Auto-écoles : la mafia francese

Publié le 02 avril 2008 par Roman Bernard
Aujourd'hui, après un mois d'absence, je vais reprendre avec un sujet d'apparence légère, mais qui se trouve être caractéristique des blocages de la société française. Les auto-écoles, puisque c'est de cela dont il s'agit, constituent une parfaite transcription du triptyque à la base de l'immobilisme français : corporatisme, étatisme, sécuritarisme.
La nécessité de posséder le permis de conduire pour s'insérer sur le marché du travail, conjuguée à la volonté des pouvoirs publics de livrer un combat sans concession contre l'insécurité routière (érigée par Jacques Chirac en « cause nationale », rien moins que ça), a rendu les auto-écoles maîtresses d'un juteux marché.
Puisque, en amont, la possession ou non du permis de conduire est devenue un facteur discriminant à l'embauche, même quand le permis n'est pas indispensable à l'exercice du métier (presse par exemple) et que, en aval, les inspecteurs ont reçu des instructions, depuis quelques années, pour relever sensiblement les critères d'obtention du permis, les auto-écoles, qui se situent au milieu de la chaîne, peuvent pratiquer les tarifs et les conditions qu'elles veulent : doubleraient-elles le prix de l'heure de conduite qu'il y aurait toujours des « apprentis-conducteurs », ou des anciens conducteurs dépossédés du permis pour payer leurs heures de « formation », et ce à n'importe quel prix.
Prix qui a d'ailleurs doublé depuis le début des années 2000. Alors qu'il fallait débourser quatre ou cinq mille francs avant de se présenter à l'examen à l'époque, il est illusoire, aujourd'hui, d'espérer payer moins de 1500 euros la formation. Difficile d'invoquer les effets de l'inflation, avec une augmentation aussi brutale.
Les méthodes pratiquées par les auto-écoles méritent, tout autant que leurs prix, d'être observées. Lorsque l'apprenti-conducteur commence à entreprendre les démarches auprès d'une auto-école, il doit, d'abord, s'acquitter d'un forfait s'élevant à plus d'un millier d'euros, comprenant l'auto-formation au code de la route et le nombre d'heures minimal pour se présenter à l'examen : 20 heures.
Le problème, c'est que ces 20 heures ne seront jamais suffisantes. En moyenne, le ministère des Transports estime la durée de formation à 35 heures. Avec une heure de conduite s'élevant à 38 euros dans des villes comme Lyon ou Strasbourg (pour parler de ce que je connais), le surcroît d'heures nécessaires coûtera donc en moyenne 570 euros, en plus du millier d'euros initial.
Un tel marché ne peut que susciter la prolifération d'auto-écoles, d'autant que le niveau de qualification nécessaire pour encadrer l'apprentissage de la conduite est très bas. Profusion de l'offre, donc, mais pas liberté du consommateur, qui permettrait de faire jouer la concurrence.
En effet, c'est une chose que tous ceux, comme moi, qui ont dû changer de ville en cours de formation connaissent, il est très difficile de s'inscrire dans une deuxième auto-école sans recommencer la formation à zéro. Pourquoi ? Parce que l'élève qui viendrait finir sa formation en prenant quelques heures ne serait pas assez rentable pour que l'on prenne la peine de se charger de lui.
Cela n'est pas le fruit de mon imagination paranoïaque mais bien le résultat de mon expérience. Après 20 heures de conduite à Lyon, de nombreuses auto-écoles de Strasbourg m'ont répondu qu'elles ne me prendraient pas pour que je ne fasse chez elles qu'une quinzaine d'heures, ce qui est, nous l'avons vu, la moyenne nationale.
La seule qui m'ait accepté l'a fait à une condition expresse : que le moniteur fasse une séance-bilan, à l'issue de laquelle il établirait le nombre d'heures nécessaires. Nombre d'heures qui s'éleva précisément au minimum légal de 20 heures. Autrement dit, tout était à recommencer. Et cela eût été le cas dans n'importe quel autre établissement.
Dans le monde de l'auto-école, un client ne doit pas être satisfait mais rentabilisé. Il l'est d'autant plus facilement que l'obsession sécuritaire qui frappe les pouvoirs publics en matière de conduite rend, nous l'avons dit, l'examen plus difficile, mais conduit également à davantage d'annulations de permis : avec le nombre de radars automatiques présents sur les routes de France, il est facile, surtout quand on possède comme moi un permis probatoire à six points (conçu par notre cher président lors de son passage au ministère de l'Intérieur), de devoir repasser l'examen, sans avoir pourtant commis d'infraction grave.
Mais tout cela ne serait rien si les auto-écoles, toujours guidées par leur objectif de rentabilité, ne différaient sans cesse le passage de leurs élèves à l'examen. Souvent, lesdits élèves, prêts pour un examen qui, bien que dur, est plus facile que ce qui est demandé lors des leçons de conduite, n'ont même pas besoin de ces heures, mais l'important est qu'on leur dise qu'ils ne sont pas prêts. En plus de pressurer ces élèves qui, souvent étudiants, doivent ponctionner régulièrement leurs parents pour payer les frais de formation exorbitants, les auto-écoles entretiennent ainsi une pénurie d'heures de conduite, puisque les moniteurs, occupés à dire à des élèves prêts pour l'examen qu'ils ne le sont pas, raréfient de ce fait les possibilités de prendre des leçons.
Ainsi, alors que les élèves doivent déjà payer une formation plus que coûteuse, ils doivent souvent attendre que leur auto-école daigne leur octroyer une ou deux heures de conduite, souvent pendant leurs heures de cours, et avec une fréquence parfois dérisoire pour pouvoir réellement progresser. Il m'est arrivé, malgré ma disponibilité totale - au détriment de certains cours que j'ai dû sécher à la fac -, de n'obtenir que deux séances au cours d'un mois.
Mais le pire n'est peut-être pas là. Si l'on fait un peu de benchmarking, comme se plaisent à dire nos « élites » anglicisées, on se rend compte que le permis de conduire hors de prix et très dur à obtenir est une tare franco-française.
Au Canada, mes sondages empiriques sur la question m'ont révélé un permis qui n'est pas si dispendieux, comme on dit au Québec, ni si difficile que cela à décrocher. Y a-t-il davantage de morts sur la route dans les pays où le permis de conduire est plus facile et moins cher ? Non, évidemment, puisqu'en France, malgré des progrès notables en la matière, l'accident de la route est un sport national.
On se demande alors pourquoi des conditions aussi draconiennes sont posées à l'obtention du permis de conduire, plaçant ainsi les auto-écoles en position d'imposer leurs prix à leurs élèves ? L'État avait beau jeu de vouloir lutter contre la mort sur la route, mais il aurait dû se renseigner davantage sur la corporation à laquelle il déléguait la « formation » des élèves.
Formation tellement surfaite que le jeune conducteur doit arborer pendant trois ans un disque « A » qui manifeste aux autres automobilistes son incapacité à conduire correctement. Autre paradoxe qu'il convient de relever, dans un pays qui se targue de son éducation gratuite - en fait financée par le contribuable, sans que la rentabilité soit pour autant étudiée - : il est plus coûteux de passer le permis de conduire que de suivre une formation universitaire ! Et il est plus facile aussi de réussir le baccalauréat que le permis de conduire ! Devant cette aberration, le gouvernement a promis de prendre le dossier à bras-le-corps. Mais que n'a-t-il promis depuis un an ! Il avait également promis de réformer l'Université, et il a refusé d'y instaurer l'indispensable sélection à l'entrée. Difficile de nier qu'un pays va mal quand il est plus aisé d'y décrocher un diplôme universitaire au rabais que d'y obtenir le droit de déplacer un véhicule.
Roman Bernard