Depardieu, cet apatride

Publié le 12 décembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ainsi donc, Gérard Depardieu traverse le Quiévrain pour planquer son pinard et ses billets. En même temps, le très vénérable Ravi Shankar décide de casser sa pipe pour échapper à la fin du monde, ce qui est autrement plus tragique. Mais enfin, Ravi, bordel de merde de crotte de bique et boyau de chat, 92 ans, c’est trop jeune pour avaler son bulletin de naissance et nous laisser seuls avec l’immonde « Génération Goldman »! Pas à une semaine de mon anniversaire (je le précise dans l’hypothèse où vous voudriez m’envoyer des cadeaux pour me consoler)! Bref, revenons à notre adipeux sujet.

Très honnêtement, si Gégé n’a plus envie de payer ses impôts en France, ça ne devrait pas perturber mon transit intestinal outre-mesure. L’homme qui pisse dans les avions et qui roule en scooter avec la moitié de la production nationale de Beaujolais  dans le sang ne devrait pas trop me manquer. Mais voilà, tout le monde n’a pas l’heur de pouvoir se payer un voyage pour une destination aussi prestigieuse que Néchin, dans le Hainaut, pour profiter du merveilleux climat belge et des largesses du fisc local. En effet, il ne vous aura pas échappé que depuis quelques années, c’est la crise, et que l’argent ne pousse pas sur les arbres. C’est même tellement la crise que des arbres, il y en a de moins en moins. Or, il se trouve qu’à force d’accumuler les participations dans des navets (pardon, des films populaires) et les prestations de bon goût chez divers amis des classes modestes (comme Nicolas Sarkozy, le président tchétchène Kadyrov, ou la fille du dictateur ouzbek Islam Karimov), le citoyen Depardieu s’est constitué un bas de laine que le commun des mortels pourra qualifier d’enviable.

Seulement, la crise c’est pratique pour gagner des élections et ça fait des économies d’énergie quand les CRS se chargent de tenir chaud aux manifestants, mais quand on est au pouvoir, c’est embêtant. Et depuis que Depardieu s’en est allé, tel Verlaine et Rimbaud, voir si les routes belges sont plus propices à l’envol de l’esprit, tout le monde est méchant avec lui. Le Premier Ministre Ayrault le traite de « minable« , un député de la même obédience propose de destituer Gégé de la nationalité française, et autre taxe son attitude (car c’est tout ce qu’on peut lui taxer désormais) d’anti-patriotique. Pauvres petits lapins du PS, vous me donneriez presque envie d’être de droite si la simple vue de Nadine Morano ne perturbait pas le transit cité plus haut plus efficacement qu’un bol de laxatifs au chou de Bruxelles.

A force de marcher dans les bouses laissées nonchalamment par la droite dans le débat public comme « les frontières », « l’identité nationale », la « souveraineté », la gauche a oublié qu’il fut un temps où elle était internationaliste. Comme Ségolène Royal en 2007, elle préfère désormais la Marseillaise à l’Internationale: c’est le socialisme national, une ficelle aussi fine que le récent écosocialisme de Mélanchon et aussi puissante intellectuellement que l’horoscope du Républicain Lorrain. On sent bien que les gars sont quand même au bout du rouleau pour sortir des âneries pareilles. Sérieusement, qui en a quoi que ce soit à talquer d’être français, belge, fidjien du moment que la tirelire est au chaud? Pensent-ils vraiment que Depardieu va revenir, la queue entre les jambes cachée sous son gros ventre et plein de contrition parce qu’il a peur que Marianne refuse de le reconnaître comme un de ses enfants? Les bourgeois ont inventé la nationalité pour que les péquenots fassent un rempart de leurs corps autour de leur propriété, ils y renonceront aussi facilement si les péquenots veulent une part du gâteau.

Et puis quand on y pense bien, puisqu’on parle de déchoir de la nationalité les richards qui se font la belle, pourquoi ne pas accorder automatiquement la citoyenneté française aux immigrés qui payent leurs impôts chez nous? Certes, Manuel Valls pourrait en faire une crise d’urticaire, mais puisque les socialistes ont décidé subitement de remettre les questions de patriotisme au goût du jour, c’est au moins une idée que Marine Le Pen ne leur piquera pas. D’ailleurs, je suis à peu près certain que si la Palestine se dotait d’un régime fiscal aussi avantageux que celui du Liechtenstein, l’ONU serait moins radine sur les modalités d’adhésion au club. Si vraiment on veut finasser, on peut aussi rappeler à nos éminents patriotes gouvernementaux qu’on attend toujours la grande réforme fiscale marquée du sceau de la justice que le candidat Hollande a promise pendant la campagne électorale. Une bande de pigeons mesquins et apatrides prêts à crever pour leur plus-values  peut-elle légitimement se mettre en travers du chemin de la prestigieuse patrie-des-droits-de-l’Homme- que-si-elle-existait-pas-le-monde-serait-moins-beau? Et Madame Parisot, qui soutient Mittal contre l’État, ne devrait-elle pas être déchue de la nationalité et renvoyée manu militari au Luxembourg ou aux îles Caïman? Le comique Maurice Lévy, qui cumule les jetons de présence pour des activités qui ne produisent que dalle, est-ce vraiment un patriote? Non, mais Depardieu est plus gros et plus visible, tant il est vrai qu’un sanglier est plus facile à viser qu’un pigeon.

Enfin, si on est vraiment de mauvaise humeur, et je le suis puisque Ravi Shankar est mort alors que Florent Pagny est toujours français, on pourra aussi penser que contrairement à Christian Clavier qui est à la comédie ce que Mylène Farmer est à l’opéra, Depardieu quand il s’y met, c’est parfois un sacré acteur.Et que c’est pas avec Julie Lescaut qu’on va se consoler. Cela dit, tous les artistes et les techniciens qui les accompagnent ne  sont pas des gros plein de soupes qui décampent à chaque oscillation de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu; tous ne sont pas des Luc Besson, qui non content d’abrutir des générations de spectateurs (mais non, c’est des films populaires, on a dit) a aussi un avis tranché sur la politique locale depuis sa résidence exotique. Parmi les bons citoyens qui font marcher la culture et le spectacle, il y a aussi des intermittents et des artistes de l’ombre qui sont loin d’avoir un régime social et fiscal qui leur permettrait de délaisser les nouilles bas de gamme pour les Barillas chères au cœur et au bide de Depardieu. Mais eux, ils peuvent bien partir monnayer leur talent ailleurs, on ne sait même pas qui c’est. Bande d’anarchistes.

Bref, j’espère que Keith Richards et Brigitte Fontaine ne vont pas clamser dans la semaine.

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