Comment Murray le grognon est devenu un champion (RUE 89)

Publié le 12 octobre 2012 par Sportpsy @sportpsy

Andy Murray soulève le trophée de l’US Open, à New York, 10 septembre 2012 (Timothy A. Clary/Getty Images/AFP)

Ce n’est pas le joueur plus exubérant du top 10 mondial mais on l’accueille avec plaisir : entre ici, Andy Murray, dans le cercle des vainqueurs de tournoi du Grand Chelem.

On pensait bien qu’il n’y arriverait jamais, mais l’Ecossais de 25 ans a enfin remporté un titre majeur en battant Novak Djokovic en finale de l’US Open, en cinq sets.

Il est temps de connaître un peu ce joueur longiligne aux boucles fines, souvent raillé pour son inaptitude à conclure mais inarrêtable depuis sa médaille d’or olympique à Wimbledon. Voilà sa méthode pour remporter l’US Open – son tournoi préféré :

Avoir une maman tennis


Judy Murray avec son fils, à New York, 11 septembre 2012 (Stan Honda/AFP)

Le tennis a une forte tendance à la reproduction. Derrière un-e champion-ne, il y a souvent un papa/une maman qui a traîné son gosse sur les courts. C’est le cas d’Andy Murray, fils de Judy, mère poule qui continue de le suivre sur tous les grands tournois (lire son portrait dans LIbération).

C’est elle qui a mis les frères Andy et Jamie – très bon espoir devenu spécialiste du double – au tennis. Mais elle les emmenait aussi au foot et au rugby. Entraîneuse nationale en Ecosse, capitaine de l’équipe britannique de Fed Cup (un sacerdoce), cette boule de nerfs connaît parfaitement son sport, même si sa présence permanente aux côtés de son fils irrite la presse tabloïd.

Patrice Hagelauer, directeur technique national du tennis français, l’a bien connue lorsqu’il occupait le même poste en Angleterre. Il assure à Rue89 : « Elle est très respectueuse des gens qui travaillent avec Andy. Sa présence n’a pas eu l’air de gêner son équipe, fidèle à Murray et qui le suit depuis des années. Et puis elle connaît le tennis ! »

Il paraît qu’il lui arrive encore de faire la cuisine et la lessive de son fils et de régenter sa relation sentimentale avec Kim Sears, une artiste-peintre – si l’on ose dire – désormais familière des Britanniques.

Maintenant, Judy aimerait que ses enfants se marient et lui donnent des enfants à qui elle pourra apprendre à jouer au tennis.

Faire le bon choix de carrière

 A 12 ans, Andy Murray, qui taquinait bien le ballon, aurait pu rejoindre le club de foot les Glasgow Rangers. Il a préféré le tennis car c’était un sport individuel. Bien lui en a pris, les Rangers ont déposé le bilan et sont repartis en quatrième division et lui a un peu de talent raquette en mains.

A cet âge-là, Andy plafonne déjà en Ecosse. Il y a environ trois personnes à l’aise raquette en main : son frère, sa mère et lui. Un jour, Rafael Nadal – contre qui il jouait en catégories de jeunes – lui dit qu’il s’entraîne à Barcelone avec l’ancien numéro un mondial Carlos Moya. Murray prend l’avion et rejointl’académie Sanchez-Casal.

Hagelauer l’y a encouragé : « C’était important dans son développement. Il était déjà le meilleur et de loin en Ecosse, il fallait qu’il aille à l’étranger pour qu’il ne soit pas trop tôt la star des stars en Grande-Bretagne. Et il fallait qu’il joue sur terre battue pour diversifier son jeu. »

En Catalogne, Murray ne s’entraîne plus avec des juniors mais avec des hommes, de quatre à dix ans ses aînés. Deux ans plus tard, il remporte l’US Open juniors et l’année suivante, en 2005, la Grande-Bretagne le découvre lorsqu’il atteint le troisième tour à Wimbledon. Il mène deux sets à zéro contre David Nalbandian, finaliste l’année précédente, mais s’incline, battu autant par son physique – crampes – que par l’Argentin.

En trois matches, Murray supplante les stars locales Tim Henman et Greg Rusedski et devient le tennisman le plus scruté du royaume. En octobre, il bat Henman en trois sets à Bâle. Par respect pour son adversaire vieillissant, Murray arbore le visage du perdant mais le témoin est passé. Andy, ses pulls à capuche, son iPod et son caractère bien trempé est définitivement plus cool qu’Henman, qu’on verrait aussi bien sirotant un whisky dans le fauteuil profond d’un club de gentlemen.

Avoir de la personnalité 


Andy Murray avec son trohée de l’US Open, à New York, 11 septrembre 2012 (Clive Brunskill/Getty Images/AFP)

Andy Murray est doté d’une énorme confiance en soi et d’un caractère de chien. Il a la haine de la défaite, héritée, pense-t-il, de sa mère. Qui disait au Guardian en 2005 :« Il n’a jamais été rebelle par nature. Têtu, oui. Ca arrive qu’il n’ait pas envie de parler aux gens et il est toujours franc. Il est parfois le prototype de l’ado grognon. »

Sept ans plus tard, Murray n’est plus un ado mais il est toujours grognon. Hagelauer confirme : « Il est très très grognon mais très attachant quand on le connaît bien. Il est tellement ambitieux qu’il est très exigeant pour lui-même et les autres. »

Son caractère bien trempé lui a valu un jour d’insulter un arbitre ou de dire qu’il supporterait tous les adversaires de l’Angleterre à la Coupe du monde de foot en 2006. Mais c’est aussi ce qui lui permet de supporter la pression inhérente à son statut : seul joueur de tennis correct dans son pays.

Dans les mimiques d’Andy Murray, il y a la gueule grande ouverte quand il gagne un set, le poing serré et coude plié quand il gagne un long échange, la tête qui bascule en arrière s’il le perd. Mais jamais, jamais de sourire. A tel point que certains demandent pourquoi à Internet.

Lundi soir, lors de sa conférence de presse de victoire à l’US Open, il affirme « I’m very very happy » (Je suis très très content) avec l’enthousiasme de Droopy. Un journaliste lui fait remarquer que ça ne se voit pas. Réponse de Murray avec le sourire : « J’apprends de Lendl (son entraîneur, Ndlr)… Il ne sourit pas beaucoup. Je suis très content de l’intérieur, je suis désolé de ne pas vous le montrer davantage. »

Son visage fermé et ses réponses monosyllabiques ont longtemps valu à Murray d’être loin du niveau de popularité de Tim Henman. Mais ce n’est pas de sourires dont Murray avait besoin. C’était de larmes : le pays s’est enfin entiché de lui en juillet dernier, sept ans après l’avoir découvert, lorsque l’Ecossais s’est effondré après sa finale perdue à Wimbledon contre Roger Federer. Ses yeux humides, ceux de sa compagne et ceux de sa mère ont fait la une de toute la presse. Jim White, du Telegraph, écrivait : « Murray a conquis quelque chose d’inattendu : le cœur du pays. Sa réaction après sa défaite a été si chaleureuse, si généreuse et spontanée qu’elle a donné complètement tort à ceux qui aiment le décrire comme froid, distant et sans personnalité. »

Trouver un mentor


Ivan Lendl, entraîneur d’Andy Murray, à l’US Open, 1er septermbre 2012 (Matthew Stockman/Getty Images/AFP)

Pour gagner son premier tournoi du Grand Chelem, Murray s’est attaché les services un autre joueur qui avait mis beaucoup de temps à le gagner : Ivan Lendl. Les deux hommes ont en commun d’avoir perdu quatre finales avant de gagner un tournoi. La bonne nouvelle pour Murray, c’est que Lendl en a gagné sept autres ensuite.

Lendl, comme Murray qu’il entraîne depuis janvier, ne sourit jamais. Lorsqu’il jouait, le Tchécoslovaque n’affichait jamais ses émotions, imperturbable quel que soit le score et ses sensations. Non qu’il manquait d’humour. C’est juste qu’il ne souriait pas sur le court.

Comme Murray, il considérait le tennis comme son job. Il n’était pas là pour rigoler.

Aujourd’hui, dans les tribunes, il regarde jouer l’Ecossais avec le menton posé sur son coude gauche, visage caché par une casquette et des lunettes de soleil.

Murray était un « serial loser » ? Lendl était un « serial winner », qui n’était pas là pour séduire le public ou la presse. Après la victoire de son joueur en quart de finale, il fut demandé au Tchèque comment il voyait la demi-finale contre Tomas Berdych. Réponse : « Je ne suis pas venu ici pour la demi-finale. »

Murray a un problème avec l’autorité et change d’entraîneur comme de polo ? Le palmarès de Lendl le rend absolument incontestable. Il le fait bosser comme il l’entend.

Lendl a aidé Murray à surmonter ses instants de panique qui lui faisaient perdre le fil d’un match et l’a poussé à attaquer davantage. Et Murray a pris confiance. Les journalistes spécialisés ont été scotchés d’entendre ces quelques mots de l’Ecossais pendant l’US Open : « J’ai beaucoup progressé. »

Maîtriser tous les coups et savoir quand les jouer

Patrice Hagelauer est amoureux du jeu d’Andy Murray : « Il a beaucoup de variété. Il réfléchir en permanence, c’est comme un jeu d’échecs. Chaque coup est réfléchi, il sait ce qu’il veut faire de l’adversaire. Il slice, accélère, place une balle haute, un amortie… Ce n’est pas une machine à frapper, pas un rouleau compresseur : il joue avec son adversaire. »

Ses armes préférées sont le lob et l’amortie. Mais son vrai talent, c’est sa compréhension du tennis. L’ancien champion Mats Wilander le décrit sur Eurosport comme « un génie tactique ».

C’est une qualité qu’il a toujours eue. Avant toute chose, sa mère lui a enseigné comment construire un point et s’amuser sur le court. Depuis son enfance, Murray ne s’est jamais contenté de renvoyer la balle plus fort qu’elle arrivait : il a toujours voulu la placer à l’endroit le plus désagréable pour son adversaire.

Face à la quasi-totalité des joueurs, c’est très efficace. Face à la puissance des coups de Federer, Nadal et Djokovic, cela ne suffit plus. Il lui a fallu se muscler, devenir plus endurant – il avait beaucoup de mal à tenir cinq sets au début de sa carrière – et améliorer son service. Et bien sûr, se convaincre qu’il pouvait gagner un grand tournoi, ce qui fut fait aux Jeux olympiques.

Lien vers l’article original RUE 89