Post-scriptum au chien noir de Jean-Claude Tardif

Par Etcetera

Dans ce livre, Jean-Claude Tardif se remémore des personnages de son enfance rescapés de la Guerre d’Espagne.
Ce sont donc huit nouvelles – huit portraits d’hommes et de femmes qui l’ont marqué, tous blessés par cette guerre, exilés, hantés par leurs souvenirs.
Aux yeux de cet enfant, ces personnages restent le plus souvent des mystères : ils parlent entre eux dans une langue qu’il ne comprend pas, ils évoquent à demi mots des souvenirs qu’il ne partage pas, ils portent des blessures que l’enfant peut seulement deviner par instants.

Ce recueil de nouvelles est un beau livre, très sensible – un livre de poète.
J’ai aimé qu’il donne la parole à des vaincus de l’Histoire, à des idéalistes.
D’un point de vue personnel, cela m’a rappelé une certaine atmosphère de l’enfance, faite de proximité et de complicité avec les adultes, tout en gardant l’impression que leur histoire est un secret impénétrable, que l’on comprendra peut-être plus tard.

Post-scriptum au chien noir est paru aux éditions Le temps qu’il fait en octobre 2012.

Les femmes gitanes avaient fini par m’adopter, me regarder comme l’une des leurs. Elles ne savaient pas qui j’étais, voyaient seulement mes guenilles, ma jeunesse portant une vie plus jeune encore. Je passais mes nuits avec elles. Elles m’apprirent la Zambra.
C’est là, dans leur camp, que je vis pour la première fois Lorca. Il chantait avec les hommes. Je me rappelle son visage éclairé par des chandelles de suif. Aujourd’hui encore c’est à lui, au souvenir de ce visage, que je dois le peu de vie qui me reste au fond des yeux – que peut donc y comprendre Don Ernesto ? Il avait dit un de ses poèmes, les gitans l’accompagnaient de leurs guitares à douze cordes, on aurait dit que la nuit elle-même résonnait, mêlait son chant aux mots de Federico. Nous étions pourtant en guerre, mais il semblait qu’ici, en cet instant précis, elle ne pouvait pas nous toucher. Les hommes, je m’en souviens, avaient dans les yeux une lumière que je n’ai jamais revue. L’un d’entre eux a dit que c’était là les mots de la République, la seule qui vaille, celle qui parle au cœur. Tous les autres approuvèrent en silence, et ce silence aussi contenait de la beauté. J’étais émue. C’est en souvenir de ces mots-là, pour eux, que j’ai pris une arme et me suis battue comme tant d’autres, avec d’autres, des femmes, des hommes, Pilar, Marisol, Alexandro, Antonio, et tous ceux dont j’ai oublié jusqu’au prénom mais dont je conserve les visages quand les nuits sont trop longues.