La meilleure bande dessinée du moment

Publié le 20 décembre 2012 par Blended @blendedph

C’est l’alcoolique mondain et pourtant antisocial, le mec qu’on croise en soirée et qui nous fait hésiter entre la violence et l’admiration. Il pratique l’art de la vanne un verre à la main. On pense à Oscar Wilde (« Chaque fois qu’on produit un effet, on se donne un ennemi. Il faut rester médiocre pour être populaire ».), à Francis Scott Fitzgerald (« Le drame c’est que quand vous n’avez pas bu, vous ne voulez voir personne, et dès que vous avez bu, personne ne veut plus vous voir ») ou à Homer Simpson (« L’alcool, la cause et la solution à tous nos problèmes »).
Cet homme c’est le personnage principal de la meilleure BD sur internet, Drink a lol. Derrière ce royaume de cynisme, de lucidité et de fatalisme se cache Thom J. Tailor pour les textes et Ookah, pour les dessins. Nous avons voulu poser quelques questions à ces deux fous. Mais la vraie question reste ouverte : la franchise, est-ce dire tout ce qu’on pense, ou penser tout ce qu’on dit ?

Est-ce que ce personnage principal est inspiré directement de quelqu’un ?
Thom J. Tailor : Pour la majeure partie des strips, j’utilise les vannes que je sors moi-même en soirées, pour le reste c’est des vannes que j’ai gardées pour moi, histoire d’éviter de me faire péter la gueule, ou des situations que j’imagine tout seul en fixant mon mur. Donc au niveau du contenu c’est directement inspiré du vécu et de ce que m’inspire ce genre de situations. Mais sinon je pense pas être aussi con que le personnage, je suis surtout taquin. Après le personnage en lui-même s’inspire assez de personnes réelles qui sont aussi misanthropes et imbuvables, si ce n’est plus.
Ookah : Je veux pas balancer, mais on dirait vraiment Thom J. Tailor en plus con.
Thom J. Tailor : On se connait ?
Ookah : On s’est croisés dans un bar une fois, je crois.

Est-ce que la BD agit comme une catharsis pour vous ?
Thom J. Tailor : Oui, c’est un bon moyen de décharger son agressivité et si ça peut en faire rire certains…
Ookah : Vu que je n’écris pas les textes, je ne fais pas trop ma propre psychanalyse dessus. En plus comme ça quand ça ne fait pas rire les gens je peux dire que ce n’est pas de ma faute.
Thom J. Tailor : Tu ne les lis pas non plus les textes de toute façon…

L’humour cynique a une longue histoire derrière lui. Des références pour vous ?
Thom J. Tailor : Je pense à des gens comme Groucho Marx, Sacha Guitry, Céline, Michel Audiard (ça c’est les références pour faire style), sinon des séries comme South Park ou American Dad, autrement niveau cynisme la droite fait très fort mais pour le coup c’est moins drôle (d’ailleurs, bisou à Humour de droite</em>), sinon niveau BD, Ultimex et Robert Cash (au-dessus c’est le soleil).
Ookah : Oscar Wilde reste une référence. Dans un registre très différent, Calvin & Hobbes c’est fantastique, faire lire ça à des enfants c’est du génie. Et Black Books, une de mes séries fétiches. D’ailleurs Bernard Black, le héros, a beaucoup de traits communs avec notre personnage.
Thom J. Tailor : Toujours pas vu ce truc-là.



Cette forme d’humour cynique est très actuel. Actuellement, pour faire face à une lucidité assez sinistre, il y a une réponse du sourire. Comme si on disait « quitte à tous mourir, autant le faire en se marrant ». C’est quelque chose dans lequel vous vous retrouvez ?

Thom J. Tailor : L’humour c’est le moyen de défense par excellence, pour se défendre de l’angoisse, de l’autre et du drame de l’existence. C’est un moyen de dédramatiser, de changer de perspective : regarde si tu te mets de ce côté-ci tu vas pleurer ta race, maintenant décale-toi un peu, tu vois, de ce côté-là c’est drôle.
Ookah : Exactement, le cynisme c’est aussi une façon de se protéger, de faire comme si on s’en foutait, alors qu’en fait on flippe tous de crever comme des nazes sans avoir rien accompli. Et puis ça permet d’enrober des vérités avec de bonnes blagues.

Est-ce que vous recevez des messages d’insultes ? On pense en particulier aux féministes.
Thom J. Tailor : Pas du tout, je suis un peu déçu d’ailleurs. En même temps je pense pas qu’on puisse en vouloir à un personnage aussi con. Je crois que les féministes comprennent que ce mec-là il est surtout paumé avec les femmes, comme avec le reste de l’humanité d’ailleurs, et qu’il essaie de gérer ça en étant un connard.
Ookah : Pour le moment non, pas que je sache, il faut croire qu’on a un public qui réfléchit un peu à ce qu’il lit. Mais j’ai limite hâte, rien que pour voir ce qu’on répondra.

Le strip, c’est l’aphorisme de la BD. Ce qui fait de vous des philosophes.
Thom J. Tailor : Des philosophes de comptoir si tu veux.
Ookah : Waouh, chouette, une ligne de plus à apporter à mon CV.

En soirée, c’est quoi un con ?
Thom J. Tailor : Je verrais deux types de cons, le con façon Drink a lol, constamment désagréable, cynique et ironique, certains cultivent tellement ce registre que ça en devient leur seul mode d’être et d’expression, du coup même s’ils le vivent sur le mode de l’humour, ça ne fait rire qu’eux. L’humour c’est comme l’amour, si c’est pas partagé c’est juste de la branlette.
Sinon t’as les cons de type « schlag », des gens souvent très inhibés quand ils sont sobres et qui, une fois ivres, deviennent expansifs, bruyant et vulgaires, lourds quoi.
Ookah : En soirée, souvent, je fais de l’ethnologie, donc personne n’est con, tout le monde est sujet d’étude.

On a parlé pour la première fois de votre bd sur blended, en l’accompagnant de cette phrase Fitzgerald. « Le drame c’est que quand vous n’avez pas bu, vous ne voulez voir personne, et dès que vous avez bu, personne ne veut plus vous voir. » Vous êtes d’accord ?
Thom J. Tailor : Oui, ça dépend, l’alcool désinhibe et facilite les interactions, après ça peut rendre certains particulièrement cons mais pas toujours, il y en a qui gagnent à être connus quand ils ont picolé.
Ookah : Le vrai drame, c’est quand il n’y a plus rien à boire et qu’il faut continuer à parler aux gens.
Thom J. Tailor : Grave.

La blague bien cynique qui vous fait marrer à chaque fois ?
Thom J. Tailor : « J’ai passé une excellente soirée… mais ce n’était pas celle-ci. » Groucho Marx
Ookah : Pas mieux.

Noël approche. Le cocktail parfait en apéro ?
Thom J. Tailor : Pas de cocktail en particulier, je mélange tout.
Ookah : Mon alcool fétiche c’est le gin. Donc un bon petit gin tonic avec rondelle de concombre, ça fait toujours plaisir.