Le Smic est trop cher, va falloir arranger ça

Publié le 09 décembre 2012 par Eldon

Décidément rien n’arrête les ultra-libéraux. Ni la honte, ni la contre-vérité économique. Tout est bon pour créer une classe travailleuse réduite à l’esclavage afin qu’une minorité puisse vivre confortablement. Ah les doux temps anciens, le doux temps des colonies, les doux pays du tiers-monde, ah formidable Bangladesh.

Celui qui gagne 1000 euros nets mensuels, à peine au-dessus du seuil de pauvreté, gagne trop. Pas celui qui est à 4,5,6,…, 10, 20,.., 100, ….,1000,… fois le smic. Là pas touche. Vous comprenez, lui c’est la force vive de la Nation, l’indispensable penseur , le faiseur de richesses, la locomotive du train, l’inaltérable motivé, celui qui fournit les miettes, celui qui bosse, le talent et la compétence incarnés, etc…

Pour The Economist, il faudrait baisser le smic de 300 euros. Ni plus ni moins. Les démocrates français se montrent plus prudents: le «groupe d’experts sur le Smic», constitué d’adeptes de la déflation salariale, recommande à François Hollande de n’accorder aucun coup de pouce au salaire minimum le 1er janvier prochain.

C’est bien, c’est bien.

1) Pour The Economist, le smic est trop élevé« Les penseurs néolibéraux ont au moins un mérite. Ils osent tout. L’économie n’est qu’une science abstraite faite de chiffres, totalement désincarnée et déshumanisée. C’est bien ce qui ressort de ce papier de la bible des élites mondialisées sur le salaire minimalThe Economistcite Milton Friedman, pour qui il est « une forme de discrimination contre les travailleurs sans qualification ». Qualifier de « discrimination » le fait d’empêcher de payer un salaire de misère en dit déjà long…  Mais l’hebdomadaire souligne que d’autres économistes affirment que quand les employeurs ont un fort pouvoir, ils peuvent fixer les salaires à un niveau trop faible, ce qui a poussé les gouvernements à instaurer un salaire minimal dans un nombre grandissant de pays. La Nouvelle-Zélande a été la première en 1894, suivie par les Etats-Unis de Roosevelt en 1938, la Grande-Bretagne patientant jusqu’en 1999. Le SMIC étasunien, très bas, a été relevé de 40% depuis 2007.  Les économistes ont mené des études divergentes sur le niveau du salaire minimum aux Etats-Unis, du fait des différences entre Etats. Deux économistes ont démontré que les différences de niveau du salaire minimum n’ont pas d’impact sur le niveau de l’emploi dans la restauration entre 1990 et 2006 mais deux autres ont démontré l’inverse. En Grande-Bretagne, les études sont plutôt positives et soulignent un effet d’entraînement pour les salaires supérieurs au SMIC. Ce qu’il y a de terrifiant dans ce papier, c’est son aspect clinique, froid et finalement inhumain. Aucune question n’est posée sur le niveau du seuil de pauvreté, ou même de l’évolution du salaire médian (qui baisse), base contre laquelle il faudrait fixer le SMIC. Réfléchir à l’impact que tout cela a sur les travailleurs pauvres ne semble pas effleurer une seconde l’auteur du papier. La conclusion est glaçante : « Quels que soient leurs défauts, les salaires minimums vont persister ».  Il est difficile de ne pas y voir un regret de la part deThe Economist, comme s’il indiquait qu’il n’était malheureusement pas possible politiquement de les supprimer… Mais le pire est à venir au sujet du niveau souhaitable du SMIC. L’hebdomadaire néolibéral indique que pour l’OCDE et le FMI, « un salaire minimum modéré fait probablement plus de bien que de mal », avant de préciser que la définition d’un salaire minimum modéré signifie entre 30 et 40% du salaire médian.  The Economist reconnaît que le cas britannique (à 46% du salaire médian) démontre que l’on peut aller un peu plus haut. Les Etats-Unis et le Japon restent sous le cap des 40% alors que la France se distingue avec le niveau le plus élevé de la sélection avec un SMIC à 60% du salaire médian. Bizaremment, pas d’information sur les pays scandinaves. En clair, pour The Economist, en France notre SMIC est trop élevé de 25 à 30% ! Cela veut dire qu’avec un SMIC à 1118 euros nets par mois, ils recommandent une baisse d’environ 300 euros. Voilà le fond de la pensée néolibérale… Voilà sans doute pourquoi Pierre Moscovici valorise la miniscule hausse du SMIC de juin, pourtant trois fois moins importante que celle de Jacques Chirac en 1995. On aimerait que les donneurs de leçon néolibéraux essaient de vivre ne serait-ce que quelques semaines avec le SMIC qu’ils recommandent…

Source: Marianne 2

2) Les experts au chevet de François Hollande

Ce «groupe d’experts» est piloté par Paul Champsaur, haut fonctionnaire marqué à droite. Depuis mai 2009, lui et ses acolytes [1] — des idéologues fort bien payés et à mille lieues de savoir ce que signifie vivre avec 1.117 € net par mois —, se chargent de pondre des rapports annuels régurgitant l’affirmation fallacieuse selon laquelle augmenter le Smic détruirait des emplois dans un contexte de «coût du travail» déjà beaucoup trop élevé… Une imposture qu’il faut impérativement dénoncer.

Ce qui nuit à l’emploi, c’est le manque d’activité

Et ce manque d’activité ne peut que s’accentuer quand, au nom d’une «compétitivité» aveugle, on réduit inlassablement le pouvoir d’achat des populations, entretenant le même cercle vicieux que celui qui a provoqué la crise des subprimes et son terrible effet domino, crise systémique majeure liée à l’explosion de l’endettement privé et des inégalités sociales.

Pour relancer l’activité, sachant que 80% de l’économie française s’appuie sur la demande intérieure (ce qui n’est pas une tare !), au lieu de persister dans la déflation salariale à l’origine de cette crise, il faut au contraire redonner du pouvoir d’achat aux ménages. On peut non seulement augmenter leurs revenus —  rappelons que depuis le virage néo-libéral des années 80, 10 points de PIB ont été transférés des salaires aux profits —, mais aussi réglementer drastiquement un marché de l’immobilier gangréné par la spéculation et dont les prix, qui ont doublé en quinze ans, plombent le budget des Français.

Ecoutez Philippe Askénazy, spécialiste de l’économie du travail, expliquer pourquoi augmenter le salaire minimum ne menace pas l’emploi et la compétitivité en France :

embedded by Embedded Video

Enfin, comme le démontre ici l’économiste Denis Clerc, les destructions d’emplois sont à chercher du côté de la crise et du fonctionnement du capitalisme, pas du côté du Smic.
Le «coût du travail» des Smicards est quasi nul

On se garde bien de dire que, grâce aux allègement Fillon sur les bas salaires (de 1 à 1,6 Smic), aubaine qui coûte chaque année 21 milliards d’euros à l’Etat, la France est non seulement championne du salaire minimum (notre taux de Smicards est le plus élevé des pays de l’OCDE) et son salaire médian se tasse à 1.675 € net par mois (la moitié des salariés français gagne moins), mais ses entreprises ne versent quasiment aucune cotisation sociale pour les Smicards (elles sont prises en charge par la collectivité). Donc, en l’espèce, ceux qui prétendent qu’une hausse du Smic augmenterait le prix du travail sont des menteurs.

Sans compter qu’à ces allègements va se greffer dès 2013 le CICE, «crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi» qui devrait réduire encore de 4% à 6% le prix du travail sur les rémunérations jusqu’à 2,5 Smic. Les salariés, eux, n’en verront pas la couleur : c’est l’entreprise, censée en faire bon usage, qui empochera le cadeau sans contreparties. Comble du cynisme, salariés et ménages devront financer en 2014 cette nouvelle niche via une hausse de la TVA, notamment de son taux intermédiaire qui sera augmenté de 3 points : outre la restauration et les travaux de rénovation des logements, les livres ou les tickets de cinéma, la TVA à 10% vise aussi les transports, les cantines scolaires ou les médicaments non remboursables. De quoi mettre toujours plus à mal le pouvoir d’achat des Français et, par ricochet, l’activité. On n’en sort pas !

Zéro coup de pouce au 1er janvier

Mais ces «experts» à œillères ne voient pas les choses ainsi. Suivant les recommandations du FMI, ils persistent à prendre le problème à l’envers, obéissant au bon vieux dogme austéritaire dont on sait où il nous mène. Sans surprise, ils préconisent “une gestion prudente des hausses de Smic” en “limitant le relèvement au mécanisme légal de revalorisation automatique”. En clair, ils recommandent au gouvernement d’éviter tout coup de pouce et de se cantonner à l’évolution des prix à la consommation… qui ne devrait pas excéder 1,9%. Tant pis si, au 1er janvier, les prix du gaz (entre 2% et 3%), des timbres-poste (+2,8%) ou les tarifs des assurances — pour ne citer qu’eux… — augmenteront bien au delà.

Dans leur rapport, les «experts» s’opposent au projet de François Hollande d’indexer également le Smic sur une part de la croissance. Ils ont raison : cette énième promesse électorale totalement fumeuse est techniquement intenable. En la mettant dans son programme, Hollande pensait se débarrasser de la décision du coup de pouce… c’est loupé.

Autre préconisation de ces «experts» : envisager une évolution des règles qui prendrait en compte “l’homogénéité géographique” et “l’homogénéité du Smic selon l’âge” — bref, un Smic « à la carte » atomisé pour mieux l’enterrer —, mais aussi à remettre en question “le principe même d’une revalorisation automatique”. Ainsi rejoignent-ils l’une des préconisations des technocrates de Bruxelles qui, en avril dernier, ont pondu un texte visant à relancer l’emploi en Europe, notamment en créant des Smic à géométrie variable suivant les branches d’activité.

Heureusement que le mandat de ce «groupe d’experts sur le Smic», nommé par le gouvernement Fillon, arrive à expiration (il était prévu pour quatre ans). Un « Club des Cinq » qui ne manquera à personne.

SH

[1] Ils s’appellent Gilbert Cette, directeur des études économiques de la Banque de France et membre du Conseil d’analyse économique, Martine Durand, directrice adjointe de l’emploi à l’OCDE, Francis Kramarz, directeur du Crest et professeur à l’École polytechnique, et Etienne Wasmer, professeur d’économie à Sciences Po.
Ces gens, estimant que le Smic “n’est pas un moyen efficace pour réduire la pauvreté et les inégalités”, suggèrent de “s’appuyer sur des mesures fiscales et des prestations sociales ciblées [comme le RSA "activité"] plutôt que sur un salaire minimum élevé et uniforme”. Ils affirment également que “les allégements de cotisations sociales ont fait la preuve de leur efficacité [???] et doivent par conséquent être maintenus”… Objectif : soulager toujours plus les entreprises du «coût du travail» en le transférant progressivement sur la collectivité; un véritable détournement de fonds qui est, hélas, en bonne voie.

RAPPEL : Depuis juillet 2012, le Smic horaire s’élève à 9,40 € brut, soit 7,36 € net.
Le Smic mensuel brut s’élève à 1.425,67 € pour une durée légale de travail de 35h par semaine, soit 151,55 heures par mois. En net, cela ne fait plus que 1.117.73 €. Mais comme dit Gilbert Cette, “vivre avec le Smic à Paris n’est pas la même chose qu’à Guéret dans la Creuse. Cela mérite réflexion”, n’est-ce pas ?
www.smic-horaire.net

Source: Actuchômage.org

Lira aussi:  Soixante ans du SMIC : Il faut baisser le SMIC, et non l’augmenter (article de 2010. Épatant…)