Bruyères, la sorcière, les sources miraculeuses et les saints guérisseurs.

Publié le 09 décembre 2012 par Lorraine De Coeur

J’ai lu avec passion l’ouvrage de Jean-Claude DIEDLER, La sorcière de la Vologne. Le destin d’une guérisseuse au XVIe siècle. Cet ouvrage, paru en 2011, a été édité aux Éditions de Paris. Il raconte, à partir de recherches historiques (en particulier, le procès en sorcellerie de Claudette Clauchepied figure sous la cote B3753 aux Archives départementales de la Meurthe-et Moselle), la vie quotidienne dans la région de Bruyères dans un siècle de violences et d’insécurité, pas encore sorti du Moyen âge pour tout dire. Récit fantastique de la vie dans les campagnes où chacun est écartelé entre les enseignements de l’Église, les dures réalités du quotidien et des pratiques héritées des temps les plus reculés.
Il fallait, pour survivre, se concilier les meilleures protections et savoir que toute parole, tout acte, et même toute pensée pouvaient conduire au gibet. La Claudette avait, dès la naissance, accumulé toutes sortes d’écueils et l’on se surprend à se demander comment elle a pu vivre jusqu’à 66 ans, âge avancé pour l’époque ! Qu’on en juge : née un Vendredi Saint au moment de la Lecture de la Passion, boiteuse (d’où son prénom et le nom hérité d’un père boiteux lui aussi), elle arborait une chevelure rousse propre à attirer sur elle les calamités de quelqu’un sorti tout droit de l’Enfer … Et ce n’est pas tout. Sa marraine lui avait appris des « secrets » destinés à venir en aide aux gens de son entourage. Herbes et prières, formules magiques entraient en concurrence directe avec ce que proposaient les moines gardiens de lieux sacrés, ex-sites dédiés à des dieux païens souvent, christianisés depuis que l’Église s’était rendu compte de l’intérêt majeur à ne pas empêcher les rites issus du paganisme, mais à les intégrer dans ses efforts de christianisation de ces campagnes reculées, refermées sur elles-mêmes … Cependant, il ne faudrait pas rejeter dans les ténèbres d’un Moyen âge mythique ces pratiques magiques. Ce n’était pas les Temps modernes pour tous. Et aujourd’hui encore, on peut trouver sur Internet les mêmes ingrédients et les mêmes rituels de guérison que ceux proposés jadis. La seule différence, c’est que ces remèdes arrivent par courrier postal alors qu’en ce temps-là, il fallait se déplacer pour pouvoir les acquérir (ou demander à quelqu’un de plus valide que soi de faire le déplacement, contre rémunération, évidemment).
Quoi qu’il en soit, la Claudette se garde bien de prêter le flanc à l’accusation de « genacherie » (sorcellerie) : elle ne sera jamais « noueuse d’aiguillettes » et elle sait distinguer le « mal de saint », celui que l’on peut guérir grâce à l’intercession des saints et de quelques simples cueillis judicieusement, et le « mal donné », celui qui est très difficile à éradiquer, sauf si l’on sait prier Dieu dans la bonne chapelle, en faisant les offrandes adéquates …
L’ouvrage conduit le lecteur dans les méandres d’une vie cousues de tous les malheurs possibles où n’ont pas de place ni la compassion, ni l’apitoiement. Le procès qui ouvre le récit est illustré des « étapes » qui mènent irrémédiablement la Claudette sur le bûcher. Sa délivrance en quelque sorte. Une question toutefois se pose : pourquoi donc les autorités locales ont-elles attendu si longtemps pour « purger » la terre d’un être considéré comme si maléfique qu’il fallait l’en débarrasser de la plus horrible façon ? Un élément de réponse peut être trouvé dans le fait que Jacques Rousselot a été, peu avant ce 4 avril 1601, jour de l’exécution de Claudette, « élevé » au rang de prévôt. Il se devait alors de tenir son rang sans barguigner. Le bourreau préposé aux hautes œuvres, Maître Pairson, en « est déjà (au) quatrième bûcher d’une semaine qui ne fait que commencer ».

Rue par laquelle on accédait au bûcher de Bruyères (88)

Le prévôt est de ces gens qui s’investissent dans la recherche de ce que l’on pourrait nommer aujourd’hui « le chiffre », tout cela pour plaire à son maître, évidemment. Quoi qu’il en soit, populace redoutant le prévot, ne fait finalement qu’aller dans son sens : renier bruyamment au pied du bûcher ce dont elle a pu bénéficier. Qui n’en veut pas à son bienfaiteur ? La disparition de Claudette efface, comme par magie, tout ce que cette population misérable lui doit d’humanité.

Chapelle Saint-Blaise, un des rares vestiges du chateau. Blaise : Le don particulier qu’il possédait de guérir les maladies de la gorge fut « officialisé » par les plus grands médecins byzantins du VIe siècle. Mais il est aussi incomparable pour soigner toutes les maladies de la bouche et des dents. En Belgique, il est aussi invoqué contre les maladies des yeux.

La langue utilisée est singulière. Elle se calque sur le parler de ces campagnes, ce qui lui donne une saveur sans pareille. Au fil des pages, des mots usités par mes grands-parents, ou des tantes, ressurgissent dans ma mémoire. Le « devantier » que l’on dénoue comme prémices à un rapprochement à caractère sexuel se disait, en patois, le « dévéteille ». Aujourd’hui encore, dénouer le tablier fait réagir la demoiselle se refusant à un galant audacieux … Mais qui porte encore tablier ?
Si j’ai voulu faire partager dans le cadre de ce blog quelques réactions à ma lecture de cette pitoyable aventure, c’est que, du point de vue touristique, il y a sans doute bien des choses à voir d’un œil curieux sinon neuf. L’on s’arrête souvent au spectaculaire, aux monuments prestigieux, ou bien on se frotte à des vestiges laissés là comme traces de temps révolus sans toutefois en extraire ce qui fait l’essence même de ce patrimoine qui se veut discret et même secret. Je veux évoquer les sources miraculeuses et autres lieux chargés d’une sorte de « patine » où le mystère demeure malgré la fuite des siècles.
Dès le début du récit de Claudette, et comme pour planter le décor, il est question d’un meunier souffrant atrocement d’écrouelles. En vue d’obtenir une guérison, il effectue un pèlerinage à Épinal afin de se baigner dans la fontaine dédiée à Saint Goëry (http://www.sortir-en-lorraine.info/fiche/1490/epinal_88_autres_architectures_lavoir_et_source_st_goery.html ). Tout un cérémonial entoure la quête de la guérison. Il faut boire de l’eau de la fontaine, s’y baigner … et tout cela sans qu’il y ait de témoins. Le mystère doit être complet, sinon l’effet thaumaturgique ne peut se produire. Nombreuses sont ces fontaines où l’on va pour chercher la guérison. Toutes ces sources, recensées, ont comme point commun d’avoir été christianisées. Bien souvent, ces sources se trouvent au pied d’un monticule surmonté d’un édifice religieux, lui-même construit sur les fondations d’édifices plus anciens, voués à des divinités propitiatoires, attestant de l’ancienneté des cultes rendus dans ces lieux. Cependant, pour que l’effet miraculeux puisse se faire sentir, il faut que le malade (ou son représentant), se déplace. Le pèlerinage est essentiel dans la rémission des maux dont les gens souffrent. Saint-Goëry était allé en pèlerinage à Saint-Étienne-de-Metz quérir auprès de l’évêque Saint-Arnould, son rétablissement. A son tour, Saint-Goëry intercède essentiellement pour soulager et guérir nombre de victimes du Mal des Ardents.
Il y a d’autres sources, pas vraiment « miraculeuses », quoique … Ce sont les sources thermales. Elles aussi sont dédiées à des « saints » protecteurs, souvent gallo-romains puisqu’elles ont été redécouvertes bien longtemps après que les Celtes en aient éprouvé les vertus. Il existe de telles sources disséminées et leur histoire pourrait, me semble-t-il, figurer en bonne place dans les colonnes du blog Lorraine de Cœur. Juste comme exemple, à Magnières (54), la source Montfort, gérée par une association, livre à ses adhérents une eau ferrugineuse réputée (en cliquant « source Montfort », de nombreux articles agrémentés de photographies permettent de recueillir nombre d’informations sur cette source). Et que dire du Trou de l’Enfer, distingué par certains comme étant une « source miraculeuse » ? (http://www.lorrainedecoeur.com/2009/08/le-trou-de-lenfer ).
On voit par là toute la richesse d’une évocation de ces eaux qui ont attiré et attirent toujours les êtres que nous sommes. Bien sûr, il faut distinguer les eaux fangeuses propres à révéler toutes sortes d’êtres malfaisants prompts à jeter le mal sur les hommes, et les sources d’eaux limpides, régénératrices, purificatrices, lustrales considérées comme des dons de la nature. Une nature omniprésente dans le récit de cette sorcière de la Vologne, et pas seulement au travers des herbes aux vertus guérisseuses. La nature indomptée et inquiétante sait se montrer parfois sous des aspects quasiment romantiques, ou du moins « compréhensifs » et compassionnels. Que penser de « La masse sombre des bois du Spiémont (…) si proche de la fenêtre, qu’elle donne l’impression que la maison [où loge la Claudette Clauchepied] tire ses racines de la forêt. Au reste, quand le vent tourbillonne, les grands sapins s’efforcent de la caresser de leurs branches.» (Page 169) ? On dirait que la nature connait par avance le sort de la Claudette et qu’elle prend celle-ci sous son aile protectrice …
Voyage au pays de la Vologne (qui n’est pas toujours inquiétante, ni maculée par des faits divers atroces) qui incite, au contraire, à considérer notre patrimoine discret avec un regard neuf et curieux, aux sources de bien des découvertes et de rares plaisirs …
Dans un autre écrit, j’ai évoqué que, pour ma part, j’avais été conduit par ma mère à la source miraculeuse coulant au pied de Notre-Dame de La Creuse à Gérardmer afin d’y laver mes yeux. La source est aujourd’hui tarie, mais les pierres qui en marquent l’emplacement sont toujours là. J’aimerais que d’autres témoignages sur la présence de ces sources puissent figurer dans ces échanges entre blogueurs.
NB Un ouvrage a été consacré aux sources thermales : Des sources au thermalisme. Vittel et Contrexéville, édité dans le cadre des Journées d’études vosgiennes par le cercle d’études locales de Contrexéville et le Cercle d’études de Vittel (Actes réunis par Jean Paul ROTHIOT – 2001).