Mémoires de Guerre : Une nouvelle collection éditée par Les Belles Lettres (entretien avec François MALYE)

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Les Éditions Les Belles Lettres lancent une nouvelle collection consacrée aux mémoires de guerre dirigée par François Malye, écrivain et grand reporter au journal Le Point. Il a eu la courtoisie de répondre aux questions de Theatrum Belli. Quatre ouvrages seront annuellement édités. Le dernier de cette année est consacré au témoignage d'un pilote d'hélicoptère Tigre en Afghanistan


Theatrum Belli :
Vous inaugurez une nouvelle collection aux Belles Lettres  intitulée "Mémoires de Guerre"…qui sont aussi des mémoires d’aventure… 

François MALYE : Il n’y a pas, bien sûr, de guerre sans aventure. Même si souvent, elle tourne mal pour beaucoup de ceux qui y participent. Ce que nous rappellent justement ceux qui ont la chance de s’en être sortis et de les raconter.

TB : Les militaires d’aujourd’hui se remettent petit à petit à l’écriture, malheureusement beaucoup d’ouvrage ont peu de force narrative comme celle que nous trouvons dans les mémoires de Churchill ou de Malaparte.  La qualité du récit fait-elle partie de vos critères de sélections ? 

FM : C’est la première ! Mais il faut bien dire que l’ampleur des événements auxquels ils ont été confrontés leur donne une matière de premier ordre. Les militaires aujourd’hui en conviennent les premiers -ce qui n’ôte rien à leur courage- la guerre en Afghanistan n’est pas comparable à celle d’Algérie avec ses 25.000 morts ou à l’Indochine avec plus de 50.000 soldats français tués.

TB : Pensez-vous que le phénomène guerre soit assez abordé en France ? 

FM : En tant que père, je constate que la guerre est très présente dans les programmes scolaires-et on voit difficilement comment il pourrait en être autrement pour un pays qui en tant connues- mais aussi à travers les nombreuses polémiques sur notre histoire qui agitent régulièrement l’actualité, sans oublier les multiples commémorations. Et bien sûr, n’oublions les hommages rendus à ceux qui tombent au combat aujourd’hui.

TB : Churchill écrit "mon seul espoir était qu’il arrivât quelque chose de passionnant". Dans un monde post-moderne que certains qualifient de "fini", la guerre est-elle le dernier refuge des personnes qui s’ennuient ? 

FM : J’espère que non ! Sinon nous vivrions tous les jours au milieu de mercenaires et de lansquenets. Il y a bien d’autres aventures à vivre pour la jeunesse. Aucun des auteurs que nous publions n’exalte la guerre. D’autant qu’il s’agit de conflits dantesques à côté de ceux que nous connaissons actuellement. Cela rejoint ce qu’écrit Churchill car l’expédition à laquelle il participe en 1897 dans le nord de l’Inde, dans une zone à cheval sur les actuels Pakistan et Afghanistan, est une opération de police à côté des conflits qui vont éclater ensuite. Le XXe siècle qu’aborde le fringuant sous-lieutenant de l’armée des Indes va causer, entre les deux conflits mondiaux, les totalitarismes et la décolonisation, environ 150 millions de morts. Cela, même le grand Churchill ne pouvait pas l’imaginer. 

TB : A l’époque de ces récits, la "judiciarisation" de la guerre n’existait pas encore…  

FM : C’est exact. Les démocraties et leurs lois étant trop faibles pour contenir les guerres, elle ne pouvait pas les juger. 

TB : Quelles différences trouvez-vous entre des témoignages du XIXe-XXe siècles et ceux du début du XXIe ? Qu'est-ce qui les rapprochent ? 

FM : J’ai déjà évoqué les différences, en terme d’époque, d’ampleur des pertes, d’inexistence pendant longtemps de structures de santé, sans oublier les nombreuse épidémies. Il y en une autre, fondamentale, du moins pour les pays développés : avec la fin des guerres coloniales, nos sociétés ont quitté la période du tragique. La guerre ne concerne plus l’ensemble de la population. Seuls y participent des professionnels et pas sur le sol national. Mais plusieurs choses ne disparaîtront jamais qui rapprochent tous ces écrivains : le courage, la peur, l’affreux moment où l’on tue, la douleur de perdre un camarade. 

TB : Les Belles Lettres publient des textes anciens grecs et latins, et des ouvrages plus contemporains sur la guerre, est-ce une manière de mettre en lumière une certaine permanence de la condition humaine ?  

FM : Il est vrai que nous aurions pu commencer avec "La guerre des Gaules" de Jules César ou "l’Anabase" de Xénophon. La guerre a au moins ce mérite : elle a révélé bon nombre de grands écrivains. 

Propos recueillis par Stéphane Gaudin