Disserter...oui, mais...(partie 1)

Publié le 02 avril 2008 par Christophe Foraison

J'ai reçu l'excellent journal " le monde de l'éducation" du mois d'avril.

Le dossier du mois s'intitule :
"l'élève numérique"

J'ai été frappé par quelques articles et j'en ai tiré le billet d'ajourd'hui (imaginez que je sois abonné au Chasseur Français ou à la vie du rail qui sont eux aussi d'excellents journaux dans leur genre)


illustration source:
nehatiwari



le constat: "ils nous échappent"...

  Les jeunes ont grandi dans un monde et une culture très différente de la nôtre:

- le graphisme, l'aspect visuel est primordial:

70 % des adolescents passent plus de 2 heures par jour sur internet, 85 % des 9 millions de blogs sont tenus par des 15-25 ans, il suffit de se rendre sur le réseau skyblog pour s'apercevoir du soin qu'ils apportent à ces aspects visuels.


- la sociabilité est multiple:

ils ont en moyenne 94 numéros de téléphones sur leur portables, 78 contacts sur MSN et 86 amis sur des sites communautaires.


- le multi-tâche devient une pratique courante:

70 à 80 % des 16-20 ans utilisent plusieurs médias en même temps (écouter de la musique, faire une fiche de révision, envoyer des sms, répondre à des messages...)

Sources:  TNS media intelligence et G2 Paris cités par
Le Monde de l'Education, avril 2008,

J'en avais déjà parlé précedemment dans cet article
(la N génération)

Une vidéo de Philippe Meirieu (au salon de l'éducation)


Philippe Meirieu et la culture web des jeunes
envoyé par lewebpedagogique


Dans ma pratique, je m'aperçois déjà des conséquences pratiques:

- les élèves aiment échanger, ils détestent être assis à une table pour écrire, travailler et écouter. J'ai remarqué à plusieurs reprises qu'ils n'apprécient guère les cours dans lesquels "on ne peut pas poser des questions au prof", ils aiment bien également discuter entre eux (ce que nous appellons les "bavardages").
Les élèves aiment partager leurs opinions "spontanées" sur les problèmes du monde. Ils apprécient l'ECJS (éducation civique).

- ils n'apprécient pas les chapitres très longs (plusieurs mois), les cours "où l'on fait tout le temps la même chose" (pour eux, "la même chose" désigne les activités suivantes:  écrire, analyser des documents, faire des recherches sur internet).
Lorsqu'ils ne parviennent pas à franchir des obstacles liés à cette mono-activité, ils font autre chose (je regarde et décore mon agenda, je discute le bout de gras avec les autres, je consulte mon portable, je dessine, je détèriore le matériel, je regarde les meilleurs buts de Thierry Henry sur dailymotion pendant que le prof s'occupe des autres...)

- les élèves ont des difficultés importantes lorsque l'activité proposée repose sur la lecture de textes longs: plutôt que de lire l'ouvrage en entier, on recherche des résumés sur le web. Pour eux, un article de journal ou un extrait d'une oeuvre qui s'étale sur une feuille A4 est déjà une corvée à priori.
En ce qui concerne les nouvelles technologies, ils ont une approche intuitive: lorsqu'ils découvrent un nouveau logiciel, il faut l'essayer, le tester soi-même alors que les anciens vont éplucher la notice (et d'ailleurs s'y perdrent et renoncer à utiliser l'objet en question...)
 
Par ailleurs, j'avais déjà signalé que les élèves ne maitrisent absolument pas un certain nombre de compétences de base alors que paradoxalement ils utilisent intensivement ces nouvelles technologies. Voir ce billet ici
J'en ai eu encore la preuve la semaine dernière: beaucoup ne savent pas s'envoyer le résultat de leurs travaux durant les séances en salle multimédia) sur leur propre messagerie. Voir cet article ici.

Il faudrait donc en tirer les conséquences: par exemple, les longues séances de méthodologie (que l'on trouve dans les manuels) sont-elles encore adaptées ?

Certains scientifiques (William D. Winn, directeur du Learning Center de l'université de Washingtonn, cité p.26 du monde de l'éducation avril 2008) pensent que les jeunes qui ont grandi avec un ordinateur "développent un cerveau hypertexte. Ils rebondissent d'une notion sur une autre. C'est comme si leur structure cérébrale fonctionnait de manière linéaire plus que logique"


   Illustration: source lab.au.com


II / la question: Que faire ?
Un nombre croissant de jeunes se désintéressent des savoirs scolaires. De nombreuses enquêtes le montrent.
Dans le monde de l'éducation, une étude américaine (oui, je sais) menée en 1983 et en 2000 montrent que sur 100 élèves:
   => 33 accordaient de l'intérêt aux contenus scolaires en 1983...
 ...contre 21 en 2000.
  
   => 40 trouvaient que les cours sont pertinents en 1983 ...
...contre 28 en 2000.
   => 50 estimaient que les contenus scolaires sont essentiels pour leur avenir en 1983
...contre 39 en 2000.
En seconde,  les conseils de classe ont beau sanctionné les élèves de leur absence d'investissement (et croyez-moi cela ne concerne pas une minorité d'élève), rien n'y fait: mais pourquoi ne travaillent-ils pas ? pourquoi gâchent-ils leurs possibilités ? pourquoi bavardent-ils ? comment vont-ils pouvoir réussir en fournissant si peu d'efforts ? Telles sont les remarques des enseignants, inquiets des évolutions actuelles.

Alors, que faire ?

S'adapter aux évolutions en cours ?
ce qui signifie pour certains renoncer, être démagogique ...et pour d'autres tenir compte des contraintes et du contexte...

Revenir aux fondamentaux ?
ce que traduit le dernier livre du pédiatre Aldo Naouri et les réformes en cours: respect absolu de l'autorité, remise au goût du jour des contraintes qui sont structurantes, ces changements sont interprétés par d'autres comme un retour en arrière.

Cette alternative me parait plutôt stérile...

Le numéro du Monde de l'éducation du mois d'avril comporte un article qui s'intitule: "Dissertation contre QCM: résister ou s'adapter"

Quelques repères:
La dissertation au baccalauréat est proposée, parmi d'autres épreuves,  dans plusieurs matières: philosophie, français, histoire-géographie et Sciences Economiques et Sociales (elle est alors proposée au choix avec la question de synthèse).

Elle représente tout un symbole, en particulier dans notre pays. J'ai appris, avec Wikipédia, que nous, les Français,  sommes pratiquement les seuls à exiger cette épreuve pour des jeunes de cette catégorie d'âge (voir
le lien sur wikipédia ).

Elle constitue un exercice exigeant (sur le fond et la forme), qui s'appuie sur de multiples compétences (savoir rédiger, structurer, analyser, démontrer). Les contraintes qui encadrent cet exercice sont multiples (respect de la maquette comme le symbolise ce schéma ci-dessous....).



Ses avantages sont évidents:

Acquérir une démarche intellectuelle pour structurer logiquement sa pensée, accepter des contraintes structurantes (relier des connaissances, des analyses) permet de construire une tête bien faite, qui est capable de donner du sens à une question...


Mais ses inconvénients ne sont pas poser un certain nombre de problèmes.

L'exercice est très complexe (c'est un peu comme si on demandait à quelqu'un de construire sa maison: il faut être maçon, électricien, plombier, chauffagiste, décorateur...), la dissertation est également très formaliste (P. Bourdieu montrait qu'elle constituait un bon moyen de déceler le niveau et le type de capital culturel de chaque candidat).

Résultat: cette épreuve est de moins en moins choisie par les candidats au bac:
   => 10 % des élèves de première au bac de français.
   =>  en SES, je n'ai pas de chiffres exacts, mais la tendance est d'avoir chaque année environ 20 % de copies de bac qui soient des dissertations.




Nous sommes donc au milieu de contradictions:

 - les élèves développent des attitudes / comportements qui ne disposent pas vraiment à accepter ce type d'exercice (voir première partie de l'article). Or, c'est pourtant une épreuve qui est très formatrice, et qui constitue un passage obligé.
Dans la pratique, je trouve qu'il y a très peu d'élèves qui réalisent véritablement une dissertation. L'introduction est, à cet égard, très révélatrice: pour la plupart, elle se réduit à trouver dans l'actualité un fait, définir les mots-clés et donner une annonce de plan. La phase cruciale où l'on pose le problème est passée à la trappe, ce qui donne à l'exercice un caractère très artificiel.

- les enseignants doivent préparer leurs élèves à tous les types d'épreuves, la dissertation n'étant qu'un exercice possible au baccalauréat parmi d'autres. Faut-il passer du temps dans la préparation d'un exercice difficile, qui sera finalement sélectionné par 1 élève sur 10 ou sacrifier une partie des cours pour s'exercer à une épreuve que l'on estime importante dans la poursuite des études supérieures ?

La suite, ce sera dans le prochain billet...

Alors, je pose une question:



Il faut tourner la page...
Redevenir tout simple
Comme ces âmes saintes
Qui disent dans leurs yeux
Mieux
Que toutes les facondes
Des redresseurs de monde
Des faussaires de Dieu
Il faut tourner la page
Jeter le vieux cahier
Le vieux cahier des charges
Claude Nougaro


Pour prolonger:

- sur les nouvelles générations, d'autres références:

   * le site de
Marc Prensky, spécialiste des TICE, auteur de la distinction Digital Natives (les élèves qui sont nés et ont grandi dans ces univers numériques) et Digital Migrants (les adultes qui viennent de l'écrit, du livre), et en particulier deux articles: celui-ci et celui-là

   * la conférence de Michel Serres en vidéo ici. Et pendant que vous y êtes, revoyez également cette vidéo ici


- sur l'exercice de la dissertation:

Sur le site café montréal, on a un exemple de l'esprit et des règles pour produire une dissertation (voir ce lien)
sur le site de l'université de la Sorbonne, un lien renvoie à la méthode de la dissertation en sociologie (voir ce lien)

Isabelle Gautier a fait un travail méthodique à ce sujet (voir sur ce lien)
On trouve de véritables cours de rhétorique (comme on peut en lire sur le site de Bertrand Lemenicier ici ou
un excellent compte-rendu de stage en philosophie sur la dissertation (Blaise Benoit, académie de Nantes)

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