Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 52. les harpes cintrées des moyen et nouvel empires

Publié le 20 novembre 2012 par Rl1948

   Quand après la soirée Verdurin, se faisant rejouer la petite phrase, il avait cherché à démêler comment à la façon d'un parfum, d'une caresse elle le circonvenait, elle l'enveloppait, il s'était rendu compte que c'était au faible écart entre les cinq notes qui la composaient et au rappel constant de deux d'entre elles qu'était due cette impression de douceur rétractée et frileuse ... 

Marcel  PROUST,

Un amour de Swann

dans A la recherche du temps perdu

Tome I, Du côté de chez Swann,

Paris, Gallimard,

p. 417 de mon édition de 1954.

   Avec les siècles succédant à l'Ancien Empire, d'autres harpes cintrées que celle de  la chapelle du mastaba d'Akhethetep, archétype que nous avons détaillé mardi dernier, souvenez-vous amis visiteurs, enrichiront le corpus des cordophones : elles se distingueront par leur taille, par leurs formes mais également par un développement toujours plus sophistiqué de leur décoration.

   Nonobstant ces transformations, tout au long de la civilisation égyptienne subsisteront deux caractéristiques essentielles, communes quels que soient les modèles : les cordes seront toujours placées vers l'avant d'un manche qui fait corps avec le musicien et la caisse de résonance se trouvera toujours dans la partie inférieure de l'instrument.

   Pour évoquer le Moyen Empire et la présence de plus en plus fréquente d'éléments décoratifs, j'ai choisi de vous proposer une peinture d'une tombe initialement prévue pour une femme (TT 60) - extrêmement rare à cette époque ! -, dans laquelle il est très abondamment mentionné un certain Intef-Iker (Antefoker) dont on ignore tout du lien de parenté avec elle (était-ce sa mère ? son épouse ? ...) mais dont on sait qu'il fut, au début de la XIIème dynastie, vizir d'Amenemhat Ier, puis de son fils Sésostris Ier, souverain que, souvenez-vous, nous apprit à mieux connaître l'auteur anonyme de ce Roman de Sinouhé longuement parcouru de conserve cet été.

   Suivez-moi, voulez-vous, dans la chapelle proprement dite et immédiatement à droite en entrant - c'est-à-dire, sur le mur est -, élevez votre regard vers ce qui subsiste d'une scène jadis richement colorée encore discernable sur sa partie nord :


vous y distinguerez deux musiciens, une femme et un homme, accroupis dans la même position, un genou sur le sol et l'autre relevé, jouant d'une harpe cintrée à 5 cordes qu'ils maintiennent contre leur épaule.

   Un dessin réalisé pour le site OsirisNet d'où j'ai exporté ces deux documents - Merci Thierry ! -, vous permettra de mieux visualiser mes propos.

     Si le manche de la harpe de l'homme est surmonté d'une tête de faucon, représentation zoomorphe d'un dieu des harpistes et des chanteurs s'accompagnant de ce type d'instrument, celui de la jeune femme, plus élaboré, est décoré d'une tête féminine et de motifs en damier, rouges et bleus. 


   Ai-je déjà précisé que, consubtantiellement à d'autres modèles que vous découvrirez aujourd'hui et mardi prochain, la forme arquée des harpes de l'Ancien Empire, perdurera peu ou prou tout au long de la civilisation égyptienne ?

   C'est à nouveau vers le meuble vitré au centre de la salle 10 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre que nous avons déjà fréquentée depuis notre retour après le congé de Toussaint que j'escompte à présent vous emmener aux fins d'aborder le Nouvel Empire :

là n'attendent qu'à nous surprendre deux harpes cintrées particulières.

   Dépourvues toutefois d'un quelconque décor, elles retiendront néanmoins notre attention par leur taille, leur aspect et, surtout, la manière de les tenir, partant, d'en jouer.

   Sur votre gauche, la première et la plus grande d'entre elles, E 116 (également inventoriée sous le code N 1440 A), façonnée dans une seule pièce de bois, mesure 137, 3 centimètres de hauteur.

   Elle appartint à un certain Imenmès, musicien à la XVIIIème dynastie, qui y fit inciser une longue inscription hiéroglyphique, originellement agrémentée de dorure, si j'en crois quelques ultimes traces apparentes, donnant à lire une formule d'offrande et un petit texte hymnique en l'honneur d'Amon. 

     De l'extrémité supérieure émergent les crochets de suspension dorsaux, non pivotants, fortement insérés, - parfois collés dans certains autres exemplaires ! -, destinés à la fixation des cordes en vue de les empêcher de glisser le long du manche et non, je le rappelle au passage, à un quelconque accordage comme c'est le cas avec les chevilles de nos instruments modernes qui, elles, tout au contraire, peuvent tourner et sont judicieusement perforées de manière qu'y puissent passer les cordes.

   Quant à l'extrémité inférieure de ce manche, elle est gainée de cuir brun-rouge qui, au départ, fut manifestement cousu.

  

    Dans son prolongement, la caisse de résonance d'un ovale allongé porte extérieurement quelques vestiges de peinture noire.         

     La seconde, N 1440 B, à sa droite, date également de la XVIIIème dynastie et fut elle aussi taillée d'une seule pièce dans un morceau de bois ; elle ne mesure que 101, 5 centimètres de haut.

   Deux des quatre barrettes traditionnelles fichées dans le manche du côté opposé aux cordes subsistent d'origine, les deux autres étant rapportées.

   Semblable au précédent, hauteur mise à part, ce modèle a été photographié sous un angle qui vous permet de mieux détailler la baguette de suspension à section triangulaire dans laquelle quatre entailles ont été réalisées pour y accrocher les cordes.

   Ces deux harpes cintrées sont aussi nommées "épaulées" par les égyptologues dans la mesure où, portatives, l'artiste d'évidence en jouait en les plaçant non pas verticalement contre lui, mais sur l'épaule, caisse de résonance en avant, cordes vers le haut. Leur morphologie permet également de les classer au sein de la catégorie des "naviformes" dans la mesure où la caisse de résonance fait penser à une embarcation ...

   

   Si vous avez un jour l'opportunité de visiter l'hypogée (TT 52) de Nakht, à Cheik abd-el Gournah, vous pourrez y admirer, au registre inférieur de la paroi ouest de la salle transversale, un autre très bel exemple de harpe cintrée naviforme.

(Il n'y a d'ailleurs pas que les instruments qui là soient agréables à regarder !)

 

  

     Vous aurez évidemment remarqué que la première musicienne joue de la harpe debout.

Aucune exclusive, donc, quant à la position des artistes que vous rencontrerez : ainsi, chez Nakht toujours, au registre supérieur par rapport à ces trois belles, assis cette fois en tailleur, la plante d'un pied franchement mise en évidence, un autre harpiste.


   (Remerciements réitérés à Thierry Benderitter, d'OsirisNet.)

   Au Nouvel Empire, se multiplieront, remarquables, les différents motifs décorant l'instrument : peintures sur les manches, têtes sculptées les dominant, comme vous le montrent, dans la vitrine 5 de cette même salle 10, la petite stèle du harpiste Djedkhonsouiouefankh (N 3657),

et, dans l'hypogée de Rekhmirê (TT 100), la scène peinte d'un autre séduisant orchestre photographié par Tifet (que je remercie aussi très chaleureusement) ;

voire même arborant une tête de pharaon couronné sur le caisson, comme ci-après, dans la Vallée des Rois, la tombe de Ramsès III, plus connue d'ailleurs sous l'appellation de "Tombe des Harpistes". 

   (Merci à Anne, du Forum d'égyptologie que nous fréquentons tous les deux, de m'avoir "offert" ces dessins scannés de la planche 140, p. 183, de la réédition de l'ouvrage d'Émile Prisse d'Avennes, L'Art égyptien, Paris, L'Aventurine, 2002.)

     Tout ceci, insisterez-vous avec raison, relève de l'esthétique et donc, selon certains, du superflu. Mais qu'en fut-il de l'évolution organologique de l'instrument en soi ?, seriez-vous en droit de me demander.

   Ma réponse fusera, simple : le nombre de cordes augmente, variant de 7 à 11 au départ, pouvant atteindre 19, voire même dépasser la vingtaine à l'époque ramesside.

   Mais ne vous méprenez pas ! Bien des points restent encore nébuleux : je pense par exemple à la tension ou au diamètre des cordes.

   Toutefois, selon les études menées par le célèbre musicologue allemand Hans Hickmann auxquelles je me suis souvent référé pour préparer nos rencontres, il semblerait que les harpistes égyptiens furent déjà conscients que raccourcir une corde en appuyant fortement dessus permettait d'exécuter une note d'une octave supérieure ; permettait aussi, suivant la position d'un doigt, d'obtenir une note supplémentaire qu'ils faisaient vibrer avec celui de l'autre main.

     Une chose toutefois est certaine : en examinant attentivement les représentations que nous en avons à travers les différentes époques, l'on peut avancer, sans hésitation aucune, que les harpistes, les femmes comme les hommes, jouaient avec leurs doigts, aucun plectre n'ayant jamais été représenté ou retrouvé dans une tombe.     

   Ce fut également au Nouvel Empire, des terres babyloniennes, qu'arriva jusqu'aux rives du Nil un cordophone à l'apparence totalement différente par rapport aux instruments qu'aujourd'hui vous avez découverts : la harpe angulaire.

   C'est vers elle que je vous invite à nous tourner, amis visiteurs, lors de notre dernier rendez-vous consacré à la typologie, ce prochain mardi, le 27 novembre, ici, en cette même salle 10, devant la grande vitrine centrale que vous commencez maintenant à mieux connaître ... 

(Bessada : 2006, 41-8 ; Duchesne-Guillemin : 1969, 60-8Emerit : 2002, 197 ; Hickmann : 1948, 639-63 ; Sethe : 1984, 83, 174, lignes 11-4 ; Vandier : 1964, IV, 365 sqq. ; Ziegler : 1979, 101-5 ; Ead. : 1991, 15-9)