courses les plus observées se déroulera au Massachusetts, où le sortant, le républicain modéré Scott Brown, élu en 2010 à la faveur d’une élection partielle, devra affronter une pasionaria de la gauche américaine, Elizabeth Warren. Dans le Missouri, la candidature de la sortante démocrate, Claire McCaskill, a été relancée par la polémique sur les avortements en cas de viol lancée par son adversaire, l’ultra-conservateur Todd Akin. L’élection reste toutefois très serrée dans cet État de plus en plus acquis au camp républicain. En Virginie, l’ancien sénateur républicain George Allen, battu en 2006, tente de reconquérir son siège contre l’ancien gouverneur démocrate Tim Kaine. Dans l’Indiana, le parti républicain pourrait pâtir de son candidat issu du Tea Party, Richard Mourdock, qui a battu en primaires un vétéran de l’aile modérée du GOP, Richard Lugar, et pourrait provoquer la perte de ce siège du fait de son conservatisme excessif. Enfin, au Wisconsin, la démocrate Tammy Baldwin a de bonnes chances de devenir la première homosexuelle à être élue au Sénat.

Par ailleurs, les Américains renouvelleront leurs gouverneurs dans 14 États, ainsi que tout ou partie des assemblées locales dans une trentaine d’États. Autant de scrutins qui auront leur importance étant donné les larges pouvoirs dévolus aux États fédérés par la Constitution américaine.

Les référendums

En dehors de ces élections, les Américains auront à faire des choix à propos de très nombreux référendums. Il peut s’agir de référendums proposés par les assemblées locales ou par un quorum de citoyens et portant sur des enjeux  locaux ou étatiques. Plusieurs de ces mesures portent sur des sujets qui auront un impact politique fort : immigration, mariage gay, légalisation des drogues douces, etc.

Alors que la consommation de cannabis est légale dans dix États et que son utilisation dans un cadre médicale est autorisée dans quinze autres États, cinq référendums vont porter sur ce sujet dans un contexte de progression constante des partisans de la légalisation dans l’opinion publique. Les habitants du Massachusetts et de l’Arkansas vont décider s’ils autorisent son usage dans un cadre médical, les sondages donnant la légalisation largement en tête dans le premier cas et en position plus difficile dans le second. Quant aux électeurs du Colorado, de l’Oregon et de Washington, ils devront déterminer si le cannabis doit être légalisé pour les personnes de plus de 21 ans, et taxé à l’instar de l’alcool ou du tabac. Le passage d’une telle législation est probable au Colorado et dans l’État de Washington alors que les sondages sont très contradictoires dans l’Oregon. Enfin, les habitants du Montana devront décider s’ils souhaitent revenir sur une loi libérale votée en 2011, où s’ils préfèrent revenir à un usage médical très encadré du cannabis. Les sondages semblent indiquer que les électeurs de cet État assez conservateur des Rocheuses favorisent un retour en arrière.

Dans plusieurs États, les électeurs américains vont aussi devoir se prononcer sur l’ouverture des droits au mariage pour les couples homosexuels. Les scrutins se tenant dans des États traditionnellement démocrates, les supporters du mariage gay devraient obtenir, pour la première fois, des victoires grâce au vote populaire dans plusieurs d’entre eux. Au Maryland et dans l’État de Washington, il s’agira de maintenir ou de revenir sur une loi autorisant le mariage gay déjà adoptée dans la législation locale. Dans ces deux États, les sondages donnent une assez nette avance aux partisans de l’ouverture des droits au mariage. Les électeurs du Maine vont quant à eux devoir décider s’ils autorisent l’État à délivrer les licences de mariage aux couples homosexuels. Après s’être prononcés contre (à la surprise générale) en 2009, les sondages indiquent cette année une victoire franche des supporters du mariage gay.  Enfin, au Minnesota, les électeurs devront décider si la constitution de l’État doit être amendée pour préciser que seuls les mariages entre un homme et une femme sont valides. C’est dans cet État que les sondages sont les plus serrés, mais la loi électorale devrait favoriser les partisans du mariage gay. Il faut en effet que 50%+1 des électeurs s’étant rendus aux urnes dans la journée pour que l’amendement soit adopté, or les référendums sont en général boudés par une petite partie des électeurs qui votent pour l’élection présidentielle ou pour les autres scrutins : en 2008, 2,920,214 électeurs ont participé aux élections dans le Minnesota, mais seulement 2,776,561 (soit 5% de moins) pour un amendement sur la législation fiscale. Les opposants au mariage gay devraient donc obtenir environ 52,5% des voix pour l’emporter, rendant leur tâche d’autant plus difficile dans un État à la longue tradition progressiste.

Plusieurs autres sujets retiennent l’attention des électeurs et des médias américains, cette année : au Maryland, l’adoption du Dream Act local, permettant aux étudiants immigrés en situation illégale de poursuivre leurs études ; en Californie, l’abolition de la peine de mort, qui semble recevoir un soutien de plus en plus prononcé de la part de l’électorat ; et enfin, en Alabama, le retrait de la Constitution de l’État de toutes références à la ségrégation raciale, heureusement tombées aujourd’hui en désuétude. néanmoins, dans cet État du Sud profond, un tel amendement avait été repoussé par une très courte majorité en 2004…