Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 54. fragment e 25515 : trois harpistes et un enterrement ...

Publié le 04 décembre 2012 par Rl1948

   Près de Tahoser, c'est le nom de la jeune Egyptienne, se tenait agenouillée, une jambe repliée sous la cuisse et l'autre formant un angle obtus, dans cette attitude que les peintres aiment à reproduire aux murs des hypogées, une joueuse de harpe posée sur une espèce de socle bas, destiné sans doute à augmenter la résonance de l'instrument. Un morceau d'étoffe rayé de bandes de couleur, et dont les bouts rejetés en arrière flottaient en barbes cannelées, contenait ses cheveux et encadrait sa figure souriante et mystérieuse comme un masque de sphinx. Une étroite robe, ou, pour mieux dire, un fourreau de gaze transparente, moulait exactement les contours juvéniles de son corps élégant et frêle ; cette robe, coupée au-dessous du sein, laissait les épaules, la poitrine et les bras libres dans leur chaste nudité.

Théophile GAUTIER

Le Roman de la momie

Version EBooks

pp. 37-8

   Après la très brève allusion que j'avais précédemment faite d'une scène peinte au registre supérieur gauche du fragment E 25515 ; après quelques interventions consacrées à la musique en général, le 6 novembre et à l'évolution typologique de la harpe en particulier les mardis 13, 20 et 27 du même mois, si je vous ai ce matin à nouveau donné rendez-vous devant la grande vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre parisien, - bien loin de l'effervescence qu'entraînera, dans le Pas-de-Calais à quelque deux cents kilomètres plus au nord, l'inauguration officielle par le Président François Hollande du Louvre-Lens dont la première pierre avait été posée voici exactement trois ans, le 4 décembre 2009, par Frédéric Mitterrand alors Ministre de la Culture -, c'est, amis visiteurs, pour mettre le point final - oserais-je écrire le "point d'orgue" ? - à ce dossier aux harpes égyptiennes consacré, en présence des trois charmantes interprètes qui nous ont patiemment attendus plusieurs semaines durant,

non pas tant pour nous inviter à découvrir leurs talents musicaux mais, surtout, pour nous expliquer la raison de leur présence auprès de Metchetchi, assis pour sa part en taille dite héroïque

et avec lequel nous avions déjà fait connaissance grâce au fragment E 25507, voici quasiment un an, le 10 décembre 2011.

   Nous l'avions ce jour-là surpris, souvenez-vous, - sujet regardant auquel on présente un objet regardé, ainsi que l'écrit mon ami Dimitri Laboury à propos de Nakht ; attitude que l'on sait récurrente dans le programme iconographique des tombes égyptiennes -, véritablement absorbé à se complaire des travaux des champs et de tous les beaux divertisssements, comme l'expliquent les hiéroglyphes dessinés dans une colonne, tout à la fois mise en évidence et momentanément illisible suite à la présence d'un malencontreux reflet rectangulaire venu s'immiscer entre lui et la distribution de quatre registres successifs, horizontalement superposés. 

   (Un merci tout particulier à SAS, conceptrice du blog Louvreboîte,  pour m'avoir, en un temps déjà ancien, offert ce cliché - et quelques autres, tout aussi précieux -, de différentes vues de la vitrine 4 ².)

   Si vous portez votre regard sur le fragment inférieur en commençant par le bas de la paroi - matérialisé par la bande rouge, épaisse, qu'encadrent deux traits noirs -, vous noterez que nos trois musiciennes sont assises à l'extrême gauche du deuxième des quatre niveaux.

   Leur proximité avec des scènes que j'ai jadis abondamment commentées n'est nullement anodine : le vêlage et la traite d'une vache, ainsi que le boucher emportant cette patte d'un boeuf considérée comme morceau de choix destiné à l'alimentation post mortem du défunt, toutes ont en commun qu'elles relèvent des scènes d'offrandes, donc qu'elles participent du rituel de sa future régénération.

     De sorte que, bien que s'inspirant d'une réalité terrestre ressortissant, dans le cadre de réjouissances privées, à un divertissement plus ou moins mondain, ce petit concert de harpe offert par trois jeunes femmes à Metchetchi porte l'empreinte d'une tout autre finalité : il s'inscrit en réalité lui aussi dans un processus rituel censé lui garantir la renaissance et la survie dans l'Au-delà. Aucun doute donc qu'il vous faille comprendre ces harpistes comme des exécutantes parmi d'autres d'un rite funéraire parmi d'autres.

   Il est quasiment avéré que si nous avions pu bénéficier, in situ, d'une vision globale et non détériorée de la scène, nous aurions lu - comme on le découvre dans d'autres tombes de la même époque - une précision stipulant que cet ensemble instrumental joue chaque jour pour le Ka du défunt, censé contempler ce qui réjouit (son) coeur.

   Certains parmi vous auront assurément noté deux détails : le premier, pour le moins hors du commun, concerne la coiffure de nos belles, plus spécifiquement visible chez la dernière d'entre elles :

il s'agit, vraisemblablement ajoutée à l'arrière de la chevelure (ou de la perruque) courte, de ce que les égyptologues appellent tresse, assortissant le terme d'un point d'interrogation exprimant leur indétermination.

   Vous aurez également remarqué que la particularité de cette "tresse" réside dans le pompon qui en garnit l'extrémité, que les mêmes savants nomment simplement boule et qui, selon eux, permettrait sans doute - la nuance d'incertitude me paraît là aussi importante -, d'amplifier le mouvement d'une chorégraphie.

   Chorégraphie ?

   Il faut en effet savoir que l'on ne remarque habituellement ce type d'accessoire capillaire que chez des jeunes femmes exécutant différents pas de danse, avec la restriction dont il vous faut également être conscients que toutes les danseuses égyptiennes n'en portent pas nécessairement : il semblerait qu'il soit l'apanage de celles qui participent à un ballet en l'honneur de la déesse Hathor, dans le cadre d'un rituel funéraire ; les autres présentant les mêmes cheveux courts que les hommes évoluant à leurs côtés.

   Et c'est ici que vous vous posez LA question pertinente : pour quelle(s) raison(s) les trois musiciennes de Metchetchi sont-elles affublées de ces "tresses" habituellement réservées à certaines danseuses ?

   Dans la mesure où l'argument précédemment prôné de l'accentuation des effets de figures chorégraphiques me paraît dénué de bon sens, longue réflexion faite, j'envisage deux possibilités de réponses à vous proposer : ou ces jeunes femmes sont à la fois danseuses et musiciennes - ce qui n'aurait rien d'incongru - et soit, viennent d'exécuter quelques pas avant de jouer de la harpe, soit vont s'y adonner immédiatement après leur prestation ; ou, seconde interprétation, elles arborent cette coiffure particulière pour attester qu'elles aussi sont partie prenante du rituel de régénérescence auquel j'ai tout à l'heure fait allusion.  

   Le second détail - que relèveront plus probablement les musiciens parmi vous - se rapporte à la position des mains des harpistes.

   Les musicologues qui ont longuement étudié les représentations de concerts figurant dans les tombeaux en ont essentiellement déterminé deux distinctes : ils ont appelé jeu à une main quand les deux mains se situent au même endroit d'une seule corde et jeu à deux mains quand, comme ici chez Metchetchi, elles évoluent à deux endroits différents du plan des cordes.

   Mais qui sont-elles en définitive, seriez-vous légitimement en droit de me demander maintenant, ces interpètes assises en cercle pour nous offrir quelques notes de musique grâce à leur grande harpe cintrée ?

   (Oui, vous avez parfaitement entendu, amis visiteurs : assises en cercle. C'est ainsi que, selon une des conventions de l'art égyptien, il vous faut imaginer cet alignement d'instrumentistes, de chanteurs et de chironomes que vous rencontrez sur les parois murales des chapelles funéraires égyptiennes.)

   Si nous ne pouvons nous baser sur d'éventuelles annotations précises telles celles que j'ai évoquées ce matin, il subsiste néanmoins sur ce fragment-ci quelques hiéroglyphes qui nous permettent de découvrir, certes d'une manière lacunaire, que nous sommes en présence de trois des enfants de Metchetchi : Jouer de la harpe par sa fille, avait jadis indiqué le peintre au-dessus de chacune d'elles, poussant la délicatesse jusqu'à noter leur prénom à toutes ; Mereret, celui de la deuxième harpiste, étant le seul que nous puissions encore aujourd'hui déchiffrer.

   Quelle importance pensez-vous que ces précisions revêtent ?

   Sachant qu'à l'Ancien Empire, - et jusqu'au Nouvel Empire à partir duquel la tendance s'inverse -, dans ce type de scène, la gent féminine était franchement minoritaire par rapport à la masculine ; sachant que la harpe constitue un instrument de luxe dont l'apprentissage, dans les écoles du Palais, était relativement long, il appert que les rares femmes que l'on voit en jouer non seulement faisaient partie d'une certaine classe aisée de la société d'alors, mais qu'en outre, elles relevaient de ce que, après Hans Hickmann, je définirais comme étant de l'amateurisme musical.

   Dans un premier temps, nous pouvons donc en déduire que ce trio n'est nullement constitué de musiciennes de profession attachées à la concession funéraire accordée par le souverain -  Ounas, ici en l'occurrence -, à un de ses fonctionnaires privilégiés. En tant que propres filles du défunt, elles jouent pour lui en privé et pourront dès lors, comme l'expriment les textes, à sa meilleure convenance, le divertir parfaitement chaque jour de son Au-delà.

   Dans un second temps - et cela me paraît plus important encore -, à la différence de leurs consoeurs et confrères rémunérés par l'État évoluant anonymement dans maints autres mastabas, celles-ci auront au moins la certitude que leur patronyme traversera les siècles puisque, prononcé par leur père, il leur permettra, - en fonction de cette croyance égyptienne sur laquelle j'ai à plusieurs reprises déjà insisté -, de rester vivantes, toujours et à jamais.

   Soyez assurés, amis visiteurs, que de tant les avoir citées aujourd'hui nous aurons grandement contribué vous et moi à la pérennité de ces élégantes harpistes.

   Quelle plus belle célébrité, dites-moi, pouvaient-elles espérer ?

    

(Careddu : 1991, 39-59 ; Emerit : 2005, 3-16 ; Hickmann : 1987, 107 ; Laboury : 1997, 54 ; Vandier : 1964, 392 ; Villarino : 2005, 30 ; Ziegler : 1990, 129)

   Avant de nous quitter pour une semaine, j'aimerais vous donner à entendre quelques tentatives parmi d'autres disponibles sur le Net qui se veulent une reconstitution des sons de l'Égypte antique, et notamment de la harpe de l'Ancien Empire.


   Certes ces liens ci-dessous sur lesquels il vous suffira de cliquer ont déjà été proposés mais c'était dans une réponse que j'avais adressée à la suite d'un commentaire d'une lectrice (Fan) ; de sorte que je pense qu'ils ont peut-être échappé à certains d'entre vous.

  

   Ne disposant nullement des compétences qui me permettraient de poser un jugement de valeur, je vous laisse le soin de vous faire votre propre opinion :

http://www.youtube.com/watch?v=rIIeXgy827A&feature=player_embedded#!

http://www.youtube.com/watch?v=nBmWXmn11YE&feature=related

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=pBHqYhYYSsk

   Excellente écoute à tous ...

   Et à mardi, même salle, même heure ...