[Feuilleton] « Avec la peau d’une autre vie » de Claude Mouchard, 10/12

Par Florence Trocmé


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Criantes, les sensations (archaïques ?) qui m’envahissent...  
De quoi ont-elles faim ? 
Elles usent de moi pour béer ! Elles hurlent... 
Affolé (comme par la panique d’un enfant monstrueux), je ne sais que leur donner. 
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Mes doutes
, à écrire, et parfois, sporadiquement, lire publiquement ou publier  ces notes (quelques-unes du moins...) d’un « avec O. », 
il se peut qu’ils soient alimentées par des sources elles-mêmes douteuses 
il n’y a pas à espérer aller jamais au fond des doutes ils se redoublent ou se métamorphosant passionnément démoniaques ils se redévorent... 
Et lui, quels sont-ils, ses doutes ?  
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Ici, dans ces phrases, il n’est que trop facile de laisser jouer tous les doutes possibles : je fais des phrases.
Jouant à jouer. Jouant à (m’) apparaître comme celui qui a cette lucidité de douter, etc. 
Mais rien de tel ne saurait avoir lieu « dans la vie ». Jamais dans le réel « avec O. »
.  
Se dérober soudain, n’être plus là pour O.   
par doute, par caprice du doute, par jeu infiniment redoublé des scrupules ?  
Ou par soupçon éthico-politique – un regard cruel, ironique se portant là, etc. ?  
... serait ...  
non pas certes impossible  
(aucune obligation légale, aucune contrainte)... 
Ce serait simplement l’amorce d’une destruction, 
d’une décomposition – ignoble, 
inconcevable. 
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Est-ce que je voudrais, maugréant dans les rues, que les vies aillent quelque part ? Désirais-je les sentir se donner à quelque chose ?  
Trop pathétique, il y a dix minutes, cette femme, cette épuisée. Si visiblement désorientée... Je l’ai presque détestée. 
En haut de l’escalier qui monte de la rue Tudelle au quai, je me trouve face à elle, moi qui arrive, mi-courant, du pont sur le fleuve. Soixante-cinq ans, peut-être. « Blanche ». Ou grisâtre. Traits effondrés. Épuisée, elle s’appuie sur une de ces cannes médicales qu’on voit partout dans les rues (avant-bras dans une gouttière).  
Je ne cherche pas du regard son corps  – obèse ? décharné ? – sous des vêtements vagues.  
 
« Que veut, que nous veut, une vie-survie comme celle-là ? 
» suis-je tenté de me dire en descendant à la hâte les marches qu’elle a dû gravir difficilement. 
Son visage me reste. Expressif, comme grimé. Histrionesque (celui d’une alcoolique) ?  
Était-ce là une vie qui aurait mérité mieux de la vie ?  
Cette face tournée moins vers les autres que vers le ciel de la Loire,  
prenait-elle à témoin l’air rayonnant blanc (tel qu’il devait être visible pour elle derrière moi, à l’instant où j’approchais) ? 
Je suis poursuivi, dans le tronçon de rue qui reste jusqu’à la porte vert sombre de la maison, par ma propre rage. 
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Être réellement interrompu demande-t-il de la puissance ? De quelle continuité faut-il être capable pour que des irruptions puissent avoir lieu ?  
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Bords de la Loire – tels qu’O. les a connus, tels qu’on y est plusieurs fois – lui, moi, et, une fois, Masatsugu – repassé ... 
Pesées latérales de masses et étirements et fuites... bancs de sable, saules, animaux... 
Réceptivité ouverte sur le flanc. 
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Le jardin : un « avec » pour nos « avec » ? 
... nous  nous y renouons à des durées massivement sensibles ou dissimulées ... 
nous nous rythmons de vitales latéralités  – comme celles qu’entr’ouvre Mandelstam (Huitains, 11 – trad. François Kérel) : 
« Le chuchotis des cils luisants, / Des escargots et des bivalves l’habitacle monacal –/ L’inatteignable est là, si près, / On ne peut ni trancher le nœud, ni regarder, / C’est comme une lettre qu’on vous glisse en secret, / Il faut répondre sans tarder... »   
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J’essaie ici un morceau arraché d’un jour de naguère, il y a cinq ans (le temps a passé pour lui d’une manière si singulière !). 
12 novembre 2007 (voilà cinq mois qu’O. est chez nous). 
On reprend sur le feu, ou les feux qui brûlent dans les maisons … jusqu’à ce qu’on dorme.  
C’est-à-dire : quelle heure ? 
« O » évoque alors en souriant les conflits avec les vieux :
« Les vieux font la dernière prière vers 9 h, puis mangent vers 10h-10h30. Les jeunes s’amusent jusque vers minuit. Les vieux : « arrêtez ça ! » » 
 
Je lui dis : mais ce que tu racontes là, c’était où, quand ? Au village, tu n’es allé qu’assez tard, après  la mort de ton père... 
Il m’explique : « Nyala, au temps où, enfant, j’y vivais avec ma famille, ce n’était pas très différent du village. C’est après 90 que tout change, et que Nyala devient vraiment la capitale de l’Ouest du Soudan – le Darfour. » 
En quoi, vers quoi – pour quelle destination, quels effets ? – ai-je à « noter » ces choses ?  
Et les publier, est-ce « me permettre » ce que je me serais interdit pour mes conversations avec Claude Lefort ?  
Ces notes en effet sont intriquées non seulement aux événements, mais à des actions possibles... 
 
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suite mercredi 5 décembre novembre 2012