Un TP, un article: La Croisière ça Mue

Publié le 12 décembre 2012 par Taupo


Comme l’année précédente, le mois de Novembre représente pour moi une période intense en enseignements avec notamment de nouveaux cours à donner, et notamment de nouveaux TP à préparer. Alors certes, j’ai du dormir un total de 36 heures en un mois mais voyons le bon côté des choses: que de matière pour remplir ce blog qui s’est retrouvé à l’abandon!
Par exemple, cette année, j’ai non seulement repris mon TP sur les amphibiens et les relations qu’ils entretiennent avec leur environnement, mais je l’ai complété par un TP du même acabit sur les insectes. Mais comme il y a énormément de choses à raconter sur le sujet, je vais narrer ce TP en trois parties.


Aujourd’hui, nous aborderons donc le développement mystérieux de nos amis à six pattes: les hexapodes (du grec ἑξάς, èxas “six”, et ποδός, podos, “pied”… l’étymologie en entomologie, c’est fun! ).
Pourquoi Hexapodes et pas insectes? Et bien c’est que les insectes, stricto sensu, correspondent à un sous ensemble d’arthropodes à 3 paires de pattes auquel on rajoutera les protoures, diploures et collemboles
Et voilà, à peine son TP commencé qu’il va nous saouler avec des nuances saugrenues… Mais oui, mais en même temps, les gars qui avaient constitué le groupe des insectes n’avaient pas fait que compter les pattes! Ils avaient notamment remarqué d’autres caractéristiques uniques dans ce groupe, comme la division du corps en 3 parties (tête, thorax, abdomen), la présence de trachées, l’absence d’appendices abdominaux et la présence de pièces buccales externes… Ben c’est là que ça coince: certains arthropodes à 6 pattes (protoures, diploures et collemboles) ont des pièces buccales qu’on retrouve à l’intérieur de la tête… C’est malin de fiche le souk dans les classifications! Tout ça pour ne pas montrer ses mandibules: qu’ils sont prudes ces hexapodes parfois!
Bref, tous les insectes appartiennent au groupe des hexapodes, mais tous les hexapodes ne sont pas insectes. Et d’ailleurs ce n’est pas parce qu’on a 6 pattes qu’on doit systématiquement faire partie des Hexapodes, hein! Les apparences sont souvent trompeuses…


Il faut s’appuyer sur de nombreux critères pour pouvoir attribuer une espèce dans un groupe. C’est la joie de la phylogénie!
Mais bon, on est pas là pour causer groupes, on est là pour se demander comment nos hexapodes se débrouillent dans différents environnements. Ben ils sont plutôt pépères, merci pour eux… Un décompte approximatif de toutes les espèces répertoriées amène à un chiffre astronomique : 1 million d’espèces. Et c’est un indice très faible de l’incroyable diversité et du nombre total d’espèces d’insectes sur notre planète. Sachant qu’une espèce d’insectes peut représenter des milliards d’individus, on n’a pas de mal à croire que de nombreux entomologistes les considèrent comme LA véritable réussite évolutive du monde animal. Du coup, à la lumière de ces chiffres, ne soyez pas prompts à considérer que nous, humains, sommes les bestioles les plus adaptées à notre environnement. Si certaines caractéristiques sont partagées par l’intégralité des hexapodes, c’est qu’il peut s’agir d’adaptations particulièrement utiles pour survivre dans ce bas monde!


Prenez par exemple notre croissance continue et notre squelette interne: pour un hexapode, on fait tout à l’envers! Leur squelette à eux, ils le portent autour de leur corps : c’est un exosquelette. Pas mal pour se protéger des adversités du monde extérieur. Par contre, cet exosquelette constitué d’une cuticule rigide représente un frein à la croissance de l’animal. Mais c’est pas bien grave non plus parce que ces animaux peuvent reconstituer leur exosquelette! Pour grandir, ils n’ont qu’à muer: se débarrasser de leur vieille cuticule pour laisser apparaitre leur nouveau corps. Cette capacité à vrai dire est partagée par tous les animaux du groupe appelé Ecdysozoa (du grec ecdysis qui veut dire “mue” et zoa “animal”). Pour en savoir plus, je vous invite à découvrir ce billet de Nicobola sur le blog ‘Les poissons n’existent pas’.
Chez les hexapodes, les mues se succèdent durant sa croissance. Mais parfois, l’animal peut avoir des formes variables tout au long de sa vie. C’est ce qui permet de distinguer plusieurs types de développement: le développement amétabole, hétérométabole et holométabole (et non, y’a pas de développement discobole ou dragonball).



Chez les hexapodes amétaboles le juvénile qui éclot de l’œuf a grosso modo la même morphologie que l’adulte, si ce n’est qu’il est riquiqui. On retrouve ce mode de développement surtout chez nos fameux diploures, protoures et collemboles: vous savez les hexapodes qui n’ont pas le droit de rentrer dans le club des insectes. Ces bébêtes ne font donc muer que pour grandir. C’est le cas par exemple des lépismes, plus connus sous le nom (totalement bidon) de poissons d’argent.


On en trouve souvent qui filent sur le carrelage de nos salles de bain. Et bien les lépismes peuvent muer entre 17 et 66 fois au cours de leur vie! C’est beaucoup et cela s’explique notamment par le fait que le lépisme continue à muer même lorsqu’il atteint l’âge adulte et sa taille finale.

D’autres hexapodes amétaboles célèbres sont les collemboles (j’avoue, cette terminaison en –bole ajoute de la confusion pour les étudiants… c’est pas de bol!).


Ce sont de minuscules bestioles qui vivent surtout dans l’humus. Voilà à quoi ressemble une mue d’un collembole:

L’intégralité du film dont est tiré cet extrait est à retrouver ici.


Chez les insectes, ont ne trouve pas, à ma connaissance, d’organismes amétaboles. Cela signifie qu’on peut distinguer des différences notable entre le stade adulte et le stade juvénile qu’on qualifiera de larvaire. Chez un insecte hétérométabole, Il y a 3 stades : l’œuf, la larve et l’adulte (qu’on appelle, en entomologie, l’imago). Il y a donc une étape importante de la vie de ces insectes, la métamorphose, à travers laquelle ils passent d’un stade larvaire à un stade adulte capable, notamment, de se reproduire. Et cette transition, elle se réalise au moment d’une mue, un peu particulière, qu’on appelle la mue imaginale (puisqu’on passe d’une larve à un imago). Toutes les mues précédentes correspondent donc à des mues larvaires. C’est vraiment différent de la situation des insectes amétaboles chez qui on ne peut pas trop faire la différence entre une mue et une autre.
Un imago est caractérisé par sa capacité à se reproduire mais aussi par la présence d’ailes pour les insectes qui en portent. Il y a donc quand même de sacrés remaniements morphologiques lors de cette métamorphose. Pour certains insectes hétérométaboles, la larve se trouve dans le même milieu de vie que l’adulte. C’est ce qu’on appelle un développement paurométabole et c’est le cas retrouvé par exemple chez les criquets:


Et voici à quoi ressemble la mue imaginale d’un autre insecte hétérométabole: Anabropsis marmoratus.


C’est quand même un sacré boulot! Pas étonnant que, pour regagner des forces, ce spécimen a dévoré son ancien exosquelette (ce qu’on appelle une exuvie).




Chez d’autres insectes hétérométaboles, la larve ne vie pas dans le même milieu que l’imago: c’est ce qu’on appelle un développement hémimétabole. C’est le cas par exemple des éphémères chez qui la larve vie dans le milieu aquatique alors que l’imago, ailé, va conquérir le milieu aérien. Alors attention, pas besoin de film en accéléré pour la mue des éphémères, c’est hyper rapide:

Traduction:
Les éphémères possèdent la transformation la plus rapide entre larve aquatique et adulte volant. Ce sont les proies favorites des poissons qui les dévoreront si elles ne fuient pas immédiatement après s’être exposées ainsi à la surface de l’eau.

Il nous reste un dernier “–bole” à découvrir: le cas des insectes holométaboles. Chez ces insectes, la métamorphose est cataclysmique! La larve est vraiment très différente de l’imago (chez les papillons, la larve s’appelle une chenille, et chez les mouches et moustiques, on parle d’asticot). Au dernier stade larvaire, elle se transforme en une forme immobile, la nymphe, qui restera en pause jusqu’à l’émergence de la forme adulte (là encore, les noms des nymphes varient selon les groupes: on parle de chrysalide pour les papillons et de pupe pour les mouches et moustiques). On peut donc dénombrer 4 stades importants du développement: œuf, larve, nymphe et imago. Et encore une fois, chaque transition de forme s’accompagne par une mue spéciale : la mue nymphale et la mue imaginale.
Ce ne sont pas les exemples d’insectes holométaboles qui manquent (abeilles, guêpes, coccinelles, scarabées, puces, mouches, moustiques) mais celui qui est peut être le plus charmant est celui des papillons, et notamment celui du papillon monarque Danaus plexippus:



Tout commence par un œuf dont va s’extraire le tout premier stade larvaire du papillon monarque: la chenille. Comme d’hab, éclore n’est pas une mince affaire et cela nécessite beaucoup d’énergie. Autant en récupérer en boulotant tranquillement la cuticule d'e l’œuf:


Ce gain d’énergie est non négligeable et va booster la chenille qui va pouvoir se mettre en quête de bonnes grasses feuilles à mâchouiller:

La quantité de bouffe dont va se gaver la chenille est assez ahurissante. Il faut dire que celle-ci va devenir près de 2000 fois plus massive en quelques semaines, et ce à travers 5 mues larvaires successives:


Voilà à quoi ressemble ces mues larvaires (ici entre le 3ème et le 4ème stade larvaire):


Après avoir accumulé tant d’énergie et de réserves, il est temps pour la chenille de se transformer en nymphe (chrysalide):

Etonnant, non? Difficile de croire qu’il se cachait une telle forme sous la chaussette que constituait la dernière cuticule larvaire. Un brin d’explications s’impose:
Traduction:
La chenille, en forme de J et accrochée à la branche, se transforme en chrysalide. la peau derrière le cou de la chenille se brise et, tandis que la créature gigote, la cuticule glisse vers les pattes arrières, révélant la chrysalide verte qui s’est développée sous la cuticule larvaire. Avant que la cuticule soit éjectée, l’attache noire, ou crémaster, qui a de nombreux crochets à son extrémité, doit être enroulé pour former un bouton de soie. Il s’agit d’une étape dangereuse! Si la chrysalide est maladroite, elle peut tomber sur le sol et être dévorée par des fourmis. Graduellement, la chrysalide durcit pour former une enveloppe lisse et de couleur jade, décorée de points dorés. A l’intérieur de ce joyau, les vieux tissus de la chenille se transforment progressivement en papillon adulte. Cela prend environ 7 jours à température estivale. Environ 12h avant que le papillon n’émerge, la chrysalide s’opacifie et sa cuticule devient assez transparente pour révéler les couleurs noires et oranges des ailes de l’imago à l’intérieur.

Et je ne vous cache pas que l’un des moments les plus merveilleux de ce cycle de vie reste l’émergence de l’imago, ayant subi sa dernière mue:

Il faut plusieurs heures à l’adulte pour accumuler assez d’air et d’hémolymphe dans les ailes pour que celles-ci soient assez sèches et dures pour voler. Et ces papillons ne peuvent pas se permettre d’avoir des ailes défectueuses sachant qu’ils effectuent deux migrations successives, aller-retour, de près de 4000km de distance entre l'Amérique du Nord et le Mexique!





C’était donc un exemple complet de développement d’un insecte holométabole. Bon, amétabole, hétérométabole, holométabole… Vous en avez Ras-le-Bol? Passons à autre chose alors! Je vous donne RV la prochaine fois pour découvrir comment les hexapodes peuvent s’accommoder à respirer dans tous les milieux, aériens ou aquatiques!

Liens:
Article Les poissons n’existent pas