Crise de l’expertise médicale : que faire pour éviter les erreurs judiciaires ?

Publié le 14 novembre 2012 par Halleyjc

avec le Pr Jacques Hureau, de l’Académie nationale de médecine, auteur d’un rapport sur l’expertise médicale.

Les experts médicaux sont souvent montrés du doigt, qu’on évoque quelques médiatiques affaires judiciaires en cours comme la mise sous tutelle de Liliane Bettencourt, l’affaire du meurtre au collège Cévenol par un jeune récidiviste de 17 ans ou en 2005 l’affaire d’Outreau qui mena à une vaste erreur judiciaire. Seuls pour délivrer leurs expertises, pas assez nombreux pour répondre aux demandes des tribunaux, la responsabilité des experts est pourtant des plus grandes puisque les juges s’appuient sur leurs conclusions pour délivrer leur jugement. Radiographie d’un système à refondre en compagnie du Professeur Jacques Hureau médecin et expert honoraire agréé par la Cour de cassation.

La crise de l’expertise médicale n’est pas récente. La loi de juin 1971 avait déjà été révisée en 2004 puis en 2008. Aujourd’hui, la préoccupation principale demeure la qualité de l’expertise. Car actuellement constate le professeur Jacques Hureau, chirurgien et coauteur du rapport de l’Académie nationale de médecine sur l’expertise médicale [1], « la compétence de l’expert n’est pas suffisamment prise en compte tant au moment de son inscription sur la liste des experts qu’au moment de la mise en adéquation par le magistrat de sa compétence sur une affaire ». Pourtant, depuis la révision de la loi de 2001, des critères d’évaluation des médecins ont été définis pour figurer sur ces listes. « Mais cette inscription se fait en deux temps poursuit notre invité : tout d’abord une inscription probatoire de 3 ans. L’intéressé pose sa candidature avec son CV et ses travaux. Mais il n’est pas rencontré par des représentants de la cour d’appel, ni même par ses confrères experts ». Puis au moment de sa réinscription, au bout de 3 ans, une commission mixte d’experts et de magistrats se réunit pour statuer sur son sort.  Et comme le fait remarquer Jacques Hureau, les experts réunis n’appartiennent pas forcément à la discipline du dossier à juger.

La compétence  des experts a également été soulevée en mars 2011 dans la publication d’un autre rapport consacré à cette question [2]. Les auteurs ont listé les qualités déontologiques pour être expert. « A ma grande surprise, j’ai lu que la compétence ne figurait qu’en septième position … ». Or si la compétence des experts ne semble pas primordiale, on peut donc se demander si les expertises sont fiables ! « Cela revient à se demander comment déterminer qu’un expert est compétent » selon Jacques Hureau. « Les Américains ont résolu en partie le problème avec les critères Daubert » ; des critères qui se résument en trois points : la théorie de l’expert doit pouvoir être testée, qu’elle ait donné lieu à une évaluation par d’autres experts et que le juge puisse considérer le pourcentage d’erreur potentiel.  « Il s’agit d’un suivi et d’un encadrement des experts. En France on pourrait arriver à quelque chose de semblable. Il faudrait que les experts puissent se faire accréditer en quelque sorte et qu’ils soient soumis aux normes AFNOR de la qualité de l’expertise ».

Mais pour suivre et encadrer les experts, encore faut-il qu’ils soient identifiés. Or, tous les médecins appelés pour une expertise ne figurent pas forcément sur la fameuse liste, tout d’abord parce que les tribunaux manquent d’experts mais aussi parce que le juge a la liberté de confier l’expertise médicale à la personne qu’il souhaite. « Dans ces cas là, ces médecins sont souvent appelés comme co-expert. Ils ne sont pas seuls à délivrer leurs conclusions ».

Mais le principe de collégialité ne serait-il justement la réponse aux difficultés rencontrées par les experts ? « Oui et c’est ce que nous demandons depuis longtemps. Le barrage est tout simplement financier. Mais les expertises collégiales devraient être développées pour les cas complexes ».

Enfin, reste à résoudre la question des conflits d’intérêts entre médecins experts des tribunaux et médecins conseils commandités par les assurances… car parfois, un même médecin peut être les deux. « Cela a été résolu à Paris et dans les grands centres assure Jacques Hureau. Mais dans les tribunaux plus petits, ils peuvent avoir une double casquette… Cela reste cependant très épisodique et après avoir été médecins conseils pour des assurances, les experts sont normalement rayés de la liste ».

Une collégialité et un contrôle des compétences, voilà les deux points qui selon Jacques Hureau seront les clés pour répondre à la crise de l’expertise médicale en France.

Jacques Hureau © DR

Jacques Hureau est professeur des Universités, chirurgien honoraire des hôpitaux de Paris, membre de l’Académie nationale de chirurgie et de l’Académie nationale de médecine, expert honoraire agréé par la Cour de cassation. Jacques Hureau a codirigé avec le professeur Chouard  de l’Académie de médecine le rapport consacré aux compétence scientifique et technique de l’expert médical

En vous proposant la lecture de ces remarques pertinantes de Monsieur le Professeur Jacques HUREAU, je ne peux m'empêcher de penser à cette période de fin d'année calendaire riche eb évènements pour les Experts de Justice.

Tous les regards sont tournés vers la Cour d'Appel qui délivrera en Assemblée général son verdict sur les nouveaux Experts et ceux qui seront radiés de la liste. A l'occasion elle inscrira quelques anciens sous la prestigieuse rubrique des Experts Honoraires.

Puis il faudra préparer la prestation de serment des nouveaux impétrants : Tradiction trentenaire pour la Compagnie de Basse-Terre que d'assister du fond de la salle d'audience les premiers pas des nouveaux collègues toujours impressionnés. 

Je termine en évoquant cette réflexion d’une amie qui a participé au récent congrès de Versailles : Elle me disait sa désolation devant la naïveté de certains nouveaux collègues face aux règles fondamentales de l’Expertise de Justice. Naïveté ou non ! l’Expert de Justice est condamné à cette démarche permanente de formation pour mieux entrer dans les contraintes de son engagement envers les justiciable.