Très féérique conte de Saint Nicolas 2012

Publié le 04 décembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Saint Nicolas était affalé sur un transat, un mojito à la main, et prenait le soleil matinal sur la terrasse de sa propriété de Demre, en Turquie. C’est là qu’il résidait à l’année, dans son Anatolie natale, quand le devoir ne le convoquait pas à la rescousse des écoliers, des notaires, et de toutes les corporations que le Patron avait bien voulu lui confier. Il compulsait nerveusement une Vie des Saints d’un obscur gratte-papier médiéval qui était manifestement aussi scrupuleux quant à ses sources et aussi soucieux de vérité hagiographique que Lorant Deutch. Il téta sans conviction sur sa paille et balança le volumineux ouvrage derrière lui. Il les avait bien connu, lui, tous les saints de l’Église, et se dit qu’il aurait pu cartonner dans les librairies s’il avait pu consigner ce qu’il savait de ses collègues dans un bouquin. Mais le Boss le lui avait toujours refusé, car depuis qu’une pièce de théâtre retraçant ses démélés avec Lucifer avait paru dans un webzine lorrain, les gens prenaient déjà un peu trop la Bible pour Paris Match.

« Ah, la Lorraine, pensa t-il. C’est bientôt le moment de se remettre au boulot. Vivement l’Apocalypse, que je puisse prendre ma retraite ».

Le Père Fouettard fit son apparition sur la terrasse. Il portait un plateau plein de fruits, et était vêtu d’un simple bermuda. Il s’installa sur le transat adjacent, réajusta ses lunettes de soleil, et porta des raisins à sa bouche.

« C’est quoi, ce bordel? fit Saint Nicolas. J’avais demandé des sandwichs au bacon et à la mayonnaise!

- On est le 4 décembre, ma grosse, et il serait temps que tu arrêtes de faire du gras. Tu as ta tournée demain soir, alors d’ici là, tu oublies la charcuterie et le mojito. Tu ressembles de plus en plus au Père Noël, c’est désolant…

- Rien à battre de ma tournée, le gros Noël n’a qu’à la faire à ma place, puisqu’il aime tant les mioches. Je vois pas pourquoi moi, saint révéré à travers le monde, je devrais aller me geler la mitre en Lorraine en plein hiver sous prétexte qu’un bigot a ramené un os de ma main dans la brousse de Meurthe et Moselle, alors que ce gros plein de soupe de lapon laïc est la star de la saison et qu’il a plein de lutins pour lui mâcher le boulot. Pourquoi moi, je me traîne à travers toute l’Europe de l’Est sur un âne arthritique pendant que Môssieur se la joue Fast and Furious avec ses rennes génétiquement modifiés. Vraiment, je te le dis , Fouettard, il y a deux poids deux mesures.

- Allez, fais pas ta tête de Saint Nicolas de porc. On fait la tournée, on reste un peu en France, et dès que c’est légal, on se marie, lui répondit le Père Fouettard dans un sourire enjôleur. Et si t’es pas content, fini le martinet. »

Saint Nicolas émit un « oh » de surprise en levant les sourcils. Il fut tenté de protester, mais il savait que personne ne le fouetterait aussi bien que son Fouettarounet. Il grommela un peu pour la forme, puis partit préparer son uniforme.

Pendant ce temps, il était trois petits enfants qui s’en allaient glander à Auchan. Ils avaient séché les cours et avaient décidé d’acquérir quelques canettes de bière pour tromper leur ennui, ce qui est malheureusement interdit dans l’enceinte du collège où l’ennui est plus sourcilleux sur les questions de fidélité. Ils passèrent quelques minutes à évaluer les nouveautés au rayon des jeux vidéo, puis terrorisèrent une petite vieille pour s’occuper jusqu’au rayon des liqueurs, car c’était un très grand magasin. Hélas, la petite vieille en question était la mère du responsable de la charcuterie. Elle refusa tout net d’aider les enfants à se distraire et elle courut de toute la force de ses vieilles jambes dénoncer les larrons à son fils.  Or le charcutier était très à cheval sur les principes. L’équitation sur les principes n’étant pas un moyen de transport très rapide sur les routes de la pensée, les idées du charcutier étaient  très arrêtées pour tout ce qui touchait au respect dû sa génitrice, à la perméabilité des frontières de la France, et au laxisme des autorités concernant la délinquance juvénile. Conformément à la tradition familiale de délation qui durait depuis soixante-dix ans, il dénonça à son tour les enfants aux vigiles, et les fit emmener dans son arrière-boutique. La situation partait en couille, ce qui va beaucoup plus vite que les principes. Sans autre forme de procès, il les pendit à un croc et les débita en tranches qu’il agrémenta d’une branche de persil, car la cruauté n’est pas l’ennemie de la gastronomie. Il fit une bise à la photo de Marine Le Pen dans son portefeuille, et se dit en lui-même « il y en a un peu plus, je vous le mets quand même? », ce qui est l’hymne de tous les charcutiers à l’aise dans leur tablier.

Sur ces entrefaites, Nicolas et Fouettard arrivèrent enfin, à dos d’âne, dans les environs de Metz. C’était là qu’ils commençaient désormais leur tournée, car ils s’étaient liés d’amitié l’année précédente avec Thomas Scuderi et avec Waly le crocodile. Saint Nicolas baissa le volume de l’autoradio, et demanda à Fouettard de bien vouloir s’arrêter au prochain supermarché.

« J’ai oublié mon shampooing démêlant pour la barbe, il faut absolument que j’en trouve avant d’arriver. Dis-donc, tu crois que cette année, ils laisseront tomber les feux d’artifice et laisseront les oiseaux et les chauve-souris qui vivent dans la cathédrale dormir tranquillement? Tu sais que leur rythme cardiaque peut dépasser 800 pulsations à la minute en cas de panique? Sylvester Stallone a eu des problèmes en Bulgarie parce qu’il embêtait les chauve-souris, hein, c’est pas possible ce mépris pour les petites bêtes, quand même… »

Pendant que Nicolas marmonnait dans sa barbe emmêlée, Fouettard arrima l’âne sur le parking, puis les deux hommes traversèrent la galerie marchande jusqu’au rayon des cosmétiques. Ils comparèrent pendant quelques instants les mérites de tous les shampooings présentés, quand soudain Nicolas leva la truffe, comme s’il était à l’arrêt.

« Dis-moi que c’est pas vrai que ça recommence, bordel de nom de Dieu », s’exclama t-il.

Incontinent, il suivit son odorat et marcha à grandes enjambées jusqu’à la charcuterie. Le Père Fouettard le suivait à grand-peine, car il distribuait des coups de fouet au passage à quelques enfants, ça ferait toujours du temps de gagné sur la tournée. D’un geste étonnamment gracile pour son âge canonique, Nicolas sauta par dessus les clients et les étalages de la boucherie, et se dirigea vers le congélateur qui contenait les morceaux des enfants. Le charcutier tenta de s’échapper car il avait des principes élevés mais un courage limité. Nicolas l’attrapa par le cou avec sa crosse télescopique et le ramena à lui. Il lui distribua quelques baffes et lui fit un sermon sur l’interdiction absolue de découper des enfants.

« Dieu te pardonnera, mais moi j’en ai ras le pompon de recoller des gamins. Tu sais combien de pièces il y a là-dedans? Tu sais combien ça coûte la colle à gamins? Tu crois que je suis le gros Noël ou quoi? Va me faire un sandwich au bacon illico presto, et il y a intérêt qu’il soit bon sinon tu vas voir de quel bois je me chauffe, petit con! »

Nicolas et Fouettard travaillèrent de concert pendant une bonne heure à reconstituer les enfants, et enfin ils leur redonnèrent vie. Fouettard leur bailla quelques coups de martinet, et les enjoignit d’être à l’heure à l’école le lendemain. Les gamins partirent sans demander leur reste. Quand au charcutier, il fit amende honorable et se convertit au végétarisme sur le champ.

« Hé bien, s’exclama encore Nicolas, heureusement que ce n’étaient pas des enfants suédois, parce que ceux-là, pour les reconstituer, même avec la notice, merci bien!

Puis nos deux héros reprirent la route de l’Hôtel de Ville, sous les vivats de la foule qui n’avait rien vu de ce qui s’était passé, mais qui s’enthousiasme toujours pour un rien en période de fêtes.

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