Aujourd’hui, l’artiste récidive avec une nouvelle exposition (Galerie Agial, jusqu’au 15 décembre 2012) intitulée The Unbearable lightness of Witnessing, Studies of a Self-Portrait. Cette fois, les œuvres exposées ne dérangeront pas seulement le spectateur proche-oriental confronté à ses valeurs morales, car Chaza Charafeddine offre ici une réflexion de portée universelle : la figuration de la douleur en tant que résultante d’une violence omniprésente, avec, pour support, le visage humain.
Sa source d’inspiration ne soulève aucun doute ; elle a étudié attentivement les célèbres portraits de Francis Bacon et s’est interrogée sur le but que le peintre poursuivait dans sa représentation. Pour elle, la palette graphique a remplacé le pinceau, mais la communauté d’esprit esthétique demeure. Ces photographies, parfois réunies en triptyques (une méthode chère à Bacon) ou en séries, témoignent d’une violence expressive à laquelle le spectateur, médusé, ne peut échapper.
On a parfois évoqué l’idée de violence devant certains portraits cubistes de Picasso qui présentaient, sur un seul plan, des visages vus sous des angles différents ; pourtant, leur aspect statique n’exprimait pas directement la souffrance. Par la suggestion du mouvement, Bacon parvenait bien davantage – et de manière à la fois plus brutale, plus subtile et plus tragique – à révéler la violence subie, la déchéance physique à l’œuvre, en vue de l’aboutissement que l’on devine : l’anéantissement inéluctable des corps, suivant une esthétique de la décomposition que l’on rencontrait déjà chez Baudelaire (voir : Une Charogne).
Démarche similaire chez Chaza Charafeddine qui pourrait, comme le peintre, affirmer : « je veux peindre le cri plutôt que l’horreur », un cri d’autant plus puissant et désespéré que son visage – puisqu’il s’agit d’autoportraits –, en cadrage serré, se détache sur un fond monochrome, donc neutre, délibérément inquiétant, voire sinistre, même dans les photographies où l’arrière-plan échappe au noir.
Un historien de l’art britannique, Martin Hammer, vient de publier une étude dans laquelle il avance que Francis Bacon se serait inspiré de photographies nazies (d’Heinrich Hoffmann) et de la « fascination horrifiée » qu’elles auraient suscitée en lui pour composer ses portraits. Cette approche nouvelle, peu conventionnelle, attire volontiers l’attention. Certes, Hoffmann n’a pas photographié les camps ni la terreur qui y régnait ; il s’est limité aux portraits des dignitaires et à rendre compte des « messes » de Nuremberg ; pour autant, on trouve dans des séries de portraits d’Adolf Hitler martelant ses discours, le visage déformé dans une sorte de transe, quelques liens possibles. Mais aujourd’hui, nul n’est besoin de ces sources à Chaza Charafeddine pour appréhender la violence qui l’entoure, en particulier dans ce Proche-Orient, théâtre d’affrontements armés et d’actes terroristes constants. Il lui suffit de lire la presse ou, plus simplement, d’observer son environnement. Là, peut-être, se trouve l’origine des sensations et des émotions puissantes (rationnelles et irrationnelles) qu’elle cherche à nous transmettre pour nous confronter aux réalités obsessionnelles de notre humanité.
Illustrations : Three Studies Of A Self-Portrait Photography, Inkjet print on fine art paper mounted on dibond Triptych, 3x(30.5x35.5cm) – 3 Studies Of A Red Head Photography, Inkjet print on fine art paper Aluminum, UV protection glass 30x40cm – The Skin Beneath I Photography, Inkjet print on backlit, lightbox, 30x40cm. Photos © Galerie Agial.