Le voyage d'une goutte d'eau

Par Mafalda

Il y avait une fois une goutte d'eau.
La plus jolie goutte d'eau que vous ayez jamais vue, pure, transparente, brillante comme une perle liquide. Elle était tombée du ciel, avec beaucoup d'autres gouttes, un soir d'hiver qu'il pleuvait. Elle s'était arrêtée sur une feuille de rosier sauvage et se tenait là, immobile, toute ronde. Un vent froid avait dissipé les nuages ; la pluie avait cessé. Dans le ciel pur et glacé, la lune brillait, et ses pâles rayons faisaient étinceler notre goutte.
"Quelle froide nuit ! pensa la pauvrette. Je me sens geler !"
Elle gelait en effet. Et, quand vint l'aurore, quand le pâle soleil d'une matinée d'hiver éclaira la terre toute blanche de givre, la petite goutte d'eau était devenue une perle de glace, dure et limpide comme du verre.
Cependant, à mesure que le soleil montait sur l'horizon et versait sur la nature entière ses rayons tièdes, le froid devenait moins vif, l'air moins âpre.
"Tiens ! se dit la petite goutte d'eau, il me semble que je me dégourdis, que je redeviens une jolie gouttelette, libre de rouler, de courir où bon me semble."
En effet, le givre craquait de toute part, il fondait et s'égouttait de partout. Notre goutte d'eau toute joyeuse se pénétrait de chaleur, achevait de fondre. La voilà fondue, la voilà libre !
La première chose qu'elle fit, fut de se laisser rouler le long de la feuille du rosier et de tomber à terre. Elle avait aperçu, à quelques pas, une jolie mare pleine d'eau claire, où barbotaient les canards d'une ferme voisine. C'est là qu'elle voulait aller.
Tantôt roulant le long des brins de gazon, tantôt serpentant à travers les pierres, après mille détours, notre voyageuse finit par arriver sur le bord. Elle se laissa aller à la pente, et la voilà mêlée, confondue parmi les millions de gouttes qui formaient la petite mare.
Combien d'heures, combien de jours passa-t-elle dans cette paisible retraite ? Elle ne l'a jamais su. Les petites gouttes d'eau ne savent pas compter. Elles ne savent que courir joyeusement au gré du hasard.
Un matin, la fermière apparut au bord de la mare, un baquet à la main. Elle le plongea dans l'eau, le remplit et l'emporta : notre goutte d'eau y était prisonnière.
La fermière trempa dans le baquet un paquet de linge sale, le lava, le savonna, puis, quand il fut bien propre, elle alla l'étendre sur la haie du jardin, pour qu'il séchât. Notre amie la gouttelette était justement cachée dans la trame d'une grande nappe blanche.
Le soleil donnait en plein sur la haie, ses rayons frappaient le linge, qui s'échauffait peu à peu et commençait à fumer.
"C'est singulier, se disait notre goutte d'eau. Je me sens devenir plus grande et plus légère et je ne tiens pas en place, il me semble que je vais m'envoler.
C'est ce qu'elle fit en effet. La chaleur du soleil séchait le mouchoir. Chacune des gouttes d'eau que renfermaient les mailles se changeait en une légère buée, en une vapeur semblable au brouillard et se perdait dans l'atmosphère. Notre petite amie faisait comme les autres. Elle s'élargissait, elle devenait une petite vapeur, elle quittait le mouchoir et la haie et la terre, elle montait dans le ciel bleu comme un fin brouillard.
Comme elle monta haut ! Plus haut que le toit de la ferme, plus haut que le clocher de l'église, plus haut que ne volent les hirondelles, toujours plus haut.
A force de monter, elle arriva près d'un grand nuage gris qui flottait dans le ciel et se promenait doucement, poussé par la brise.
La petite goutte, en approchant, vit qu'elle était dans un pays de connaissance : ce gros nuage était fait d'un multitude de petites gouttes d'eau que le soleil avait changées, comme notre amie, en de légères vapeurs, et qui étaient montées comme elle dans le ciel.
Toute heureuse, elle se mêla à la troupe de ses compagnes, elle devint un petit morceau du nuage et commença à planer tranquillement, dans le ciel immense, au-dessus des champs, des collines et des bois.
Que devint-elle ensuite ?
C'est ce que nous verrons une autre fois.

Dr Elie PECAUT