De la friperie à l’inutilité de la mode en Afrique.

Publié le 11 novembre 2012 par Maybachcarter

J’ai découvert il y a quelques jours qu’une boutique vintage avait ouvert à Lagos. Qu’est-ce que ça a d’extraordinaire ? Hé bien… disons qu’à première réflexion, dans un continent qui est littéralement noyé par les fringues seconde-main venus d’Occident et de Chine, on a quasiment l’impression que tous les commerçants vendent – quelque part- du vintage (j’en parle un peu plus bas dans le post). Bon, après, j’ai bien compris que les propriétaires de “Retrospective” font du tri et mettent en avant le caractère unique des pièces. Bref, j’ai bien aimé les quelques images réalisées pour promouvoir leur store.

Et d’ailleurs, je suppose que ça doit plutôt bien marcher puisqu’ils viennent d’ouvrir une 2ème boutique, toujours à Lagos.

Ma rengaine reste la même mais à nouveau, dans une ville de plus de 15 millions d’habitants, les perspectives sont LARGES et il y a un public pour TOUT, peu importe le business dans lequel on se lance (du moment qu’on a de la patience et de l’argent à mettre dans de l’essence pour générateur).

Site: http://retrospectiveonline.com/

D’autre part, la marque Republic of Foreigner (cf. Fashizblack Mag. numéro de Janvier 2012) a ouvert un nouveau store à  Lagos également, et je dois dire que j’aime beaucoup le design choisi, notamment le choix des matériaux et des meubles !

Plus d’infos ici.

De manière générale, j’observe une “formalisation” de la vente dans le prêt-à-porter. Je ne dis pas que soudainement il n’y a plus de vendeurs à la sauvette ou de boutiques dans des maisons de fortune. Mais à l’allure où ça va, je vois de plus en plus de marques soit rénover leurs espaces de vente, soit en ouvrir un deuxième, soit passer de l’informel au formel. Je ne sais pas s’il faut prendre cela comme une mutation en cours. Ceci dit, soyons clairs, il s’agit (pour une bonne partie) de boutiques ciblant la classe moyenne haute, voire riche, qui a certaines exigences. Cela crée tout de même un effet boule de neige pour les stores plus “fast fashion”…. ce qui me ramène au point de départ de mon post: la friperie.

Je suis tombée sur un article du Monde à-propos de la “nouvelle mode africaine”. J’ai souri, en  me disant que les médias anglo-saxons ont traité ce sujet depuis plus d’un an mais vaut mieux tard que jamais, n’est-ce pas ? Bref. Ce n’est pas l’article en lui-même qui m’a gênée, mais le seul commentaire écrit juste en-dessous: “La mode ? Quelle futilité ! L’Afrique n’a pas d’autres priorités ?”. Comme d’habitude, je m’apprêtais à rédiger un commentaire sanglant de sarcasme. Et comme d’habitude, j’ai finalement tout effacé et fermé la page.

Quand on parle de prêt-à-porter en Afrique, il faut obligatoirement parler des vêtements de seconde main importés  (au Cameroun, on appelle cela “la fripe”).

Je lis pas mal de rapports dessus depuis un moment, et je réalise que c’est un marché avec une grosse mafia derrière.Les derniers chiffres font état d’un business valant un milliard de dollars par an, uniquement en Afrique, entre les années 90 et maintenant.

Les syndicats de l’industrie textile du Nigeria, Ghana et de la Zambie ont chacun de leur côté commencé à réclamer que leurs gouvernements respectifs ressuscitent le domaine et lancent un vaste programme de réindustrialisation. Après tout, n’est-ce pas STUPIDE dans l’absolu de fabriquer du coton, l’exporter… puis importer les vêtements fabriqués à partir de ce même coton ? On a le même problème avec le pétrole d’ailleurs. Dans un monde idéal, j’aurais demandé que l’on applique 3 ou 4 mesures pour commencer:

- une limitation des imports de vêtements (limitation avec un poids annuel défini + un véritable service de contrôle, sachant que 12 pays d’Afrique l’ont déjà totalement interdit

- (ré)ouverture d’usine de fabrication avec tout ce que cela comprend (formation, zone franche ou taxation très attractive pour les sous-traitants/entreprises etc..)

- développement d’un label qualité local, s’accompagnant d’une campagne de sensibilisation adaptée

(Boutique de vêtements, Douala, Cameroun)

Comme vous le constatez, même si l’on pratique un lobbying agressif, une bonne partie de ces quelques solutions dépend des autorités et non du secteur privé. Et ça, c’est un véritable problème. Il faut bien préciser que réduire l’importation de vêtements de seconde main en Afrique va constituer un manque à gagner incroyable, à commencer par les douaniers corrompus, qui sont tout en bas de la chaîne. Mais ça pose également le problème de reconversion professionnelle pour ces milliers de revendeurs, dans le secteur informel. Autre souci: le prix. Remplacer la robe H&M d’il y a 3 ans par une robe fabriquée sur place peut entraîner une augmentation de prix significative sur laquelle la clientèle moyenne ou pauvre ne peut s’aligner. Et enfin, quand bien même on mettrait tout cela en place, il restera le problème de la contrefaçon. J’ai lu certains avis, qui considèrent le fait que des associations caritatives européennes revendent leurs balots de vêtements aux fripiers africains comme une bonne chose. Les uns avancent que c’est du recyclage, et donc c’est “bon pour la planète”. Les autres disent que de toute façon, “il n’y a pas assez de “ressources dans le monde pour habiller tout le monde”. Je dois être la seule à être offusquée par ce genre de commentaires un brin paternalistes. Comment réagirait l’Europe si on commençait à l’inonder de produits de seconde-main ? Vous avez la réponse.

Dans tous les cas, l’Afrique du Nord s’est spécialisée dans le textile, avec la Tunisie et le Maroc en particulier. En Afrique subsaharienne, l’Ethiopie est en train de devenir un atelier de plus en plus important, à tel point que – comble de l’ironie – la Chine commence petit à petit à y délocaliser certaines de ses usines. Pour le Maghreb comme pour l’Ethiopie, on retrouve un programme volontairement mis en place par les gouvernements. Certains pays africains, pour qui une diversification d’économie est plus qu’urgente (afin de sortir de la dépendance à l’exploitation du sous-sol), devraient FRANCHEMENT y réfléchir. On ne le dira jamais assez, derrière la mode, il y a une industrie textile -> des milliers d’emplois (qualifiés) -> développement de la création locale -> Valeur ajoutée -> patriotisme économique. Pas nécessairement dans cet ordre, mais bref, vous avez saisi. Donc la prochaine fois que je lirai/j’entendrai encore un commentaire ignorant sur l’inutilité de la mode en Afrique, je partirai du fait que cette personne ne sait absolument pas de quoi elle parle. C’est pratique, ça évite tout débat.